Victor Orbanescu ou Ubu, roi de Hongrie ?

On se souvient que, dans les années 1970-80, alors que son peuple crevait littéralement de faim, Nicolae Ceaușescu avait eu la manie de raser des villages entiers ou quartiers historiques de sa capitale pour y bâtir des horreurs et (à Bucarest) édifier un palais gigantesque. Bien sûr, nous n’en sommes pas là, fort heureusement, dans la Hongrie de Viktor Orbán en 2012. Malgré tout, nous n’en sommes peut-être pas non plus si loin.

Alors que l’argent manque cruellement au point que le métro de Budapest est déclaré dangereux (1); alors que dans les hôpitaux et les écoles, chacun doit apporter sa nourriture et ses produits d’entretien ; alors que, de source officielle, il est reconnu que 37% des Hongrois vivent en-dessous du seuil de pauvreté avec 64 000 forints (217 euros) par tête de pipe (2), voilà-t’y pas que l’ami Orbán n’a rien trouvé de mieux que de construire deux nouveaux grands stades de foot (à Budapest et Debrecen, ville de son bras droit Lajos Kósa) et d’en restaurer deux autres pour un montant astronomique (100 milliards de forints).

NDLR : On pourrait le comprendre si le pays organisait l’Euro 2012. En 2007, la Hongrie était candidate avec la Croatie pour organiser la compétition. Le duo, favori selon les Hongrois, n’avait récolté aucun vote en sa faveur.

Et encore, si le football hongrois se portait bien. Mais non, l’équipe nationale hongroise assiste inlassablement aux compétitions internationales devant la télévision depuis 26 ans !

NDLR : les dernières qualifications de la Hongrie en phase finale de l’Euro et de la Coupe du Monde datent respectivement de 1972 et 1986.

Seulement voilà : cela n’empêche pas Viktor Orbán d’être un grand fan du ballon rond et de s’adonner lui-même à quelques dribble le dimanche.

Orbán et l’urbanisme

Autre lubie : défoncer l’une des deux plus belles places de Budapest pour y restituer le look d’avant guerre. Je parle de la place Kossuth qui se trouve devant le Parlement. Le hic est que les travaux ont débuté sans aucun préavis, par une belle nuit de février, sans même que la population – ou du moins les professionnels – n’ait été consultée (3) et sans même qu’un appel d’offre eût été lancé. Pour un coût total estimé à 30 milliards de forints. Des travaux qui, une fois de plus, risquent bien d’être confiés, comme l’immense majorité des chantiers en cours, à l’entreprise Közgép (lançons le pari) qui appartient à Lajos Simicska, un proche de Viktor Orbán. Pourquoi pas d’appel d’offre ? Car la zone est jugée top-secret-défense pour ses sous-sols. C’est seulement la semaine dernière (près de quatre mois après le début des travaux) que le projet a été dévoilé au public (avec édification d’une statue de 17 mètres à l’effigie d’ István Tisza, Premier ministre dans les années 1900, et plus aucune trace des monuments de la Révolution de 1956 (4)). Je sais qu’en France, nos présidents ont également pris par le passé une habitude semblable (cf. les colonnes Buren et le Centre Pompidou), mais parfois avec goût (pyramide du Louvre) et dans un contexte économique bien différent.

Et pendant ce temps, on vous invente presque chaque mois un impôt nouveau (28 depuis les élections de 2010). Parfois rocambolesque, comme celui sur les chiens – les races pur sang hongroises étant exemptées – qui a finalement dû être quasiment abandonné, sa mise en place posant trop de problèmes pratiques. Les derniers en date : un impôt sur les communications téléphoniques (fixes, portables, déjà affublées d’une TVA de 27%) et la si séduisante „taxe sur les transactions” dont le brillant auteur (György Matolcsy, ministre de l’Economie nationale) a été jusqu’à dire qu’elle constitue la nouvelle « force de frappe nucléaire du pays au XXIe siècle » (?!). Le problème est qu’il ne plaisantait pas.(5) „Séduisante”, car l’appellation sonne bien, rappelant les idées de Tobin, reprises en France par Sarkozy, pour moraliser le monde de la spéculation en taxant le boursicotage intensif et les grandes transactions. Ici, ce n’est pas de cela qu’il s’agit, mais de taxer purement et simplement tout mouvement d’argent, depuis le retrait de vos sous à la billetterie du coin, jusqu’au virement de votre cotisation à votre association, voire au paiement de vos factures à la poste (gaz, électricité). Bref, un petit coup de massue de plus sur la tête du modeste contribuable. Et à côté de cela, refus obstiné de revenir sur le taux d’imposition unique de 16% sur les revenus, cadeau aux plus fortunés qui coûte chaque année 500 milliards de forints à l’Etat. Pas étonnant, donc, que l’indice de popularité du Fidesz, le parti de Viktor Orbán, soit en chute libre: 16-17% des intentions de vote fin mai contre 25% en avril. Le problème (éternel) est qu’il n’y a rien en face de lui, seul le parti socialiste se traînant péniblement à ses côtés avec 15%, 51-54% des personnes interrogées se déclarant sûres de ne pas voter.

Un nationalisme contre-productif outre frontières
Viktor Orban et Victor Ponta, Premier ministre roumain depuis le 7 mai 2012 (Bucarest, 01/06/2012)

Mais on pourrait au moins invoquer le succès de sa politique nationaliste. En Hongrie, probablement, mais dans les pays voisins, paradoxalement pas tant que ça. Cela peut paraître surprenant, et pourtant, les faits parlent. Deux exemples. En Roumanie se sont tenues dimanche 10 juin les élections locales et municipales. Etaient en lice, pour la Tranylvanie, trois parti hongrois : un pour la modération (UDMR – RMDSZ – l’Union démocrate des Magyars de Roumanie) et deux autres pour une position ferme, nationaliste. L’un de ces deux derniers, le Parti Civique Magyar, avait fait l’objet d’une prise de position ouverte en sa faveur par les officiels hongrois. Résultat : il a péniblement atteint 0,47% des voix (et 0,40% pour l’autre parti nationaliste) contre 5,47% au parti « conciliant ». Idem l’année dernière en Slovaquie où seul le parti modéré (Most/Híd) a obtenu, avec 8%, des sièges au Parlement de Bratislava, devançant très largement le parti nationaliste ouvertement soutenu par Budapest, qui s’est retrouvé sans siège. Même si ces résultats (du moins pour les élections en Roumanie) reposent sur une faible participation, ils dénotent un rejet de l’intervention de Budapest dans les affaires « intérieures” des Hongrois « hors les murs ». Certes, cela ne signifie pas une soumission aux autorités locales, loin de là, mais se traduirait plutôt (du moins en Transylvanie) par un « ni Budapest, ni Bucarest, laissez-nous donc en paix ! ».

On va encore me reprocher de ne porter ici que des jugements négatifs. Et pourtant, je n’ai même pas évoqué le reste (loi sur les médias ou sur la banque centrale, mise au pas de la justice, réduction  des prérogatives de la Cour constitutionnelle, etc.). Reconnaissons au moins une qualité au nouveau système institué par Viktor Orbán : on ne s’ennuie pas. Il suffit par exemple, de relire le préambule (profession de foi) de la nouvelle Loi fondamentale qui vaudrait bien un prix (d’humour) à son auteur.

Plus sérieusement, maintenant : nous sommes nombreux à admirer le niveau remarquable de la culture hongroise, de son folklore, de sa musique, sa poésie, son théâtre, son cinéma, sa cuisine, ses arts plastiques (sans parler du charme de ses habitantes ou de la beauté de Budapest). Mais ici encore, pour combien de temps ? Demandez donc leur avis à Imre Kertész, György Konrád, Iván Fischer, András Sdchiff ou encore Béla Tarr, si vous les croisez.


(1) Jugé dangereux (ligne 3) par une récente expertise: wagons vieux de 35 ans, dont un s’enflamme en moyenne tous les deux mois; rails et ballast instables, cloisons fissurées par des infiltrations d’eau, etc…

(2) Pour des prix de l’alimentation à peine inférieurs à ceux de la France et avec une TVA de 27% sur le gaz et l’électricité.

(3) Projet approuvé par seulement 27% de la population, dont 49% parmi les partisans déclarés d’Orbán (sondage privé). L’action avait, certes, été votée par le Parlement, mais on sait que, fort de sa fidèle majorité des deux tiers, Orbán y fait la pluie et le beau temps (…plutôt la pluie…)

(4) Le 25 octobre 1956, des chars avaient tiré sur la foule rassemblée place Kossuth, faisant entre 80 et 200 morts. Drame aujourd’hui rappelé par deux monuments. /István Tisza: Premier ministre avant et pendant la Première guerre (grand admirateur de Bismarck). Comme son père Kálmán, il eut un bilan mitigé:  ayant, certes, modernisé le royaume, mais s’étant en  même temps mis à dos les minorités en leur imposant une magyarisation à outrance.  Son mérite: avoir condamné l’antisémitisme et refusé l’invasion de la Serbie en 1914. Il fut assassiné en 1918.

(5) Spécialiste des boutades percutantes, Matolcsy s’était également fait remarquer en déclarant que l’on pouvait fort bien vivre avec 47 000 forints par mois (160 euros, ce que touchent les chômeurs affectés aux travaux d’utilité publique à plein temps), son collègue de l’Intérieur (Pintér) ayant ajouté pour réfuter les critiques. « Si, c’est possible, pour peu que l’on ait par exemple une chèvre ». Lui non plus ne plaisantait pas…

Pierre Waline

Diplômé des Langues'O (russe, hongrois, polonais), Pierre Waline est spécialiste de l'Europe centrale et orientale. Il vit a Budapest où il co-anime entre autres une émission de radio.

13 Comments
  1. Comme d’hab je râlerai sur le « de source officielle, il est reconnu que 37% des Hongrois vivent en-dessous du seuil de pauvreté avec 64 000 forints (217 euros) par tête de pipe » étant donné que l’argent transite plus en sous main qu’autre chose: on ne peut donc chiffrer. Ca ne veut pas dire que l’ordre d’idée soit fausse, on ne sait juste pas vraiment.

    Les mesures d’Orban à mon avis encouragent pleinement l’illégalité économique, ce qui est l’opposé du but recherché.

  2. @le_butch
    L’économie grise, les petits boulots au noir et les a coté? Ca me semble bien révolu, tout cela (que j’ai bien connu sous le socialisme…). Du moins tel que je le percois dans mon entourage immédiat d’employé(e)s qui font largement beaucoup plus de leurs 40 heures, sans compter les transports hyper lents, longs et inconfortables, qui se levent a l’aube et rentrent épuisés le soir.
    Par contre (et je ne parle que pour Budapest, connaissant moins bien la province), chacune, chacun tente de s’en sortir a peu pres en cultivant quelques légumes ou élevant des poules dans son petit jardin. Car, a la différence de Paris, la grande banlieue de Budapest (par ex. XVeme et XVIeme arrdts, tous les Rákospalota et cie) est composée d’une multitude de ces petites maisons ex-campagnardes (ca se voit bien quand on arrive en avion par le Sud, coté Pest). Mais cela ne suffit pas. Quant au chauffage, beaucoup passent au bois (qui coute malgré tout encore assez cher) et l’eau provient souvent du puits. Pour se vétir, il y a les fripperies, certes, mais tout de meme… Par contre, le litre de lait UHT grandes surfaces a 200 forints (75 cts) n’est guere moins cher qu’en France, etc.
    Entendu aux informations d' »hier: 1 000 000 de Hongrois (10%) ont des retards qui dépasent le délai légal pour le reglement de leurs factures (essentiellement gaz et électricité) et pres de 50 000 foyers se sont vu couper le gaz ou le courant… Ce n’est donc pas la joie….
    Le plus irritant est le contraste entre les revenus de ces hommes politiques qui dédramatisent cyniquement la situation avec plus de 2 millions de forints par mois, sans compter les entrepries qu’ils controlent..(cf. Pintér et Matolcsy). Bref, la situation est dramatique, je le mantiens. Le contratse existe aussi en France, mais pas a ce point. Ici, les proportions et inégalités relevent quasiment du délire.
    Construire des stades pendant ce temps me parait totalement déplacé, une folie !… (Alors que les infrastructures, notamment les voies ferrées – mise a part la ligne Bp-Vienne – sont souvent a refaire).

  3. Cher Pierre, je ne vais pas réagir à l’article avec lequel je suis assez d’accord.

    Personnellement, c’est à la campagne que j’observe les hongrois dans leur vie au quotidien. Ici tout se paye au black et les villageois depuis peu viennent même nous proposer toutes sortes de services. Bien sûr, les lopins de terre sont cultivés, les poules et les poulets sont rentrés soigneusement le soir de peur que le róka (renard) ne vienne se servir.
    Bien souvent se sont les œufs qui s’invitent au menu, mais Agnus s’en prive pour nous les vendre et le billet que je lui tends va directement dans l’enveloppe marquée ÉON pour régler la facture d’électricité. J’achète mon bois de chauffage sans facture et le stère est plus cher qu’en Belgique. L’eau de notre puits, je l’ai faite analyser par un laboratoire liégeois qui la déclarée sans équivoque, impropre à la consommation humaine et pourtant certains habitant du falu (village) notamment les tsiganes boivent cette eau dangereuse pour la santé.
    Les gens se débrouillent, certains vont pêcher, pas pour le sport mais pour faire varié le menu.
    D’autres braconnent et il ne fait pas bon être un canard même dans la réserve naturelle.
    Une friperie j’en ai même trouvé une tenue par des chinois parmi les boutiques de luxe dans la station huppée de Héviz.
    Par contre lorsque j’emprunte l’autoroute M7 pour me rendre à Budapest, je suis scié de voir le nombre de très grosses bagnoles immatriculées en Hongrie. Je ne les jalouse pas, mais je peux imaginer la rancœur de mon voisin Ferenc qui se lève de bonne heure va faire sa journée de travail en bus et lorsqu’il rentre monte dans sa petite voiture vieille de dix ans pour aller vers un autre boulot.
    Zs.

  4. Il faut dire plutôt : « Ceausescu ne sois pas triste, Hollande aussi est communiste ! »

  5. Je connais un couple avec des grands enfants, la cinquantaine, classe moyenne hongroise typique. Ils ont par hasard tous les deux perdus leur emploi à quelques mois d’intervalle. Ils ont épuisé les 3 mois d’ASSEDIC (plafonnés à 200 euros nets) et ont fait une demande de l’équivalent du RMI (22 500 FT nets par mois, soit moins 60 euros) et ont leur a dit que depuis janvier seulement une personne par ménage pouvait toucher le RMI, donc ils ont pour vivre à l’heure actuelle 22 500 FT + 26 000 Ft d’allocations sociales, alors qu’ils ont cotisé toute leur vie et n’ont jamais été au chômage. C’est encore une idée géniale pour remettre les pareusseux au travail du tandem Matolcsy/Balog. Arbeit macht frei.

  6. Je suis triste en lisant ça pour l’image de la Hongrie à l’étranger et aussi triste que le niveau de vie des hongrois se dégrade…L’argent des stades devrait utilisé à autre chose (notamment la rénovation du métro de Budapest), bref certes cela crée des emplois mais cela ne change pas la situation de beaucoup de citoyens hongrois à mon avis…Et je doute que les gesticulations d’Orban fassent effet pour recevoir encore plus de fonds de l’Union Européenne.

  7. Bon article : bravo ! Et un ajout de ma part, concernant les monuments commémorant 1956. Il en est un, d’un goût douteux, dans le petit carré de la station Harminckettesek tere (VIIIe arrondissement de Budapest). Croyez-le si vous voulez : la plaque des donateurs arbore… Jobbik. Le parti extrémiste des ultras de Hongrie. J’aime ce pays : je dis simplement que les extrémistes grignotent. Et que les gens (fatigués, au chômage, sous pension dérisoire, malades ou payés au noir) se résignent. Attention, et vous le mentionnez : plus de 20 % des votants Jobbik ont, virtuellement, vocation à se déplacer aux urnes. (Comme souvent le font les ultras.) Avec des conséquences graves pour la vie de la Hongrie au sein de l’Union : vous imaginez ? Encore bravo pour votre blog — Continuez !

  8. A Lionel :
    Votre manière de combattre les hongrois qui soutiennent le jobbik , si toutefois vous êtes à votre place pour ce faire, est plutôt dérisoire.
    Visiblement pour vous, ce monument commémorant 1956 est d’un goût douteux uniquement du fait que le jobbik est mentionné parce qu’ayant participé au financement.
    Argumentation plutôt pitoyable !
    Il est clair que vous ne connaissez pas bien les hongrois

  9. Un jour un membre du Jobbik a déclaré que le feu brûle et que l’eau mouille. Depuis je m’éloigne avec dégoût de toute personne tenant des propos semblables car s’ils sortent de la bouche d’un membre du Jobbik, il est évident que ce sont là des propos nauséabonds racistes fascistes antisémites nazis rappelant les heures les plus sombres de notre Histoire.

  10. Bonjour à tous. J’ai emmenagé à Budapest il y a presque un ans pour renouer avec mes origines,
    Ce que je vois autour de moi m’affole un peu. Comment La Hongrie peut-elle avoir un tel taux d’abstention? La plus part des personnes que je côtoie dans mon cadre professionnel me disent que voter
    ne sert plus à grand chose (ils sont pourtant les premiers à apprécier les « boulevards politiques » et à jaser).
    Je dois admettre que le systeme politique hongrois ne m’est pas encore famillié. (je remercie d’ailleur ce blog qui m’aide a y voir un peu plus clair)
    Mais tout de meme, comment peut on laisser un si beau pays s’effondrer?

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