Le parti d’Orbán crée des pseudos-fondations pour monopoliser le pouvoir et les biens publics

En vertu d’une loi votée ce mardi au parlement par la majorité de droite, l’État va opérer un transfert massif d’actifs et de biens publics vers des institutions parallèles contrôlées par le Fidesz. Il s’agit de parer à une éventuelle défaite électorale en 2022, selon la presse indépendante hongroise. L’opposition dénonce un « pillage » et une « trahison ».

Ce 27 avril 2021 marque une nouvelle accélération de la monopolisation du pouvoir par le parti de Viktor Orbán. La majorité de droite Fidesz-KDNP a adopté une loi qui organise le transfert d’une part massive de la richesse nationale vers de nouvelles entités juridiques au statut incertain mais dont il apparait qu’elles sont et resteront sous le contrôle exclusif du Fidesz.

« En ce début de la troisième décennie du 21e siècle, la diversité des missions publiques à accomplir est changeante et cela nécessite de repenser le rôle de l’État », exposait le projet de loi, déposé le 31 mars par le ministre de l’Innovation et de la Technologie László Palkovics.

La loi consiste en une externalisation de services publics et un transfert d’actifs et de biens de l’Etat vers 32 fondations créées et contrôlées par le parti du chef du gouvernement Viktor Orbán. Reconnues d’intérêt public, elles opéreront dans les domaines de la culture, du tourisme et de l’éducation. Chaque fondation recevra une première dotation de 600 millions de forints, équivalente à 1,7 millions d’euros.

C’est dans l’enseignement supérieur que le bouleversement est le plus spectaculaire : plus des deux-tiers des Universités publiques ont déjà été placées sous le régime de fondations au cours des derniers mois. A titre d’exemple, la fondation Mathias Corvinus Collegium, dirigée par des fidèles du Fidesz et qui dirige désormais l’Université d’Economie de Budapest, jouit d’un budget cumulé supérieur à celui de tout l’enseignement supérieur en Hongrie.

De plus, l’État va faire don à ces nouvelles structures de châteaux, de centres de villégiature, de ports, de parcs, de propriétés foncières, de théâtres et de cliniques, explique le webjournal indépendant « Telex ». Des « milliers de milliards de forints » sont en jeu, rapporte la presse magyare, bien qu’il soit encore difficile de cerner les contours de la loi et ses conséquences.

Les partis de l’opposition ont organisé une conférence de presse devant le parlement après le vote pour dénoncer à l’unisson un « pillage organisé » et une « trahison ». « Le Fidesz sacrifie simplement la viabilité de l’État hongrois pour construire un État parallèle géré par les fidèles de Viktor Orbán », a par exemple écrit András Fekete-Győr, président de Momentum, sur Facebook.

Des structures quasi-privées dans les mains du Fidesz

La loi hongroise dispose que ces nouvelles structures sont « d’intérêt public » et « indépendantes de l’actuel gouvernement ». En réalité, elles s’apparentent plutôt à des structures privées et la législation verrouille le dispositif de façon que le Fidesz puisse en conserver le contrôle exclusif.

Miklós Ligeti, de l’ONG Transparency International, juge qu’« une part importante de la richesse nationale est désormais donnée à des fondations qui resteront à jamais sous le contrôle de personnes fidèles aux détenteurs actuels du pouvoir ». Il dénonce un « non-sens juridique » et rien de moins qu’« un pillage des biens de l’État ».

Le gouvernement avait préparé le terrain par l’adoption d’un neuvième amendement à la Loi fondamentale, voté le 15 décembre dernier, qui restreint la notion d’« argent public » de façon à soustraire les fonds ainsi transférés à la propriété et au contrôle de l’État.

Le dispositif final qui consacre ce nouveau montage juridique doit être complété par une autre loi, en préparation, qui prévoit la création d’une autorité de régulation de ces fondations, dont le président sera désigné par le Premier ministre pour neuf ans, comme c’est le cas par exemple pour le Conseil des médias.

« En cas d’alternance politique, le nouveau gouvernement devra partager le pouvoir avec un gouvernement parallèle, un état profond niché dans l’administration et dirigé par Viktor Orbán » – András Schiffer, ancien député du parti LMP aujourd’hui avocat.

Conserver le pouvoir de l’argent une fois dans l’opposition

Selon une analyse très partagée et développée sur le site du média « Telex », il s’agit pour le Fidesz d’anticiper une éventuelle défaite électorale lors des élections législatives l’an prochain : en limitant la marge de manœuvre d’un gouvernement non-Fidesz ; en offrant des débouchés à ses fonctionnaires évincés de l’administration publique ; et en maintenant son réseau clientéliste.

« Maintenir en vie le NER [le système Fidesz – Ndlr.] coûte très cher », argumente Telex, prenant l’exemple de la myriade de médias pro-gouvernementaux, incapables de survivre dans un contexte de concurrence libre, sans perfusion d’argent public.

« Il devient évident que le Fidesz se prépare à perdre des élections qu’il pourrait encore gagner facilement s’il gouvernait dans l’intérêt du peuple et pas seulement de ses élites », analyse l’économiste et sociologue Gábor Schering. « Mais, incapable de changer de cap, il se tourne vers cette privatisation rapide du pouvoir économique et institutionnel ».

L’universitaire, docteur de l’Université de Cambridge et chercheur à l’Université Bocconi, estime que le Fidesz s’inspire des Socialistes qui avaient su perpétuer leur pouvoir dans les médias et l’économie, même rejetés dans l’opposition dans les années 1990 et au début des années 2000. Selon la formule de László Kövér, le président Fidesz du parlement, « nous étions au gouvernement, mais pas au pouvoir » en 1998-2002.

« Bien sûr, leur perception est déformée », complète Gábor Schering, « car les socialistes n’ont jamais eu ce genre de réseau centralisé sur le pouvoir institutionnel et économique. Même à leur apogée, les élites économiques étaient beaucoup moins directement alignées sur les socialistes ».

Vers un « État profond » Fidesz ?

András Schiffer, ancien député du parti LMP et aujourd’hui avocat, qui se tient à équidistance du pouvoir et de l’opposition, va plus loin dans l’interprétation. « En cas d’alternance politique, le nouveau gouvernement devra partager le pouvoir avec un gouvernement parallèle, un état profond niché dans l’administration et dirigé par Viktor Orbán ».

Juste avant le vote ce mardi matin, la députée indépendante Bernadett Szél a jugé que « le Fidesz est en train de construire un État parallèle ». Ce dernier devra affronter aux élections législatives de 2022 cinq partis coalisés et bien décidés à faire du scrutin un referendum contre Viktor Orbán. Des juristes affiliés à l’opposition s’arrachent déjà les cheveux pour trouver comment faire sauter le verrou Fidesz, dans l’hypothèse d’une alternance…

Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).