« Vendredi arc-en-ciel » : une mobilisation en demi-teinte dans les écoles polonaises

Ce 25 octobre était organisé le « Tęczowy piątek » ou « Vendredi arc-en-ciel » dans les écoles polonaises. C’est la quatrième année que cette journée d’acceptation est proposée par les directeurs, les parents et les élèves afin de montrer que les élèves LGBT+ peuvent se sentir en sécurité dans les établissements scolaires. Seules 200 écoles avaient suivi la mobilisation l’an dernier.

Varsovie, correspondance – Devant le lycée privé Bednarska, à Varsovie, des élèves dessinent un arc-en-ciel au sol, sur le trottoir, à la craie. D’autres en font dans la cour. C’est l’effervescence à midi, ce vendredi. Beaucoup se retrouvent dans le hall, chacun affublé des couleurs arc-en-ciel. Sur leurs pulls, leurs chaussettes, leurs t-shirts ou plus simplement, en portant le drapeau sur ses épaules. C’est le cas de Maks Szwejeski, 18 ans. Ce jeune homme gay se sent mieux depuis qu’il est arrivé dans cet établissement.

« Dans mon ancien lycée, je parlais déjà ouvertement de mon orientation sexuelle. Je mettais des habits roses, j’exprimais mes sentiments, je n’avais pas honte de cela. Mais tous mes camarades me montraient du doigt. Une fois, j’ai même dû me cacher dans la maison d’un ami car des lycéens m’ont poursuivi dans la rue. C’était il y a seulement un an. Il faut montrer que nous nous soutenons les uns les autres, que nous pouvons vivre normalement. Il faut réussir à changer les choses. »

Maks. Photographie : Fany Boucaud

Dans son ancien lycée, la journée du « Vendredi arc-en-ciel » n’a pas été suivie. Son ancienne directrice a interdit l’événement. En cause : ses convictions religieuses qui ne lui permettraient pas d’accepter ce genre de comportements.

Cette journée est optionnelle, soumise à l’accord de la direction, du corps enseignant, des parents et des élèves eux-mêmes. Rien n’est obligatoire. Mais dans certaines villes comme à Toruń, au centre du pays, les lycéens n’ont pas eu le droit d’organiser quoi que ce soit selon Gazeta Wyborcza. La direction du lycée Nicolas Copernic prétextant que l’école devait être apolitique, donc qu’il n’y a pas de place pour le « Tęczowy Piątek ». Les lycéens ont contourné l’interdiction en mettant des drapeaux arc-en-ciel sur les barrières devant la porte d’entrée.

70% des jeunes personnes LGBT+ ont des pensées suicidaires

Entre les tables où les lycéens jouent aux échecs et les autres décorent de papiers crépons l’établissement en rouge, bleu, rose, orange et vert, Elwira Bazylińska, professeure de français, prend sa pause. Elle se dit fière de ses élèves et de ce message de paix et de tolérance qu’ils portent en participant à cette action. Car pour elle, parler de l’homosexualité est encore un tabou aujourd’hui en Pologne, et particulièrement dans les écoles.

« Selon des chercheurs polonais, 70 % des jeunes LGBT ont des pensées suicidaires. Et la moitié d’entre eux souffrent de dépression. Nous sommes à Varsovie, qui est une grande ville généralement plus tolérante, plus ouverte. Mais en fait, non. Je travaille dans une autre école, publique. J’ai discuté avec mes collègues du vendredi arc-en-ciel. Certains profs ont été bouleversés par cette idée-là. Donc si les profs se comportent ainsi, je ne sais pas comment les enfants vont apprendre un comportement différent. »

Des jeunes récoltent de l’argent en vendant des gâteaux pour une œuvre caritative, association pour les enfants hospitalisés. Photographie : Fany Boucaud

Et les enseignants ne sont pas les seuls à s’être opposés à cette journée de tolérance. Les politiques du PiS, Droit et justice, ont également critiqué violemment l’initiative. Certains fustigent l’identité de genre, qui ne se formerait qu’après l’âge de 20 ans selon eux. D’autres estiment que ce n’est pas dans le programme scolaire. Et enfin, ceux qui parlent d’idéologie, de propagande, qui n’a rien à faire dans les écoles.

Des discours entendus depuis plus de six mois en Pologne. En effet, durant la campagne pour les élections européennes puis législatives, les candidats du PiS se sont attaqués aux personnes LGBT. Les mêmes mots ont été utilisés, répétés à outrance sur les médias pro-gouvernementaux : ces personnes viennent dans les écoles pour pervertir vos enfants.

Difficile donc pour certains directeurs, d’assumer le « vendredi arc-en-ciel ». Mais pas pour Bartlomiej Pielak, directeur adjoint du lycée Bednarska depuis 6 ans. Cet homme grand, brun, en jean baskets, revendique l’organisation de cette journée spéciale et ne se soucie pas des recommandations du ministère.

« Notre école est un lieu amical. Si le ministère de l’Education veut venir vérifier ce qu’il se passe ici, il est vraiment le bienvenu. Et nous ferons de notre mieux pour parler, débattre, expliquer notre démarche. Car nous sommes fiers de ce que nous faisons, nous ne faisons rien de mal. Nous avons 400 élèves ici et ils peuvent parler de tout. C’est notre devoir de les rendre conscient de ce qu’il se passe autour d’eux. Je pense que les directeurs qui ne mettent pas en place ce vendredi arc-en-ciel ont peur d’être réprimandé par le ministère. »

Bartlomiej Pielak. Photographie : Fany Boucaud
L’Eglise catholique polonaise ne veut pas du vendredi arc-en-ciel

En Pologne, l’Eglise catholique est très influente et les cours de religion dans l’école publique y sont toujours dispensés. Juste avant la tenue du « Tęczowy Piątek », la Commission épiscopale pour l’éducation a rappelé que, selon elle, « l’école n’est pas et ne peut pas être un lieu de promotion des environnements LGBTQ. »

Un discours qui attriste Łucja, 14 ans, élève du lycée Bednarska. Elle se dit blessée par les mots de l’Eglise catholique, sa religion.

« A l’école, on m’a parlé des personnes LGBT, vers l’âge de 10 ans. A cet âge-là, tu sais déjà qui tu es, comment tu te sens, tu as conscience des gens qui t’entourent. Alors entendre ça, ça me rend triste parce que nous sommes tous égaux. Si on enseignait plus tôt aux enfants de quoi il s’agit, il n’y aurait pas ce genre de comportement, de discours. Je suis catholique, pratiquante. Et dans notre communauté de croyants, en ce moment, ce genre d’initiative comme le « vendredi arc-en-ciel », n’est pas bien vu. Mais nous sommes une nouvelle génération et pour moi, c’est une bonne chose. Je ne sais pas si ça se dit, mais je grandis dans un environnement où tous les matins, mes céréales et mon lait ont le goût de la tolérance et de l’acceptation de soi ! »

Le ministère de l’Education a recommandé aux écoles de commémorer ce même jour, les anciens combattants et les héros polonais, plutôt que de participer au « vendredi arc-en-ciel ». Des actions telles que nettoyer les tombes de certains héros, visiter les lieux commémoratifs locaux, y allumer des bougies ou encore inviter un héros local à partager ses souvenirs.

En réponse, dans l’après-midi, une centaine d’élèves, de plusieurs écoles de Varsovie, dont ceux du lycée Bednarska, sont allés devant le ministère pour commémorer, eux, les victimes de l’homophobie.

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Fany Boucaud

Fany Boucaud est journaliste et correspondante pour divers médias à Varsovie en Pologne.

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