Varsovie : « Je me faufile dans une marée de drapeaux aux couleurs de la Pologne »

La Pologne a célébré ce dimanche 11 novembre 2018 un bien pathétique centenaire d’indépendance. Payant le prix de leur complaisance, les nationaux-conservateurs au pouvoir se sont fait ravir la vedette par des groupes d’extrême-droite, certes minoritaires mais très visibles, lors d’une marche qui aurait rassemblé 200 000 personnes dans les rues de Varsovie. Retour sur cette fin de semaine mouvementée dans la capitale polonaise où s’est glissé le Courrier d’Europe centrale.

Varsovie, envoyée spéciale – Il y avait foule ce samedi soir dans la vieille ville de Varsovie pour assister à la messe aux victimes de l’accident d’avion de Smoleńsk. Aux portes des contrôles de sécurité, une assemblée poivre et sel se désespère de ne pas pouvoir entrer dans la basilique-archi-cathédrale de Saint Jean le Baptiste. Pour tuer le temps, on parle des migrants, un homme derrière moi affirme qu’en France « il n’y a plus que ça ». Après quelques génuflexions, je parviens à la sortie, à discuter avec Patryk Mróz, en première année d’histoire, venu spécialement de Bydgoszcz avec ses amis. « C’est émouvant d’être ici. Lech Kaczyński est un ancien de Solidarność qui a beaucoup agi pour la politique orientale de la Pologne, en Ukraine, comme en Géorgie ».

Photographie : Hélène Bienvenu

Les croyants cheminent jusqu’à Płac Piłsudski invités par les haut-parleurs à rendre grâce à la Vierge Marie. Sur la place de la nation, non loin de la statue au père éponyme de la Seconde République polonaise, on inaugure une autre statue, plus grande encore : celle de Lech Kaczyński, président décédé dans un accident de Tupolev. « Lech Kaczyński mérite une statue, un musée, car il a très bien servi la nation », justifie son frère jumeau Jarosław Kaczyński, président du parti Droit et justice PiS (et tirant de facto les ficelles du pouvoir). « Il a fait de la Pologne un pays où il fait de mieux en mieux vivre, il a œuvré pour notre sécurité énergétique », poursuit le président actuel Andrzej Duda. Un peu plus et l’on pourrait croire qu’il s’agit de l’un des plus grands hommes d’Etat que la Pologne eut connu. De l’autre côté des barricades, l’opposition scande « Constitution, constitution » et brandit un « Stop à la création de faux héros ».

Photographie : Hélène Bienvenu
Cafouillages sur les célébrations du 11 novembre

Le lendemain, le dimanche 11 novembre, bien curieux qui pouvait prétendre connaître le déroulement exact des événements. La faute à un imbroglio de dernière minute. Car le 11 novembre, c’est depuis huit ans le créneau des nationalistes polonais, de l’ONR (Obóz Narodowo-Radykalny, le « camp nationaliste radical ») et du mouvement Młodzież Wszechpolską (« la jeunesse pour toute la Pologne »), qui organisent ce jour férié là une « marche de l’indépendance ». S’y ajoute le Ruch Narodowy (« mouvement national »), un parti politique dont le leader Robert Winnicki est député à la Diète – l’un des rares élus nationalistes du pays. (Lire notre interview avec Robert Winnicki : « Nous sommes un parti national-catholique et eurosceptique »)

La marche de l’an dernier avait rassemblé quelques 60 000 personnes et vu fleurir des banderoles telles que « l’Europe blanche ». Il était donc hors de question pour ces organisations de laisser le centenaire de l’indépendance au seul gouvernement de Mateusz Morawiecki. Rebondissement, mercredi, la mairie de Varsovie bannit la marche. Deux jours plus tard, l’interdit est cassé par la justice polonaise. Dans la foulée le gouvernement polonais décrète organiser une marche à la même heure…sur le même tracé. Finalement, accord de dernière minute : les nationalistes défileront derrière la marche officielle du gouvernement, séparés par un cordon sanitaire. Ils n’auront droit qu’au drapeau national. Et ce sont derrière les nationalistes que se sont groupés les Polonais.

Une marée de drapeaux blanc-rouge

A 13h30 ce dimanche, quand je sors du métro Centrum, c’est une marée de drapeaux aux couleurs de la Pologne qui m’accueille. Des haut-parleurs crachent des chansons patriotiques. J’interroge un jeune manifestant, Dawid Zawalski, 27 ans venu avec son père de Przymysł à l’est de la Pologne. « Je n’appartiens à aucun parti ou ni mouvement, on est juste contents de célébrer les 100 ans de la Pologne. Tous ces drapeaux, c’est beau, je ressens un moment d’unité. C’est bien d’être dans l’UE mais chacun doit garder sa souveraineté », me dit-il.

Photographie : Hélène Bienvenu

J’avance dans la foule. J’aperçois le drapeau vert de l’ONR. Pas de doute, je suis au bon endroit. Un camion ONR-Mlodziesz Wszechpolska harangue la foule : « Hanka, on arrive », défiant ainsi la mairesse libérale de Varsovie qui avait tenté d’interdire le rassemblement. « Liberté, foi, nationalisme« , « Hier Moscou, aujourd’hui Bruxelles », « ni rouge ni arc-en ciel, on veut une Pologne nationale » ou encore « mort à l’ennemi de la patrie ». Je sors mon carnet de notes et mon appareil photo. Mon voisin de gauche commence à tiquer… ça n’a pas l’air de lui plaire. C’est vrai que contrairement au monde qui m’entoure je n’arbore d’aucun symbole national. Et je ne saute pas quand il faut montrer qu’on est contre l’UE… La 3G s’arrête, on est sans doute trop nombreux à l’utiliser. Ça boit de la bière et de la vodka sur ma droite. Puis le convoi se met finalement en branle.

Sous une nuée de pétards et de fumigènes, je repère un manifestant brandissant un drapeau du Mouvement national. « Je me considère comme nationaliste oui. L’Union européenne n’a pas à nous dicter ce qu’on doit faire avec nos juges, qui exerçaient déjà du temps de l’état de guerre. C’est inacceptable ». Décidément, c’est la deuxième fois que j’entends ce même argument au sujet des juges de la cour constitutionnelle, ennemis de la nation.

On est vraiment très nombreux, trop serrés. Je me faufile entre les drapeaux, majoritairement agités par des hommes, des jeunes surtout et quelques familles. Au niveau du musée national, j’entends retentir une deuxième fois « la Pologne aux Polonais« . Et je m’invite à une conversation en hongrois. Tiens, c’est László Toroczkai, ex-Jobbik et fondateur du mouvement magyar « Notre patrie », célèbre maire de Ásotthalom, qui est là avec ses amis et une copine française. « Je connais les organisateurs du Mouvement national depuis 10 ans ». Il n’était pas le seul invité étranger à cette marche où l’on a pu apercevoir comme les années précédentes les nationalistes italiens de Forza nuova, des Espagnols, des Serbes…

Photographie : Hélène Bienvenu

Une ambulance coupe la foule. Je n’en peux plus des fumigènes… Devant moi, le bloc noir encagoulé parade, il affiche une croix celtique. Glaçant. J’avise un groupe de jeunes de basse Silésie. Ils sont là pour la première fois à la marche, pour Patryk Dworzyński, 21 ans, c’est un rêve qui devient réalité : « Les Polonais ont toujours su s’unir dans les moments difficiles, aujourd’hui on rend hommage à tous ceux qui se sont battus pour notre liberté comme mon grand-père et nous ont permis de vivre dans une Pologne indépendante ». Sur le chemin du retour, alors que l’ONR avait déjà brûlé un drapeau de l’UE, je croise Tomasz Hozakowski, un informaticien de 33 ans, qui a ajouté le drapeau de l’UE à celui de la Pologne : « l’extrême droite polonaise accapare les symboles nationaux, moi je suis venu manifester mon opposition et rappeler que nous sommes dans l’UE. Dans la foule, on ma demande de retirer le drapeau européen. Je regrette que cette fête nationale ne se soit pas déroulée à l’unisson ».

Si aucun incident n’est a priori à reporter, pas de doute que le gouvernement essuie un vrai revers face aux nationalistes polonais, par lesquels il s’est fait débordé sur son propre créneau à l’occasion de cette fête du centenaire.

Pologne : à l’extrême-droite du PiS, les ultra-catholiques en embuscade

Hélène Bienvenu

Journaliste

Après avoir correspondu depuis Budapest de 2011 à 2018 pour de nombreux médias (dont La Croix et le New York Times), Hélène est retournée à ses premières amours centre-européennes, en Pologne. Elle correspond désormais, depuis Varsovie, pour Le Figaro et Mediapart, entre autres.

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