C’est la principale conclusion à retenir de la visite officielle du Premier ministre hongrois Viktor Orbán aux autorités polonaises. Varsovie et Budapest préfèrent faire cavaliers seuls et tenir tête à Bruxelles plutôt que de suivre le chemin de Prague et de Bratislava qui craignent de se trouver marginalisées dans l’Union. Le groupe de Visegrád est-il en passe d’être relégué à un simple club de coopération économique ?
Varsovie (correspondance) – Le Premier ministre hongrois Viktor Orbán était vendredi dernier à Varsovie où il a rencontré les principaux responsables de l’État polonais : le président de la République Andrzej Duda, le chef du gouvernement Beata Szydło et surtout Jarosław Kaczyński, le dirigeant du parti Droit et justice (PiS) réputé détenir toutes les manettes du pouvoir dans le pays. Ryszard Terlecki, président du groupe parlementaire du PiS, avait d’ailleurs lâché la veille de l’arrivée de Viktor Orbán que la rencontre avec Jarosław Kaczyński était l’élément « le plus important » du déplacement.
Spotkanie Jarosława Kaczyńskiego prezesa PiS z Victorem Orbanem szefa Fideszu będzie najważniejszym spotkaniem jutrzejszej wizyty
— Ryszard Terlecki (@RyszardTerlecki) September 21, 2017
C’est la première fois que le Premier ministre hongrois effectue une visite officielle en Pologne, bien qu’il ait déjà rencontré Beata Szydło et Jarosław Kaczyński notamment lors des sommets du groupe de Visegrád ou d’événements moins formels. Sa venue résulte de l’invitation des autorités polonaises et intervient un mois après la tournée du président français Emmanuel Macron en Europe centrale. Ce dernier s’était alors entretenu avec les dirigeants autrichien, tchèque, slovaque, roumain et bulgare mais avait ostensiblement exclu de son programme la Pologne et la Hongrie, sous le feu des institutions de l’UE pour infraction au droit européen et violation des principes de l’État de droit.
L’initiative du chef de l’État français avait été perçue comme une tentative de miner l’unité du groupe de Visegrád en cherchant le soutien de la République tchèque et de la Slovaquie pour mieux isoler la Hongrie et la Pologne, dans le dossier de la révision de la directive travailleurs détachés comme plus largement dans la relance du projet européen.
Les récentes déclarations des chefs de gouvernement slovaque et tchèque tendent à confirmer que ce pari a fonctionné : Robert Fico n’a-t-il pas affirmé « être très intéressé par la coopération régionale avec le groupe de Visegrád, mais [voir] l’intérêt vital de la Slovaquie dans l’UE, […] proche du noyau dur, de la France et de l’Allemagne ? » De son côté, Bohuslav Sobotka ne demande-t-il pas pour Prague un statut d’observateur dans les réunions de l’Eurogroupe et une pleine participation dans la coopération structurée permanente en matière de défense ?
Orbán prend acte des divergences au sein du V4
Le repli du groupe de Visegrád n’est pas seulement visible dans la réduction au format bilatéral de la rencontre Szydło-Orbán, mais aussi dans le contenu de leur conférence de presse conjointe. Le Premier ministre polonais n’a pu donner que deux éléments concrets : faute de pouvoir bloquer le processus de révision de la directive, Varsovie accepte désormais l’idée d’un « compromis » à propos des travailleurs détachés si le transport routier n’est pas inclus dans le champ des négociations. La France, fer de lance de la réforme des principes du détachement, avait déjà lâché du lest fin août sur ce point pour ne pas perdre le soutien de l’Espagne, de la Bulgarie et de la Roumanie, qui sont des poids lourds du transport de marchandises. Le renforcement de la régulation dans ce secteur sera de toute façon rediscutée dans le cadre des négociations du « paquet mobilité ».
L’autre phrase marquante de Beata Szydło concerne la politique de migration et d’asile. En dépit de l’arrêt rendu le 6 septembre dernier par la Cour de justice de l’UE et confirmant la légalité du mécanisme temporaire de relocalisation des demandeurs d’asile, Varsovie et Budapest continueront d’accorder la priorité à la « sécurité de leurs citoyens » et maintiennent donc leur refus de participer à cet instrument de solidarité européenne, quitte à s’exposer à des sanctions.
Pour sa part, Viktor Orbán a été plus dissert et a exprimé une vision plus large de l’avenir de l’UE et des divisions Est-Ouest. Tout d’abord, il a pris acte des divergences au sein du groupe de Visegrád sur les grandes orientations stratégiques – même les positions communes du V4 sur des questions précises comme le travail détaché et la gestion de la crise migratoire semblent aujourd’hui incertaines – et la Hongrie, qui exerce actuellement la présidence tournante du groupe, se concentrera en conséquence sur des initiatives de coopération économique.
Une « inquisition politique » contre la Pologne
Concernant la procédure de sauvegarde de l’État de droit conduite par la Commission européenne contre la Pologne, le Premier ministre hongrois a dénoncé une « inquisition politique » qui serait « dénuée de fondement » et manifesterait d’un « manque de respect » pour Varsovie. Budapest s’opposera donc à un éventuel déclenchement par la Commission de l’article 7 des traités européens, qui permettrait à terme de sanctionner l’État polonais.
Selon Viktor Orbán, la politique démographique et migratoire constitue aujourd’hui le principal clivage à l’intérieur de l’UE entre, d’une part, les anciennes puissances coloniales qui misent sur l’immigration pour répondre au défi démographique et, d’autre part, les pays qui refusent le mélange des populations et des civilisations et privilégient la politique familiale. « Nous respectons le choix des autres États, respectez le nôtre« , a-t-il déclaré.
À ceux qui estiment que cette division pourrait à terme mener à une dislocation de l’UE, il a rétorqué que l’Union n’aurait pas d’avenir sans le dynamisme économique apporté par les pays d’Europe centrale et orientale. Sa solution à la crise de l’UE tient en une phrase : « moins de Bruxelles, plus d’États membres« .
Si l’on ne connaît pas la teneur des échanges entre Viktor Orbán et Jarosław Kaczyński, on perçoit néanmoins que le « super-Premier ministre » polonais est prêt à consentir les plus grands sacrifices pour défendre sa politique. Un plus tôt ce mois-ci, il avait annoncé : « Personne ne nous imposera sa volonté de l’extérieur. Même si dans certains dossiers, nous sommes amenés à être isolés en Europe, nous continuerons à être cette île de liberté, de tolérance et de tout ce qui a été si fortement présent dans notre histoire. » À bon entendeur.
Photo : Balázs Szecsődi / MTI