Une visite du Centre européen « Solidarność » de Gdańsk : la Pologne remise au cœur de l’histoire européenne

Le Centre européen “Solidarność” se situe au cœur des chantiers navals de Gdańsk, au Nord de la Pologne, à l’endroit même où dans les années 1980 le mouvement ouvrier a fait basculer l’histoire de la Pologne. Un centre qui cherche à placer ce mouvement au cœur de l’histoire européenne. Récit d’une visite, par Léo Quester.

“Découvre l’histoire, décide de l’avenir“ voilà le slogan par lequel la visite du musée du Centre “Solidarność” commence. Érigé à l’emplacement de l’ancien chantier naval Lénine, principal site de construction naval de la Pologne soviétique, et séparé des actuels chantiers de la principale ville portuaire polonaise par la “Morte Vistule”, le centre agit comme un pont entre le passé et l’avenir. Le centre dénote autant par sa modernité architecturale, qu’il se fond dans le paysage en raison des plaques de métal le recouvrant, celles-ci étant autrefois utilisées par les ouvriers des chantiers. Premièrement, en marchant depuis le centre historique, il est difficile de le distinguer, et seules sont visibles les gigantesques grues au loin.

Puis progressivement, une immense statue émerge, il s’agit du monument aux morts rendant hommage aux “Travailleurs du chantier naval tués en 1970”. Une quarantaine d’ouvrier avait en effet trouvé la mort lors des émeutes de la Baltique qui ont éclaté dans le nord de la Pologne, en particulier dans les villes les villes côtières de Gdansk, Gdynia, Elbląg et Szczecin. Ce mouvement, provoqué par une augmentation soudaine des prix des denrées alimentaires et des produits de première nécessité avait été réprimé par l’Armée populaire de Pologne et la Milice. Il suffit alors de faire un pas de côté pour passer la porte qui marquait auparavant l’entrée dans le chantier naval Lénine, et pénétrer dans le centre.

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À l’intérieur, entre un centre universitaire de recherche et d’enseignement, une médiathèque et une salle de conférences, se trouve le musée retraçant l’histoire de “Solidarność”, le mouvement ouvrier initié à l’été 1980 par Lech Wałęsa. La visite se fait avec un audioguide et débute par la présentation du rôle du musée et donc avec le slogan du centre “Découvre l’histoire, décide de l’avenir”. Pendant ce temps, les visiteurs sont invités à rester au rez-de-chaussée pour admirer la vue sur le monument hommage aux travailleurs tués en 1970. D’emblée, la narration de l’audio-guide nous présente “Solidarność” comme une partie intégrante de l’héritage européen en tant qu’il fut un qu’exemple de “mise en pratique de la citoyenneté”. Cette mise en scène initiale vient insister sur l’idée d’un pont joignant passé, présent et avenir, et ce d’autant plus que le centre a obtenu en 2015 le label du patrimoine européen, réservé aux lieux, et monuments témoins de l’héritage européen.

L’introduction terminée, la visite se poursuit avec une plongée immédiate dans l’univers du chantier naval Lénine. La cabine d’une grue, de véritables casques d’ouvriers au plafond, une carte géante du chantier, ou encore des pointeuses horaires recréent l’ambiance d’une salle de travail. Tout l’intérêt du musée réside d’ailleurs dans la présence dans chaque salle de nombreuses pièces d’époques et documents d’archives, dont les panneaux de bois originaux sur lesquels les membres de Solidarnosc ont écrit en 1980 leurs vingt et une revendications, panneaux classés par l’UNESCO.

@Léo Quester.

Chaque salle ou presque dépeint un nouvel univers, et comporte des reconstitutions très fidèles comme par exemple celle de l’intérieur d’un foyer polonais moyen des années 1970. Les efforts de mise en scène permettent aux visiteurs de s’identifier aux citoyens polonais de l’époque. De plus, la progression dans le musée est simple, et fluide, l’audioguide s’actualisant automatiquement en fonction de la position du visiteur, et par rapport aux images diffusés sur les écrans présents dans chaque salle.

La narration de l’audio-guide nous présente “Solidarność” comme une partie intégrante de l’héritage européen.

La qualité de la visite du Centre “Solidarność” ne repose pas uniquement sur la mise en scène. Le musée se distingue aussi par sa capacité à faire émerger à partir de l’histoire nationale polonaise, une histoire européenne. Ainsi, la visite se concentre principalement sur l’apparition du mouvement ouvrier “Solidarność” et sur le rôle clé joué par Lech Wałęsa et ses compagnons de route dans la précipitation du déclin du régime communiste en Pologne, mais pas uniquement. Toute une première partie de visite s’attarde sur les raisons ayant poussé cet électricien polonais à entraîner les ouvriers du chantier Lénine dans une grève sans précédent, parmi lesquelles la révolte ouvrière de 1970 réprimée dans le sang, la propagande et le régime de terreur des soviétiques, le rationnement et les conditions de travail. Cependant, “Solidarność” n’est pas le seul syndicat sous le feu des projecteurs et les autres initiatives syndicales existantes de l’époque sont aussi présentées.

Le musée met aussi en évidence le rôle des autres mouvements européens s’étant élevés contre les différents régimes des démocraties populaires, comme la révolution hongroise de 1956, ou le printemps de Prague de 1968. Petit à petit se dessine l’idée que le combat de “Solidarność” s’inscrivait en réalité dans un combat plus large des peuples européens contre les Soviétiques et pour la démocratie. Cette narration centre-européenne de la muséographie est un axe central de la visite. Évidemment, l’histoire du mouvement ouvrier polonais et de la Pologne en général reste amplement valorisée. Toute une deuxième partie du parcours muséographique met en avant l’héritage que “Solidarność” et Lech Wałęsa ont laissé aux Polonais et aux Européens. Les grandes victoires du syndicat ouvrier comme l’obtention du droit de syndicat libre ou encore du droit de grève, la libération artistique et culturelle de la Pologne, ou le retour d’élections libres en 1989 sont décrites, avec un accent particulier mis sur une méthode que Wałęsa aurait laissée en héritage au reste de l’Europe à savoir le dialogue et le compromis.

@Léo Quester.

La visite se termine d’ailleurs sur l’impact qu’a eu la fin du communisme en Pologne au sein des autres pays d’Europe Centrale. Cette prise de recul tend, une nouvelle fois, à rapprocher les pays d’Europe centrale et orientale dans une narration commune et une épopée collective et fondamentale de l’identité européenne. Ce Centre “Solidarność” témoigne bel et bien d’un effort pour mettre la Pologne au cœur de l’histoire européenne et d’intégrer le récit d’une construction européenne déjà amorcée de l’autre côté du Rideau de fer. Pour assurer la transmission de l’héritage de “Solidarność”, la visite prend fin avec l’avertissement suivant : “Même au 21e siècle, la culture d’une coexistence pacifique exige sans cesse un renforcement et une construction”.

« Je trouve que ce beau nom qu’est Solidarność ne mérite pas d’être traité comme ça »

Léo Quester

Membre de la rédaction

Stagiaire chargé de mission, étudiant à Sciences po Paris, campus Dijon.

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