Alors que l’opposition à Alexander Loukachenko est galvanisée par les récents rassemblements, d’une ampleur inédite dans l’ex-république soviétique, les membres de la société civile bélarusse exilée observent attentivement les élections qui se déroulent ce dimanche. Sans nécessairement partager l’optimisme de leurs compatriotes sur place.
Au Bélarus, le vote anticipé en vue de l’élection présidentielle de dimanche a débuté le mardi 4 août. Après plus d’un quart de siècle au pouvoir, le président autoritaire Alexandre Loukachenko brigue un sixième mandat. Face à lui, une opposition électrisée, ralliée autour des candidatures communes de Svetlana Tikhanovskaïa, Veronika Tsepkalo et Maria Kolesnikov : le 30 juillet, plus de 60 000 personnes se sont ainsi rassemblées à Minsk pour manifester leur soutien à la coalition d’opposition. Une mobilisation sans précédent au sein de l’ex-république soviétique.
Cette dynamique inédite n’a pas échappé à la diaspora bélarusse et aux organes de l’opposition en exil. « Un nombre croissant de Bélarusses réclame un changement démocratique », analyse un représentant de la Rada de la République Démocratique du Bélarus (RDB).
L’un des principaux groupes d’opposition à Loukachenko et plus ancien gouvernement en exil du monde, la Rada (parlement) de la République Démocratique Biélorusse a été créée en décembre 1917 dans le tumulte de la révolution russe. Devenue l’organe d’État provisoire de la République Démocratique du Bélarus en 1918, elle doit fuir peu après devant l’avance des troupes bolcheviques. N’ayant jamais reconnu la République Socialiste Soviétique de Biélorussie, la Rada s’est toujours considérée comme seul organe légitime de gouvernement du pays.
Au sortir de la Grande Guerre, le rêve avorté d’une république bélarusse indépendante
Depuis l’accession au pouvoir de Loukachenko en 1994, le parlement de la RDB s’oppose à sa gestion « autoritaire et kleptocratique » du Bélarus et sert de plate-forme pour les représentants des communautés de la diaspora bélarusse politiquement actives.
La Rada compte désormais 80 membres aux États-Unis, au Canada, au Royaume-Uni, en République tchèque, en Pologne, en Lettonie, en Russie, en Belgique et dans d’autres pays.
« Nous ne soutenons aucun politicien au Bélarus. La Rada reste strictement non-partisane. Ce sont les valeurs qui comptent pour nous : démocratie et indépendance du Bélarus. »
Si elle soutient les initiatives démocratiques au sein du pays, elle ne s’est cependant engagée formellement pour aucun des candidats aux élections : « Nous ne soutenons aucun politicien au Bélarus. La Rada reste strictement non-partisane. Ce sont les valeurs qui comptent pour nous : démocratie et indépendance du Bélarus. »
Et malgré le dynamisme de l’opposition, les précédents historiques poussent les membres de la Rada à rester prudents : « Il existe un risque élevé que le régime falsifie les résultats des élections et envoie la police contre ceux qui protestent pacifiquement contre cette situation. » Une situation reproduite lors de chacune des précédentes élections présidentielles.
Cet avis est partagé par Ales Plotka, artiste bélarusse vivant à Prague, en République Tchèque : « Je ne m’attends pas à ce qu’une révolution se produise. » S’il espère une « victoire morale » pour l’opposition, il reste pessimiste sur les possibilités d’un changement concret : « les falsifications habituelles montreront une victoire de Loukachenko. »
Les tendances hétéroclites de l’opposition bélarusse à l’étranger s’accordent cependant sur un constat : Loukachenko et son gouvernement doivent partir. Outre la répression de l’opposition, les activistes bélarusses dénoncent sa gestion « cynique et ignorante » de la pandémie de Covid-19 et ses politiques économiques : pour la Rada, son gouvernement n’a pas réussi à offrir un niveau de vie décent, comparable à celui de la Pologne ou des États baltes voisins. Enfin, sa politique d’intégration avec la Russie mettrait en péril la culture et l’identité bélarusse.

Un sujet cher à Ales Plotka, poète et activiste qui s’était investi en 2010 dans la campagne « Budzma belarusami » (Soyons bélarusses). Celle-ci visait à promouvoir la culture et la langue, le bélarussien, délaissée par le gouvernement de Loukachenko. Un sujet plus politique qu’il n’y paraît. « Dans les sociétés autoritaires, tout type d’activisme civique et culturel est un acte politique, car il n’y a pas de vie politique « normale », explique Plotka. Avec « Budzma », nous avons réussi à promouvoir l’idée que la langue et la culture bélarusse devraient occuper une place plus importante dans notre pays, qui est culturellement une colonie du monde russe. »
Selon lui, une véritable politique culturelle indépendante est conditionnée à un départ de Loukachenko et à la fin de la politique d’intégration avec la Russie.
Pour la Rada, l’hypothèse d’une victoire de l’opposition pose cependant un problème d’ordre existentiel : qu’adviendrait-il de l’organisation, et quelle serait sa place dans une société bélarusse démocratique ? Interrogée à ce sujet, l’organisation a assuré qu’elle transférerait son mandat à un gouvernement démocratique nouvellement élu, une fois la situation « stabilisée ».
« Nous avons réussi à promouvoir l’idée que la langue et la culture bélarusse devraient occuper une place plus importante dans notre pays, qui est culturellement une colonie du monde russe. »
Après cela, la Rada envisagerait de se dissoudre ou de se transformer en un organe consultatif de la diaspora bélarusse qui aiderait le Belarus à établir des liens avec d’autres pays. « Aucune discussion à ce sujet n’a encore eu lieu au sein de notre organisation, fait cependant savoir le service de presse de la Rada. Une décision ne sera prise qu’après un changement démocratique au Bélarus. » Preuve qu’à cette heure, cette possibilité reste encore lointaine.
Mercredi, Euronews rapportait les paroles de Svetlana Tikhanovskaya au sujet d’une possible démocratisation du pays : « Peut-être que cela n’arrivera pas dans quelques jours ; peut-être que cela arrivera en septembre en octobre ou en novembre, mais notre peuple ne veut plus de ça. » Si les activistes exilés appellent ce changement de leurs vœux, il semble peu probable qu’ils partagent cet optimisme.