Un incident naval russo-britannique en mer Noire

Un incident naval s’est produit en mer Noire mercredi 23 juin entre le Royaume-Uni et la Russie, qui opposent deux versions des faits, alors que les tensions et passes d’armes bilatérales se sont multipliées ces derniers mois.

L’hostilité se meut en mer. Dans la matinée du 23 juin, la Russie a affirmé avoir tiré des coups de semonce contre le destroyer britannique HMS Defender. Moscou accuse celui-ci d’avoir pénétré ses eaux territoriales au sud de la Crimée, près du cap Fiolent. Depuis l’annexion de la péninsule en 2014, la Russie considère ces eaux comme siennes, ce que ne reconnaît pas le Royaume-Uni. Ce différend a mené à l’incident de mercredi matin, où une vingtaine d’avions de combat russes et deux navires des garde-côtes se sont approchés à quelques mètres du navire britannique. 

Selon les autorités russes, le navire britannique n’a pas réagi aux avertissements, ce qui a conduit les garde-côtes à tirer sur le navire. Pour forcer le changement de trajectoire, un Su-24M aurait bombardé le parcours du destroyer – allégations rares dans ce type d’incidents. Le ministère russe de la Défense considère les actions du destroyer britannique comme une “violation flagrante” du droit de la mer.

Cette version est démentie par Downing Street, qui a déclaré que le destroyer n’a pas été la cible directe de tirs. Le ministère de la Défense britannique a quant à lui affirmé sur Twitter que le navire de la Royal Navy effectuait “un passage innocent dans les eaux territoriales ukrainiennes, conformément au droit international” et que les tirs russes provenaient d’un “exercice d’artillerie« .  Le correspondant de la défense de la BBC, Jonathan Beale, qui était à bord du navire, a raconté que l’équipage avait entendu des tirs, mais qu’ils étaient hors de portée.

Les opérations militaires en mer Noire se sont amplifiées ces derniers mois. Il s’agit d’une zone de tension qui a déjà été le théâtre de rivalités navales (ex : incident du détroit de Kertch en 2018). Le conflit à l’Est de l’Ukraine et la crainte russe d’un expansionnisme de l’OTAN ont conduit à une militarisation croissante de cet espace. C’est dans cette optique que le Royaume-Uni a choisi d’y détacher une partie de sa flotte début juin. Mais le voyage du Defender était également une manifestation de soutien politique à l’Ukraine, le Royaume-Uni souhaitant réaffirmer son refus de l’annexion de la Crimée. La signature, mardi 22 juin, d’un accord entre le Royaume-Uni et l’Ukraine sur le renforcement des capacités navales ukrainiennes témoigne de ce soutien. De plus, cet incident intervient à quelques jours des manœuvres militaires Sea Breeze 2021, organisées par l’OTAN en mer Noire, du 28 juin au 10 juillet, que Moscou voit d’un mauvais œil.

La réaction de la Russie face à ces manœuvres était attendue. Le chercheur Mark Galeotti anticipait, dans un article du 14 juin, la mise en scène russe d’un “théâtre militaire”, un “spectacle dans l’espoir de dissuader ou de provoquer”. La version russe des événements survenus ce mercredi s’inscrit dans cette logique. Quelques jours auparavant, le 19 juin, la Russie avait déjà distillé une première provocation en falsifiant le signal radar du HMS Defender pour faire croire qu’il se dirigeait vers la base russe de Sébastopol. Ces démonstrations de force russe ne sont autre que le produit de la « fixation presque obsessionnelle de Poutine de dénigrer la Grande-Bretagne”, selon Con Coughlin, spécialiste des questions de défense au Telegraph.

Ces heurts surviennent dans un contexte de rivalité accrue entre la Russie et le Royaume-Uni. Les relations bilatérales se sont détériorées depuis 2018 avec l’empoisonnement du double agent Sergueï Skripal et de sa fille à Salisbury. Les cyber-attaques, l’amoncellement de troupes à la frontière ukrainienne et le cas Navalny ont cristallisé les tensions. Publiée en mars 2021, la Revue intégrée britannique a présenté la Russie comme la “menace la plus significative”. Et ce n’est pas ce nouvel incident naval qui va faire changer de cap Londres.

Photo d’illustration : Defence Images / CC BY-NC 2.0

Romain Bouteille

Étudiant en Histoire des relations internationales à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

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