À Varsovie, la statue de Tadeusz Kościuszko, officier polonais ayant pris part la guerre d’Indépendance américaine, a été recouverte par le slogan « Black Lives Matter ». Une statue identique, érigée à Washington, avait aussi été taguée, quelques jours auparavant. Une grande partie de la scène politique polonaise a vivement réagi à ces incidents, en défendant Kościuszko, considéré comme un héros national en Pologne.
Dimanche 7 juin à Varsovie, la statue érigée en l’honneur de Tadeusz Kościuszko a été recouverte une seconde fois du slogan « Black Lives Matter », a annoncé Karolina Gałecka, porte-parole de la mairie de la capitale. Ces graffitis font écho à la dégradation d’une autre statue de Kościuszko, à Washington.
L’incompréhension des Polonais est grande, puisqu’à son époque, Tadeusz Kościuszko s’était singulièrement opposé à l’esclavagisme. Ami de Thomas Jefferson, il avait chargé ce dernier d’affranchir des esclaves afro-américains, avec l’argent de son héritage. Ce souhait n’a jamais pu être réalisé en raison de difficultés juridiques, et de la pression de la famille de Kościuszko installée en Europe.

Né en 1746 dans la République des Deux Nations ; qui rassemblait alors le royaume de Pologne et le grand-duché de Lituanie ; Tadeusz Kościuszko embarque en 1776 pour combattre au sein de l’armée continentale américaine, contre le Royaume-Uni. Il revient ensuite en Pologne, en 1784, pour s’opposer à la domination russe et prussienne.
Pour ces différents faits d’armes, deux statues seront construites en l’honneur de Kościuszko, qui est à la fois un héros pour les États-Unis et la Pologne. La première est érigée près de la Maison Blanche en 1910, à Washington. La seconde, à Varsovie, en est une copie exacte, reproduite en 2010, située sur la place Żelaznej Bramy. Ce sont ces deux monuments qui ont été peints par des militants.
« Je suis presque sûr que personne ne connaissait cet homme […], les Polonais ne doivent pas se sentir offensés. »
En Pologne, à la suite de ces incidents, un consensus politique s’est formé à droite pour défendre la figure de l’officier polonais. Le maire de Varsovie, Rafał Trzaskowski, membre du parti de centre-droit Plate-forme civique (PO), s’est élevé contre le « vandalisme », après de premières inscriptions le 2 juin, à Varsovie, sur la statue de Kosciuszko. Il a annoncé un nettoyage du monument. Deux jours avant, il promettait déjà d’aider les autorités américaines à rénover la statue peinte par les manifestants à Washington.
Dans la nuit du 30 au 31 mai, des manifestants s’étaient réunis aux Etats-Unis, devant la Maison Blanche, exprimant leur colère après la mort de George Floyd. La statue de Kościuszko, située à proximité, est alors couverte de slogans : entres autres « BLM » (Black Lives Matter) ou « Fuck Trump ».
Dziś w nocy zdewastowano warszawski pomnik Kościuszki. Napis nawiązuje do dramatycznych wydarzeń w #USA, a stołeczny monument jest wierną repliką tego, który stoi nieopodal @WhiteHouse w Waszyngtonie. Więcej na portalu @PolsatNewsPL i na naszej antenie. #MuremZaKościuszką pic.twitter.com/R8YND9CASA
— Dawid Styś (@DawidStys) June 3, 2020
Le journaliste polonais Paweł Żuchowski, présent sur place, s’est indigné du sort réservé à ce monument par les Américains : « La statue de Tadeusz Kościuszko devant la Maison Blanche a été dévastée. Il est difficile de dire que les manifestants se battent pour leurs droits alors qu’ils ne respectent pas LE HÉROS DES DEUX NATIONS. Je me tenais là, je ne pouvais rien faire. Drame. ».
Pomnik Tadeusza Kościuszki przed Białym Domem zdewastowany. Trudno nazwać ich ludźmi, którzy walczą o swoje prawa, kiedy nie szanują BOHATERA OBOJGA NARODÓW. Stałem, nic nie mogłem zrobić 🙁 Dramat. @RMF24pl pic.twitter.com/10R7G297KF
— Paweł Żuchowski (@p_zuchowski) June 1, 2020
Comment expliquer que les manifestants s’en soient pris à la figure de Kościuszko ? Le correspondant à la Polish Radio, Marek Wałkuski, pour tenter de comprendre leurs motivations, a interrogé les manifestants devant la statue taguée à Washington. L’un d’eux déclare : « Je suis presque sûr que personne ne connaissait cet homme […], les Polonais ne doivent pas se sentir offensés, nous avons des problèmes ici et les gens ont exprimé ce qu’ils ressentent. Ils sont sortis, ont manifesté et exprimé leur colère, parce que c’est un des meilleurs moyens pour eux d’afficher leurs revendications ».
L’émotion de la droite polonaise a étonné Adrian Zandberg, un des dirigeants du parti de gauche Lewica Razem (La Gauche ensemble). Sur Facebook, il a déclaré : « C’est un changement agréable que la droite polonaise ait soudain découvert en elle-même de l’affection pour Kosciuszko. Jusqu’à présent, ce défenseur anticlérical et de l’égalité n’a pas été très souvent invoqué par le côté droit de la scène politique ».
À son tour, Anna-Maria Żukowska, députée de gauche de Varsovie, rapportée par Wyborcza, a indiqué que Trzaskowski, maire de Varsovie mais aussi candidat aux présidentielles, n’avait pas d’autre choix que de défendre l’image de Kosciuszko. Cette figure est à la fois progressiste, pour son combat contre l’esclavagisme ; mais aussi liée à l’histoire nationale polonaise. Une vague de critiques de la droite serait tombée sur lui s’il n’avait pas dénoncé les incidents.
« Si Kościuszko était ressuscité des morts, il aurait écrit une grande inscription ‘Black Lives Matter’ »
D’autres observateurs interrogent le sens de ces inscriptions. Certes, les manifestants méconnaissaient probablement les positions anti-esclavagistes de Tadeusz Kosciuszko. Mais selon Krytyka Polityczna, une revue trimestrielle de gauche, « par hasard, cet acte visant la statue de [Kosciuszko] fait ressortir le message historique oublié, mais bien nécessaire, de la figure historique présentée sur le monument ».
Deux philosophes polonais ont même lancé une pétition, adressée au gouvernement polonais, afin de laisser la statue de Varsovie telle quelle. Ils soutiennent que « si Kościuszko était ressuscité des morts, il aurait écrit une grande inscription, « Black Lives Matter » ».
Difficile d’imaginer si l’officier polonais, né deux siècles auparavant, aurait soutenu le mouvement antiraciste. Toutefois, ses positions contre l’esclavage étaient bien ancrées. Son biographe, Gary B. Nash, explique que Kosciuszko a été sensibilisé à la cause des esclaves noirs en combattant aux côtés d’Agrippa Hull, un patriote afro-américain. Celui-ci a été son assistant personnel pendant plus de 4 ans lors de la guerre d’Indépendance. Il lui a permis de dépasser les idées selon lesquelles l’infériorité des noirs est innée.
Les manifestations contre le racisme, alimentées par la mort de George Floyd aux Etats-Unis, résonnent dans plusieurs pays d’Europe centrale. À Budapest, se sont rassemblés le 8 juin plus d’un millier de personnes en soutien à « Black Lives Matter ».