Alors que la sécheresse et la chaleur dominaient les manchettes, les Tchèques ont aussi pu suivre le feuilleton politique autour de la nomination du nouveau ministre de la culture. Un feuilleton qui s’est terminé mardi et qui en dit long sur les rapports de force entre le président, le premier ministre et ses partenaires sociaux-démocrates…
Ce mardi 27 août, en nommant officiellement le vétéran social-démocrate Lubomír Zaorálek au poste de ministre de la culture, le président Miloš Zeman a montré que c’était bien lui, le chef. En refusant la démission du ministre précédent et en rejetant par la suite la nomination du candidat proposé par le gouvernement, Zeman a imposé son choix au premier ministre Andrej Babiš (ANO – Action des citoyens mécontents) et à son partenaire de coalition, le parti social-démocrate (ČSSD). Si certains n’y voient qu’une victoire tactique, d’autres craignent que le président ait créé un dangereux précédent en s’ingérant de telle manière dans la nomination des ministres, faisant fi de la constitution qui l’oblige à nommer les ministres proposés.
Frustré de voir son protégé, le ministre de la culture Antonín Staněk (ČSSD) poussé à la démission après avoir soulevé l’ire du monde culturel en renvoyant les directeurs de la Galerie nationale et du Musée d’art d’Olomouc sous de prétextes douteux, Zeman a contre-attaqué. Il a tout d’abord longtemps refusé cette démission, remise le 15 mai, lançant un véritable feuilleton. Après l’avoir finalement acceptée le 1er août, il a continué son jeu en refusant le nouveau candidat social-démocrate Michal Šmarda, au motif que celui-ci n’était pas assez compétent.
Suscitant la colère de l’opposition et d’une partie de la société civile et créant des tensions entre le premier ministre Babiš et ses partenaires du ČSSD, responsables du ministère de la culture, le président a assuré le divertissement politique durant ce que le quotidien libéral a nommé la « Guerre estivale de Zeman ». Le Sénat s’est même décidé à déposer fin juillet une plainte pour violations répétées de la constitution. Sachant bien que la Chambre des députés de la soutiendrait probablement pas, la plainte était cependant un geste fort et un signe de ras-le-bol envers l’arrogance présidentielle.
Un autre triomphe pour Zeman
Finalement, si la crise s’est résolue par le choix de Zaorálek, plus convenable pour Zeman, c’est une victoire éclatante pour le président, car il a montré une fois de plus qu’il était capable de s’ingérer directement dans les affaires gouvernementales et qu’il possédait encore assez d’influence au sein du ČSSD pour du moins le neutraliser, sinon le diriger. En refusant de se confronter directement à M. Zeman, le premier ministre Andrej Babiš a bien montré qu’il craignait trop le président et qu’il dépendait plus de celui-ci que le contraire. En effet, une bonne partie des électeurs de Miloš Zeman soutient Babiš, et celui-ci en a besoin dans un contexte où il est assailli par les scandales. Enhardi par ce triomphe, il est à parier que le président, qui n’a plus rien à perdre (ne pouvant effectuer un troisième mandat), n’hésitera pas à aller plus loin dans ses ingérences dans les affaires gouvernementales.
Le système parlementaire tchèque n’octroie au président qu’une fonction honorifique, mais Zeman n’a jamais hésité à faire fi des conventions et des règles afin de s’imposer comme s’il était à la tête d’un régime semi-présidentiel. Ainsi, en 2013, il avait même constitué son propre gouvernement malgré l’opposition de la majorité parlementaire. Celui-ci avait pu gouverner pendant des mois avant que la Chambre des députés ne l’oblige à se dissoudre et à provoquer des élections. En plus de régulièrement contredire les positions du gouvernement, notamment sur la scène internationale, Zeman avait déjà imposé sa volonté sur des choix ministériels en refusant la nomination du candidat au ministère des affaires étrangères en 2018. À l’époque, il avait aussi fait plier le gouvernement.
La gauche creuse sa tombe
Le succès des manœuvres présidentielles est largement dû à l’état actuel du parti social-démocrate, miné par les déroutes électorales et rongé par des conflits internes. Le président a habilement exploité la situation en mobilisant ses partisans au sein du parti, dont il n’est certes plus membre, mais où il conserve de nombreux soutiens, lui qui l’a mené au pouvoir entre 1998 et 2002. Dans ce que le chroniqueur politique Erik Tabery a qualifié de « putsch », le président s’est ainsi assuré du soutien de quelques uns des sociaux-démocrates, ce qui rendait nulles les menaces de leur chef Jan Hamáček de quitter la coalition en cas d’inaction de la part du premier ministre Andrej Babiš. Ainsi, le député Jaroslav Foldyna (ČSSD) n’a pas hésité à se ranger aux côtés de ce dernier, jugeant que son propre parti était contrôlé par « la racaille néo-marxiste ».
Pour le ČSSD, la défaite est donc totale. Même s’il aura maintenant un politicien expérimenté au sein du gouvernement en la personne de Zaorálek (ex-ministre des affaires étrangères en 2014-2017), le parti n’a même pas su monnayer le renoncement à son candidat original, en la forme d’un ministère plus prestigieux, par exemple. Il a plutôt montré qu’il était incapable d’agir collectivement pour imposer sa volonté au premier ministre. Selon le politologue Lubomír Kopeček, le parti est pris au piège: « Quitter le gouvernement Babiš est aussi problématique que d’y rester. » En effet, dans les deux cas, il sera dur pour la gauche de regagner une quelconque crédibilité après avoir été des partenaires de coalition aussi invisibles qu’impotents.