Stupéfaction en Pologne après la désertion d’un soldat qui s’est réfugié au Bélarus

Depuis le Bélarus où il a demandé l’asile, un soldat déserteur dénonce les méthodes employées par l’armée polonaise contre les migrants. Mais le flou qui entoure l’affaire incite à la plus grande prudence.

Le ministre polonais de la Défense Mariusz Błaszczak a lui-même confirmé vendredi cette histoire invraisemblable qui se répandait comme une traînée de poudre les réseaux sociaux : un soldat de l’armée polonaise qui servait à la frontière orientale était passé au Bélarus pour demander l’asile. Dans une interview à la télévision publique du Bélarus, il a affirmé que l’armée polonaise tire sur les migrants.

« Le soldat, qui a disparu jeudi avait de graves problèmes avec la justice, il avait posé sa démission. Il n’aurait jamais dû être envoyé pour servir à la frontière. J’ai demandé des éclaircissements aux personnes compétentes », a tweeté Mariusz Błaszczak le 17 décembre à 12h20. Le ministre a fait savoir par la suite que plusieurs des supérieurs du déserteur ont été démis de leurs fonctions.

Emil Czeczko, un soldat polonais de 25 ans appartenant à la 16e division d’infanterie, aurait demandé l’asile au Bélarus.

Vendredi matin, le comité d’État à la frontière du Bélarus (représentant le corps des gardes-frontières) révélait en effet avoir recueilli Emil Czeczko, un soldat polonais de 25 ans appartenant à la 16e division d’infanterie. Celui-ci aurait fait défection – selon leurs dires – et demandé l’asile au Bélarus dénonçant le traitement infligé par les forces de l’ordre polonaises aux migrants, qui tentent depuis l’été de franchir la frontière polono-bélarusse. La division a tweeté dans la foulée que le jeune homme avait effectivement disparu à la frontière jeudi et était recherché.

Quelques heures plus tard, Belarus 1, une chaîne de TV publique bélarusse diffusait l’interview d’Emil Czeczko, présenté comme « fuyant le régime autoritaire [polonais] » à visage découvert, en treillis et en pull noir, arborant un petit drapeau polonais sur l’épaule. « En Pologne, ils disent que vous aviez beaucoup de problèmes. Pourquoi disent-ils cela ? » interroge la présentatrice de la chaîne Belarus 1. « Ils ne veulent pas reconnaître ce qu’ils ont fait. Ils veulent étouffer la vérité. Qu’un soldat se soit échappé et a dit ce qu’il s’est passé (…). Ce qu’ils peuvent faire désormais, c’est de faire de moi le pire des hommes ». « Ils veulent ainsi cacher (…) qu’ils tirent sur les migrants », insiste la traductrice (ou celle qui semble en être une). « Oui, c’est évident » répond-il.

« Ils veulent ainsi cacher (…) qu’ils tirent sur les migrants ».

Dans un second extrait Emil Czeczko affirme avoir vu « un type des gardes-frontières polonais tirer dans le pied d’un bénévole qui demandait où les migrants seront emmenés ». Dans ses réponses à la présentatrice, il est catégorique, il dit avoir assisté à cela au moins à deux reprises confirmant que deux personnes ont été tuées. Au-delà de son contenu, en aucun cas confirmé par les activistes présents sur place, cette interview interroge aussi dans la mesure où Emil Czeczko s’exprime en polonais. Il ne semble pas connaître le russe alors que la présentatrice le parle exclusivement. Et pourtant les deux interlocuteurs se répondent de manière fluide comme s’ils parlaient la même langue, pratiquement sans l’intervention de traducteur, laissant penser à un entretien qui n’avait sans doute rien de spontané.

Interview d’Emil Czeczko sur la chaîne publique Belarus 1.

La radio polonaise RFM avait relevé plus tôt dans la journée que le déserteur avait été déjà été arrêté auparavant en Mazurie avec 1,5 g d’alcool dans le sang et sous emprise de marijuana. Dans une conférence de presse donnée l’après-midi, Tomasz Piotrowski, commandant des opérations militaires en Pologne parle d’« un acte de désertion ». « Peut-être qu’il a cru que du côté bélarusse, où les standards juridiques sont peu élevés, ça serait facile pour lui, ou peut-être qu’il a compris que son double jeu se terminait, que ses supérieurs l’avait mis au jour et qu’il serait sanctionné ».

« C’est une manipulation évidente de ce jeune homme, qui sera utilisé comme instrument de propagande contre nous ».

Tomasz Piotrowski, commandant des opérations militaires en Pologne.

« On ne sait pas ce qui s’est passé, ce qui a fait que ce soldat a fait ce qu’il a fait jeudi après-midi, sous prétexte de s’éloigner de son poste, il a franchi la frontière bélarusse (…) Il a commencé à diffuser l’idée selon laquelle les forces polonaises se sont livrés à des actes honteux, ce qui n’est pas vrai. C’est une manipulation évidente de ce jeune homme, qui sera utilisé comme instrument de propagande contre nous ». Le commandant a promis qu’il ferait tout « pour traduire cet homme en justice pour désertion (…) dans des temps où nous devrions tous être à la frontière ».

Hélène Bienvenu

Journaliste

Après avoir correspondu depuis Budapest de 2011 à 2018 pour de nombreux médias (dont La Croix et le New York Times), Hélène est retournée à ses premières amours centre-européennes, en Pologne. Elle correspond désormais, depuis Varsovie, pour Le Figaro et Mediapart, entre autres.

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