Sous-financement et salaires de misère : la colère gronde dans les universités en Tchéquie

Les facultés des sciences humaines sont le parent pauvre de l’Éducation en Tchéquie. Un collectif d’enseignants met la pression sur le gouvernement.

« La société a besoin des sciences humaines et sociales, mais leur position défavorisée est intenable depuis longtemps et les universités perdent des experts expérimentés ainsi que la jeune génération », dénonce ‘L’heure de vérité’, un collectif d’enseignants et doctorants des facultés de philosophie et sciences humaines tchèques.

Lors de la Journée des enseignants, ce 28 mars, ils protestent dans huit des principales villes du pays contre le sous-financement chronique de leurs facultés. Comme ils le notent dans leur déclaration, l’État tchèque a amélioré la situation pour les enseignants des écoles, mais a oublié les universités.

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À vrai dire, il a surtout oublié les enseignants des facultés des sciences humaines et sociales, qui sont bien moins payés que leurs consœurs et confrères des autres facultés. « Nous considérons injuste et illégal que les enseignants des facultés de sciences humaines reçoivent en moyenne la moitié du salaire de leurs collègues des autres facultés de la même université », dit la déclaration.

Le collectif sonne l’alarme sur ces conditions de travail qui empêchent souvent les enseignants et doctorants des facultés défavorisées de se consacrer pleinement à la recherche et à l’enseignement. De plus, les départs pour raisons socio-économiques sont plus fréquents dans les facultés des sciences humaines et sociales.

Parmi les slogans du 28 mars : « Haute éducation, bas salaire » ; « Nous sommes l’antidote à la désinformation » ; « Sans les langues, nous sommes muets ». Source : page facebook « Hodina pravdy »

« Ce qui me préoccupe le plus, c’est la fuite d’enseignants et d’excellents employés, surtout les jeunes en position d’assistants académiques », disait au journal Právo le recteur de l’Université d’Ostrava Petr Kopecký. Il remarque que de nombreux employés préfèrent passer dans l’enseignement secondaire, où les salaires sont plus élevés.

Interrogée par la télévision publique, la professeure d’études germaniques de l’Université de Bohême occidentale (Plzeň), Markéta Balcarová, révélait qu’elle ne touchait même pas 1 000 euros net par mois et qu’elle devait aussi travailler comme interprète pour joindre les deux bouts et nourrir ses deux enfants.

« Quand je parle à mes amis qui travaillent au lycée et gagnent 400 euros de plus que moi, j’ai envie de démissionner », avoue-t-elle. Dans le même reportage, un collègue d’université remarque avec justesse qu’il a le même salaire qu’un caissier au supermarché.

Le gouvernement de Fiala montre des signes d’ouverture

Ce mardi 28 mars, les universités organiseront divers événements, cours ouverts au public et manifestations pour attirer l’attention du public et des médias sur la situation. Entre autres, la faculté de philosophie de Prague offre des mini-cours de langues. Les enseignants pragois comptent ensuite monter jusqu’au Château de Prague en poussant un rocher, allusion au mythe de Sisyphe.

S’ils ne sont pas entendus, les enseignants menacent d’augmenter la pression, faisant planer la menace d’une grève. Les syndicats des enseignants des facultés de philosophie évoquent aussi la possibilité de déposer une plainte en justice contre les universités qui paient des salaires différents aux enseignants selon la faculté.

Une augmentation exceptionnelle de 38 millions d’euros du budget des universités serait envisagée dès cette année.

Du côté du gouvernement, on se montre ouvert au dialogue. Il y a quelques jours, le premier ministre Petr Fiala avait chargé son ministre de l’Éducation Vladimír Balaš (STAN) de s’occuper du problème, tout en soulignant que les universités étaient autonomes en matière de rémunération des enseignants.

Le ministre Balaš avait mis sur pied un groupe de travail sur la question en janvier et promis annoncer des mesures avant le 28 mars, mais aucune annonce n’a encore été faite. Selon les rapports du groupe de travail, une augmentation exceptionnelle de 38 millions d’euros du budget des universités serait envisagée dès cette année. Moins que les 59 millions demandés par l’Association des recteurs des facultés de philosophie cependant.

Il reste à voir si les mesures gouvernementales suffiront à apaiser la colère des enseignants et des doctorants des facultés les moins bien loties. En plus de mesures immédiates, le Conseil des universités demande un engagement d’investir 0,6 % du PIB dans l’éducation supérieure et il est à parier qu’il faudra des signaux forts pour apaiser la tempête.

Adrien Beauduin

Correspondant basé à Prague

Journaliste indépendant et doctorant en politique tchèque et polonaise à l'Université d'Europe centrale (Budapest/Vienne) et au Centre français de recherche en sciences sociales (Prague). Par le passé, il a étudié les sciences politiques et les affaires européennes à la School of Slavonic and East European Studies (Londres), à l'Université Charles (Prague) et au Collège d'Europe (Varsovie).

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