Passant outre le véto de la présidente Zuzana Čaputová, les députés du parlement slovaque ont à nouveau fait passer une loi interdisant tout sondage dans les cinquante jours précédant les élections. Selon l’opposition, cette manœuvre du pouvoir vise à masquer sa chute de popularité et à empêcher un vote tactique contre lui aux élections législatives de février 2020.
Alors que cela sent les élections en Slovaquie, avec l’intensification des pourparlers de coalition et les publications des listes de candidats, les socialistes du SMER au pouvoir et l’extrême-droite ont réitéré leur détermination à ne pas laisser les enquêtes d’opinion leur mettre des bâtons dans les roues. C’était contre cette loi que la présidente Čaputová avait apposé son premier véto depuis sa prestation de serment au mois de juin, mais le parlement a décidé de passer outre en la soumettant à nouveau au vote. Doutant de la légalité de cette loi, celle-ci a annoncé qu’elle se tournerait vers la Cour constitutionnelle afin de non seulement la faire annuler, mais aussi de la suspendre d’ici au jugement, afin de la rendre invalide d’ici aux élections, prévues le 29 février.
« Je suis convaincue que cette nouvelle loi viole plusieurs droits garantis par la Constitution de la République slovaque, comme le droit à l’information et à sa diffusion », a justifié la présidente début novembre. Selon Veronika Remišová, députée candidate du nouveau parti de l’ancien président Andrej Kiska Pour les gens (Za ľudí), la loi vise avant tout à cacher aux citoyens l’effritement du soutien populaire subi par les partis de la coalition au pouvoir. Pour Martin Klus, du parti de centre-droit SaS, c’est l’alliance des sociaux-démocrates et de la droite nationaliste avec l’extrême-droite sur ce vote qui est inquiétante, dessinant une coalition potentielle si l’échiquier politique n’évolue pas d’ici aux élections.
Slovaquie : le parti néofasciste de Kotleba ne sera pas interdit
Une initiative prise par des has been ?
Les partis ayant soutenu cette loi déclarent vouloir protéger les électeurs de manipulations de la part des sondeurs. Mais il est difficile de ne pas y voir une volonté d’endiguer l’hémorragie de leur base électorale. En effet, pour les députés de la coalition gouvernementale du SMER (affilié aux sociaux-démocrates européens) et du Parti national slovaque (SNS, droite nationaliste), les sondages sont très défavorables depuis un an et demi. Le SMER n’est crédité à l’heure actuelle que de 18 % des voix, loin des 28 % récoltés aux législatives en 2016 et encore plus des 44 % de 2012. Fortement affectés par le meurtre du journaliste Ján Kuciak et de sa fiancée en février 2018, qui enquêtait sur les liens entre la mafia et le gouvernement, SMER continue de ressentir le choc des événements, des nouveaux scandales les mettant en cause presque chaque semaine. Lire notre Entretien avec Daniel Lipšic, l’avocat de la famille du journaliste slovaque Ján Kuciak.
Pourtant, ce ne sont pas eux les plus mal placés, mais plutôt leurs alliés de la droite nationaliste, le Parti national slovaque (SNS), en chute depuis quelques mois. Moins exposé sur les dossiers de corruption, le SNS souffre plutôt de la montée en puissance du parti d’extrême-droite, le Parti populaire ‘Notre Slovaquie’ (ĽSNS) de Marian Kotleba. C’est son chef Andrej Danko qui, voyant fondre la popularité du SNS comme neige au soleil (tombant à un maigre 6 % d’intentions de vote, proche du seuil parlementaire des 5 %), avait proposé le premier de rallonger le moratoire sur la publication de sondages avant les élections, de deux semaines à trente jours. Ses alliés du SMER ont tellement aimé l’idée qu’ils ont poussé jusqu’à cinquante jours. C’est sans doute aussi en raison de son reflux pointé dans les sondages (passé de 14 % en mai à quelque 10 % aujourd’hui) que ĽSNS, toutefois désormais bien ancré dans le paysage politique, a soutenu l’initiative.
En plus d’éventuellement conforter leurs propres électeurs dans leur choix, ces partis misent aussi sur la grande fragmentation de l’opposition. Outre le parti de centre-droit Za ľudí et la coalition libérale Slovaquie progressiste / ENSEMBLE, chacun crédité de quelque 12 % des voix, quatre autres partis d’opposition oscillant autour des 6-7 % d’intentions de vote, en plus du parti de la minorité magyarophone Most-Híd (Pont), pour qui les sondeurs prévoient une sortie du parlement. Bref, dans cette grande dispersion du vote, l’interdiction de sondages pourrait bien empêcher les électeurs de jouer le vote stratégique contre le gouvernement actuel…
En Slovaquie, échec des pourparlers pour une coalition des forces d’opposition