Slovaquie : les embûches qui attendent la présidente Zuzana Čaputová

Après avoir remporté l’élection en mars, Zuzana Čaputová a été investie présidente de la Slovaquie samedi, devenant la première femme à diriger ce pays de cinq millions d’habitants. Après un discours d’investiture somptueux, vient le temps des premiers défis.

Pas de revanchisme, pas de violence politique. Samedi, Zuzana Čaputová est restée fidèle à sa ligne de conduite, lors de son premier grand discours. Elle a appelé à agir face à l’urgence de la « crise climatique » et de la « menace écologique », a prôné le dialogue et le multilatéralisme dans le cadre de l’Union européenne en matière diplomatique et valorisé les valeurs de tolérance et d’entraide, à l’adresse des plus vulnérables. « Nous pouvons nous exprimer face à l’altérité, à des traditions, des expériences et des opinions différentes sans atteindre à la liberté et à la dignité des autres. N’oublions pas que nous faisons partie d’un ensemble et de la famille humaine. N’oublions pas l’amour de nos voisins, qui est le fondement du respect de la diversité. »

« Je ne suis pas venue pour gouverner, je suis venue au service des citoyens, des habitants de la Slovaquie », a déclaré Zuzana Čaputová en prêtant serment devant le président de la Cour constitutionnelle, lors d’une cérémonie solennelle samedi. « Sur mon honneur et ma conscience, j’affirme ma foi en la République slovaque. Je veillerai au bien-être de la nation slovaque, des minorités nationales et des groupes ethniques vivant dans la République slovaque. J’accomplirai mes devoirs dans l’intérêt du peuple et protégerai et défendrai la Constitution et les autres lois », a-t-elle déclaré, citant la constitution.

Mais la nouvelle présidente prend les rênes d’une société polarisée et avec une cote de popularité relativement fragile. Selon un sondage (de Focus), même si Mme Čaputová bénéficie de la seconde place des politiciens les plus populaires, derrière le premier ministre Peter Pellegrini, un peu moins de la moitié des citoyens lui font confiance. C’est nettement moins que le président sortant Andrej Kiska au moment de sa prise de fonction il y a cinq ans. « Le défi pour Zuzana Čaputová sera de savoir comment elle inclure les personnes qui n’ont pas voté pour elle et qui ne lui font pas confiance », estime le quotidien slovaque Denník N.

Et de grands défis se posent à elle.

La lutte pour la Cour constitutionnelle

Les questions constitutionnelles et d’Etat de droit sont au cœur des préoccupations des Slovaques, qui ont préféré Zuzana Čaputová à Maroš Šefčovič lors des élections en février. Car le meurtre du journaliste Ján Kuciak et de sa fiancée a rompu la confiance dans les institutions, notamment dans la police et la justice. Dès ce lundi 17 juin, la nouvelle présidente est en mesure de renouveler deux membres du Conseil de la magistrature. Son choix aura une incidence sur le choix du prochain président de la Cour suprême. Denník N note aussi que Čaputová jouera un rôle plus fondamental dans la nomination de nouveaux juges constitutionnels.

Sa première visite réservée à Miloš Zeman

Pour sa première visite à l’étranger, Mme Čaputová a choisi de se rendre en République tchèque. C’est donc ce jeudi 20 juin qu’elle ira à Prague pour y rencontrer son homologue Miloš Zeman. L’un l’autre s’en sont tenu à ce jour à des déclarations très diplomatiques mais qui ne masquent pas le fait que les deux personnalités sont aux antipodes : côté slovaque, une femme de 45 ans militante anti-corruption et environnementaliste qui a participé aux manifestations de 2018 contre le gouvernement et, côté tchèque, un homme de 75 ans, qui ne montre que mépris pour les manifestations anti-corruption qui secouent actuellement le pays. Le premier ministre tchèque Andrej Babiš, dans le viseur des manifestants a d’ailleurs déclaré qu’il ne quitterait pas son poste car « la Tchéquie n’est pas la Slovaquie ». « Jusqu’à présent, nous avons donné une pipe aux visiteurs de sexe masculin. L’idée que Mme Čaputová recevrait une pipe semble inappropriée », a considéré Miloš Zeman.

Ses rapports avec le gouvernement et Robert Fico

Zuzana Čaputová a été portée à la présidence par une vague de « dégagisme » dirigée contre le gouvernement SMER, le parti de Robert Fico, l’homme fort du pays depuis une douzaine d’années. Ce dernier a d’ailleurs snobé la cérémonie d’investiture samedi. Mais au cours des dernières semaines, la future présidente et le premier ministre Peter Pellegrini, issu du SMER, ont multiplié les signes d’apaisement. Ils ont fait part, lors d’un débat télévisé sur Markiza TV, de leur volonté de travailler en bonne intelligence. « Si le président et le Premier ministre travaillent ensemble, c’est toujours mieux que ce à quoi nous assistons depuis cinq ans », avait déclaré M. Pellegrini. « J’accepte l’offre. Nous en avons parlé, je suis d’accord pour dire que le mieux pour le pays est que nous travaillons ensemble », avait répondu Mme Čaputová. Les deux pourraient-ils devenir des alliés de circonstance pour mettre hors-jeu Robert Fico qui vient de survivre à une fronde de son propre parti ?

Célébrations de la « révolution douce » de 1989

La présidente prend ses fonctions une année très symbolique : la Tchéquie et la Slovaquie célèbreront cet automne le trentième anniversaire de la « něžná revoluce », la « révolution douce » (ou « de velours ») qui a conduit au renversement du régime communiste en Tchécoslovaquie et ouvert la voie à la partition du pays au 1er janvier 1993. Comme son prédécesseur Andrej Kiska – qui avait déclaré il y a cinq ans : « Si la liberté et les droits de l’homme sont de la plus grande valeur, le 17 novembre – Journée de la lutte pour la liberté et la démocratie, doit être la plus importante journée nationale dans l’histoire de la Slovaquie indépendante ». – Zuzana Čaputová se rendra au mémorial du rideau de fer à Devín le 17 novembre, la Porte de la Liberté qui commémore les victimes du rideau de fer entre la Slovaquie et l’Autriche.

Les législatives en mars 2020

Les prochaines élections législatives sont programmées au mois de mars de l’année prochaine. « Le plus grand pouvoir réel dans notre système politique est le choix du Premier ministre et la création du nouveau gouvernement », précise Denník N. Au printemps 2018, en pleine crise politique, le président Kiska avait refusé de nommer Peter Pellegrini au poste de Premier ministre, en raison d’un différend sur le nom du ministre de l’Intérieur, un poste extrêmement sensible en raison de l’enquête dans « l’affaire Kuciak ». M. Kiska avait avoué après coup être allé au-delà de la constitution. Zuzana Čaputová a fait savoir au cours de sa campagne qu’elle n’irait pas contre les traditions constitutionnelles et nommerait y compris Robert Fico si son parti devait sortir vainqueur des législatives.

Zuzana Čaputová, celle qui pourrait devenir la première présidente de la Slovaquie

Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).

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