Le torchon brûle entre deux des partenaires de coalition et le gouvernement pourrait perdre sa majorité au parlement. Même si la possibilité d’un gouvernement minoritaire se dessine, des élections anticipées pourraient avoir lieu et marquer le retour au pouvoir de Robert Fico.
« Le plus grand problème de notre coalition s’appelle Igor Matovič. Avec ses attaques, il s’est mis à dos presque toute la société et il détruit notre pays avec ses idées. Notre gouvernement a été affecté par le coronavirus, la récession économique, la crise énergétique et la guerre chez nos voisins, et en plus nous avons Igor Matovič ». Le ministre de l’Économie et chef du parti Liberté et solidarité (SaS), Richard Sulík, n’a pas mâché ses mots envers l’ancien premier ministre et actuel ministre des Finances Matovič (OĽaNO), qui lui rend volontiers la pareille.
Ultimatum du SaS
En prononçant ses mots début juillet, Sulík annonçait l’ultimatum de son parti envers son partenaire de coalition OĽaNO (Obyčajní Ľudia a nezávislé osobnosti, Gens ordinaires et personnalités indépendantes), sommé de régler le cas Matovič d’ici la fin août. Sinon, SaS quittera la coalition gouvernementale et celle-ci n’aura plus de majorité parlementaire. Dans ce cas, elle sera devant un dilemme : trouver de nouveaux partenaires coûte que coûte, quitte à s’allier à l’extrême-droite, ou déclencher des élections anticipées, prenant ainsi le risque d’un retour des sociaux-démocrates de Robert Fico.
La coalition actuelle a été formée après les élections de février 2020 par quatre partis de la droite et du centre, avec OĽaNO en tête, sur la base d’une volonté commune de mettre fin à l’ère Robert Fico, dont le parti social-démocrate SMER a gouverné de 2006 à 2010 et de 2012 à 2020. À l’époque, la Slovaquie était secouée par le meurtre du journaliste d’investigation Ján Kuciak et de sa fiancée, Martina Kušnírová, en février 2018 alors que celui-ci enquêtait sur l’ampleur des liens entre l’État et la mafia.
Le problème Matovič
Si le nouveau gouvernement a fait quelques pas afin de démanteler les réseaux mafieux au sein de l’État et de ses institutions, il a fait face à de nombreuses crises envenimées par les conflits incessants au sein de la coalition. Le meneur d’OĽaNO et premier ministre Igor Matovič s’était démarqué par sa gestion chaotique de la pandémie, entre autres en commandant le vaccin russe Spoutnik en catimini malgré l’opposition de son cabinet.
Cette première crise en mars 2021 s’était soldée par la démission de Matovič, relégué au poste de ministre des Finances, et son remplacement par son collègue, le plus modéré Eduard Heger, mais l’inimitié est bel et bien restée. Pour SaS, la goutte qui a fait déborder le vase, c’est la récente hausse de l’aide aux familles décrétée par Matovič et OĽaNO en dépit de l’opposition de SaS et passée au parlement avec l’aide de l’extrême-droite. Selon SaS, cette aide non-ciblée est une mesure populiste et coûteuse, et son passage en force avec les voix de l’opposition est une trahison.
Quelles alternatives ?
Le premier ministre Heger et Sulík se sont rencontrés samedi pour tenter de sortir de l’impasse, mais les commentaires à la sortie des négociations laissent entendre que tous deux campent sur leurs positions : OĽaNO refuse d’éjecter Matovič et SaS refuse de poursuivre sa participation dans un cabinet où siège Matovič. Il reste plus d’un mois aux deux partis pour enterrer la hache de guerre et il reste à voir si l’approche de l’échéance fixée par SaS ramènera les rivaux à la raison.
Le coût pourrait être élevé pour les deux partis. Du côté d’OĽaNO, le départ des députés de SaS les forcerait à gouverner en minorité, et éventuellement à chercher des appuis auprès de l’extrême-droite. Interrogé récemment par le quotidien Denník N, Ivan Štulajter, conseiller du premier ministre, n’exclut d’ailleurs pas cette option. Si cela permettrait d’éviter une chute du gouvernement, cela ne risque pas de faire remonter le parti dans les sondages, qui ne donnent plus à OĽaNO que 10 %, loin des 25 % récoltés aux élections de 2020.
Le retour de Fico ?
Pour SaS, les derniers sondages de l’agence AKO sont plus positifs, avec quelque 15 % et une possible seconde place, un grand bond à la suite des décevants 6 % de 2020, mais des élections anticipées risquent de le renvoyer dans l’opposition. En effet, les autres partis qui caracolent en tête des intentions de vote sont le parti Hlas (Voix), parti fondé par l’ex-premier ministre du SMER, Peter Pellegrini, et le SMER lui-même, toujours mené par Robert Fico. Avec quelque 20 % des intentions de vote, Pellegrini pourrait s’associer à son ancien allié Fico, crédité de presque 15 %. Il leur suffirait de trouver d’autres partenaires, éventuellement des rangs de l’extrême-droite, pour revenir au pouvoir.
Ainsi, la peur d’un retour aux affaires des hommes du SMER pourrait bien forcer la coalition à serrer les rangs et à s’entendre. Pour OĽaNO, se débarrasser de Matovič, que les sondages placent au premier rang des politiciens les moins crédibles, pourrait même donner un second souffle au parti et restaurer son image d’ici aux prochaines élections. Vu la position centrale que Matovič occupe, il serait certes difficile de s’en débarrasser, mais le parti pourrait s’y résoudre en dernière extrémité. Dans cette partie de poker menteur, il n’y aura pas de gagnant, si ce n’est la défiance de la population envers sa classe politique qui risque de monter encore d’un cran.