En Hongrie, la propagande gouvernementale se glisse dans le moindre interstice, y compris dans l’un des plus grands festivals du pays, le Volt Fesztivál, à Sopron.
La ville de Sopron, frontalière avec l’Autriche, a bien des raisons de célébrer les trente ans de la chute du Rideau de fer, elle qui s’est trouvée aux avant-postes de l’histoire au moment de l’ouverture des barbelés entre l’Est et l’Ouest, en 1989. Mais le grand festival qui s’y tient chaque année à la fin du mois de juin devait-il célébrer trois décennies de démocratie en se faisant le porte-voix du gouvernement nationaliste de Viktor Orbán ?
Entre deux concerts, de Slash, Slipknot, Black Eyed Peas, Parov Stellar, ou encore des groupes hongrois 30Y et Halott Pénz, les écrans géants diffusent, toutes les 7 minutes, le spot télévisé gouvernemental qui célèbre la chute du communisme il y a trente ans. Ainsi, c’est la voix de Viktor Orbán, leur premier ministre, qui résonne aux oreilles de chaque festivalier un grand nombre de fois dans une journée destinée à la fête et à la détente.
Sur fond du tube interplanétaire du début des années quatre-vingt-dix de Scorpions, « Wind of change », on entend et on voit Viktor Orbán demander le départ des troupes russes de Hongrie, lors du ré-enterrement d’Imre Nagy, héros de 1956, le 16 juin 1989 sur la place des Héros à Budapest. Le moment qui a fait la légende du leader hongrois : celle de l’homme qui a abattu le communisme.
« Si nous gardons en tête les objectifs de 1956, nous aurons la possibilité d’élire un gouvernement qui entame immédiatement des négociations sur le retrait des troupes soviétiques ». Pour cette intervention face à la foule, Viktor Orbán est resté dans la mémoire collective comme l’un des artisans du changement de régime, avec ses amis les jeunes démocrates du Fidesz.
Des historiens mettent toutefois en garde contre un culte de la personnalité qui pourrait se développer à la faveur des célébrations à venir du trentième anniversaire, et soulignent les limites du rôle historique de M. Orbán. Il n’était pas le premier à avoir harangué une foule en s’opposant directement aux occupants soviétiques. Trois mois plus tôt, lors de la fête nationale du 15 mars, l’acteur György Cserhalmi avait violemment exigé le retrait des Russes lors d’une manifestation réunissant cent mille personnes sur la place de la Liberté, devant la télévision d’Etat. (Voir la vidéo ici)
De plus, au moment où le jeune étudiant en droit prend la parole sur la place des Héros, affronter l’Union soviétique revient à affronter un lion sans dents, puisque des négociations secrètes ont été engagées entre Moscou et Budapest depuis trois mois pour organiser le retrait…lequel a déjà débuté au moment du discours du 16 juin. La question en débat est de savoir si Viktor Orbán était au courant ou non de ces négociations.
« Nous n’avons rien à faire dans un festival comme celui-ci. En fait, la propagande n’a rien à faire là-bas. »
Héros ou pas, l’artiste hongrois NoÁr a annulé sa participation au festival en découvrant ces messages diffusés au public : « Nous sommes attristés par le fait que la propagande ait réussi à s’immiscer jusque dans un festival de musique, et que des vidéos commandées par le gouvernement apparaissent sur les écrans entre les concerts », écrit-il. « Nous pensons que nous n’avons rien à faire dans un festival comme celui-ci. En fait, la propagande n’a rien à faire là-bas. (…) Quand les Black Eyed Peas ou Cypress Hill se produisent là-bas, savent-ils que leur première partie est un spot de propagande du gouvernement ? »
Les organisateurs du festival de Volt – qui sont aussi les organisateurs du célèbre festival Sziget – ont fait mine de ne pas comprendre les raisons du malaise, mettant en avant le contrat qui les lie pour les événements autour des commémorations du trentième anniversaire, et présentant le spot gouvernemental comme un parmi beaucoup d’autres en rotation sur les écrans géants.
« En 1989, les Hongrois voulaient un monde où ils pourraient s’amuser dans un festival d’été sans l’ombre du chef du parti unique. »
Le site Index.hu note qu’« il n’y a rien d’ étonnant à la présence de la propagande gouvernementale au Volt Festival » étant donné que le gouvernement a alloué un milliard de forints du budget de l’État pour le développement des services publics à l’emplacement du festival, que la publicité d’État et les sponsors privés affiliés au Fidesz sont partout sur l’événement, que le gouvernement a remis la gestion du célèbre lieu culturel budapestois Gödör (devenu Akvárium) à ses organisateurs et que la fille du premier ministre, Ráhel, est proche d’eux.
« En 1989, les Hongrois voulaient un monde où ils pourraient s’amuser dans un festival d’été sans l’ombre du chef du parti unique », écrit le site 444.hu. « On en est arrivé au point où quiconque veut voir un concert de Slipknot ou de Dead Money doit écouter toutes les 5 à 10 minutes ce qu’a dit Viktor Orbán en 1989 ». « Slipknot joueraient-ils s’ils savaient que les organisateurs diffusent des discours d’Orbán sur la scène ? Cypress Hill voudrait-il être présenté sur une scène hongroise comme un show de propagande politique ? », questionne le site Index.hu, qui trouve tout cela « infiniment triste » et révélateur de la réalité politique du pays.