Ségrégation scolaire : des écoliers roms font condamner l’État hongrois en première instance

Le tribunal d’Eger a condamné cet après-midi l’État hongrois à indemniser soixante jeunes Roms de Gyöngyöspata, victimes à ses yeux de « ségrégation scolaire ». C’est la première fois qu’une action collective de cette ampleur est engagée dans une affaire de ce type.

Article publié le 16 octobre 2018 dans Abcúg sous le titre « Pert nyertek a Gyöngyöspatán szegregáltan oktatott romák ». Traduit du hongrois par Ludovic Lepeltier-Kutasi.

Cela fait plusieurs années que cette affaire traîne en justice. Elle a trouvé un premier dénouement cet après-midi au Tribunal d’Eger avec ce verdict : l’État [hongrois] a été condamné par la cour à verser des dommages et intérêts à des élèves de l’école élémentaire Demeter Necskei de Gyöngyöspata pour « ségrégation scolaire ». Le jugement n’est pas encore définitif. L’État est poursuivi en justice par soixante-deux écoliers, parmi lesquels soixante ont en partie voire intégralement obtenu gain de cause.

La fondation « Une opportunité pour les enfants dans le besoin » a ainsi demandé 500 000 forints par semestre et par élève, soit un total de 143 millions de forint à débourser de la part de l’État. La cour présidée par Tamás Román a précisé dans son jugement le montant individuel perçu par chaque enfant. L’État a été condamné à débourser 89 millions de forint au terme de ce premier jugement, avec des sommes individuelles fluctuant entre plusieurs centaines de milliers à plus d’un million de forint.

Ce verdict de première instance « signifie qu’il faudra encore deux ans pour que l’argent soit versé », a expliqué Adél Kegye, la conseillère juridique de la fondation. « Et il n’est pas sûr que, si le principe de dédommagement est maintenu, le montant final corresponde au terme de la procédure à ce premier verdict prononcé par le tribunal d’Eger », a-t-elle également commenté.

Juste avant la tenue du procès, les parents des enfants ont déclaré dans le parc jouxtant le palais de justice que l’argent n’était pas au centre de leur démarche. Une des mères a notamment expliqué que sa fille ne savait toujours pas écrire correctement. « Croyez-moi, je serais le plus heureux si mon fils devenait un homme respectable, avec un emploi et payant ses impôts. Mais avec la scolarisation dont il a bénéficié, il n’y a aucune chance que ce soit le cas », a déclaré un autre parent présent.

En mars 2015, la Curie – la plus haute cour de justice hongroise – avait notifié que les élèves roms de l’école primaire de Gyöngyöspata avaient été illégalement séparés de leurs camarades non-roms et avaient reçu une éducation moindre en raison de cette ségrégation. La procédure actuelle a été initiée en 2016 par la fondation « Une opportunité pour les enfants dans le besoin » afin d’obtenir l’indemnisation des enfants de la part de l’école, de la municipalité et du Klik (administration centrale de l’enseignement scolaire).

L’une des principales tâches de l’avocat représentant les enfants a consisté à prouver que les élèves avaient été répartis dans les classes A et B selon leur origine rom. Parmi les anciens élèves, personne n’avait passé d’année entière dans la classe ségréguée, mais la discrimination ethnique entre élèves aurait également été mise en œuvre dans la classe « normale ». D’après les écoliers, la ségrégation leur a non seulement causé un préjudice moral à long terme, mais aurait également eu un impact sur la poursuite de leur scolarité. En raison des lacunes de leur enseignement, presque aucun d’entre eux n’a ainsi pu aller au bout des études secondaires, ce qui compromet leur chance d’obtenir le baccalauréat et les handicape à terme dans la construction de leur vie professionnelle.

Le séparatisme scolaire : un préjudice moral à long terme

Adél Kegye, la juriste de la fondation représentant les enfants et leurs parents, a déclaré lors de sa plaidoirie que l’affaire concernait soixante-deux enfants qu’il a fallu plus d’un an pour les réunir. Selon elle, il est scandaleux que l’État ait cherché à se dédouaner en rejetant l’échec personnel et professionnel de ces enfants sur leurs conditions de vie et leur environnement familial. « Est-il possible de stopper la ségrégation ? C’est la question clé de ce procès », s’est-t-elle demandé, en guise de conclusion. Il y a des centaines d’écoles comme celle de Gyöngyöspata dans lesquelles il y a plusieurs milliers d’élèves qui vivent encore des situations similaires dans le pays. Les écoliers de Gyöngyöspata sont en revanche les premiers à avoir entamé une action collective et à mener à terme leur procédure après plusieurs années de bataille juridique.

Jenő Setét : « Nous voulons l’égalité des chances pour les Roms » de Hongrie

Il y a certes déjà eu des cas où le tribunal a condamné l’État à indemniser des écoliers, mais il ne s’agissait alors que de cinq élèves et cela ne concernait qu’une seule année scolaire. Cette affaire s’était produite dans une des écoles primaires de Miskolc et la Cour suprême avait rendu un jugement définitif en 2010. Le procès actuel est de plus grande importance car c’est la première fois qu’une plainte de cette ampleur est portée contre l’État par des écoliers et leurs parents.

Les dommages subis par les enfants sont de deux natures différentes : au-delà de la seule discrimination ethnique d’une part, l’enseignement qui leur a été administré dans la classe ségréguée ne leur a pas permis d’acquérir les compétences définies dans le programme scolaire national. Cela a entravé leur épanouissement et leur reconnaissance sociale, mais également leur possibilité d’accéder à un emploi décemment rémunéré. Le préjudice moral est également considérable, notamment en ce qu’il contribue au développement d’un sentiment d’infériorité. « Dans les affaires judiciaires précédentes concernant la ségrégation scolaire, les experts et les psychiatres avaient unanimement déclaré que si un enfant était éduqué séparément, cela pouvait causer un préjudice grave et durable », avait expliqué à Abcúg l’avocate de la fondation au début de la procédure judiciaire en avril 2016. (…)

×
You have free article(s) remaining. Subscribe for unlimited access.