Roumanie : Une sénatrice antivaccins et son mari enferment et agressent une équipe de télévision italienne

Le 10 décembre, une équipe de journalistes de la chaîne italienne RAI Uno a été séquestrée et attaquée par la sénatrice Diana Şoşoacă et son mari, alors qu’ils réalisaient un reportage sur la Roumanie face à la pandémie de Covid-19.

Vendredi 10 décembre, une équipe de journalistes de la chaîne italienne RAI Uno a été séquestrée et attaquée par la sénatrice Diana Şoşoacă et son mari, alors qu’ils réalisaient un reportage sur la Roumanie pendant la pandémie. L’équipe est ensuite restée en garde à vue pendant 8 heures jusqu’à ce que le consulat italien intervienne. Depuis le début de la pandémie, la sénatrice occupe l’espace médiatique pour ses positions extrémistes et complotistes, tout en propageant une méfiance envers la presse.

Diana Şoşoacă est devenue en quelques mois une personnalité influente en Roumanie. Élue comme sénatrice dans le parti d’extrême-droite AUR, qui a fait une entrée surprenante au Parlement lors des législatives de décembre 2020, elle se montre si audible et radicale qu’elle finit par être écartée de son propre parti. Anti-vaccins et contre les restrictions sanitaires mises en place pour contrer la pandémie de Covid 19, elle colporte des théories complotistes et nationalistes sur sa page Facebook, suivie par un demi-million de personnes. Des idées qui trouvent un terreau fertile dans le pays où la confiance envers les autorités et les médecins est minée. Résultat : la Roumanie est à la traîne dans l’Union Européenne, avec seulement 40 % de vaccinés. En octobre, la quatrième vague a été d’une extrême virulence, avec près de 500 décès par jour.

La semaine dernière, une équipe de la première chaîne publique italienne RAI Uno s’est rendue à Bucarest pour réaliser un reportage sur la vaccination en Roumanie. Une rencontre avec la sénatrice est planifiée le vendredi 10 décembre dans son cabinet d’avocate. La journaliste italienne, Lucia Goracci, est correspondante à Istanbul pour la chaîne et couvre le Moyen-Orient et l’Europe du Sud-Est. Elle est alors accompagnée d’un cameraman serbe, Miki Stojicic, d’un monteur et vidéaste turc, Sirdas Yildiz, et d’une fixeuse-interprète, la journaliste roumaine Delia Marinescu.

Menaces, séquestration et agression

« À 15h40, nous nous présentons à son bureau. Elle nous accueille avec un large sourire et des assiettes avec des bretzels et des noisettes » relate Delia Marinescu sur sa page Facebook pour rétablir les faits. Mais le visage de la sénatrice, également accompagnée de son mari, change radicalement lorsque la journaliste Lucia Goracci lui parle des morts de la pandémie. « Quelle pandémie ? réplique Diana Şoşoacă. Pourquoi vous n’êtes pas morte alors ? » La journaliste italienne répond qu’elle est vaccinée et porte un masque. Elle lui demande également sur quelles preuves se basent ses prises de positions. Furieuse, la sénatrice, qui parlait jusque-là en anglais, décide de passer au roumain, « notre langue », et fait savoir à la fixeuse [qui accompagne les journalistes] qu’elle vérifiera sa traduction « car je comprends l’anglais et l’italien. »

Lucia Goracci n’accepte pas les menaces envers sa collègue et la sénatrice leur demande alors de partir. Selon Delia Marinescu, la journaliste remercie la sénatrice pour le temps accordé et s’apprête à quitter la pièce, lorsque la sénatrice se précipite et verrouille la porte. « Elle pense que nous ne sommes pas journalistes et nous demande nos pièces d’identité. Elle appelle le 112 », témoigne Delia Marinescu. L’équipe est enfermée dans le bureau jusqu’à ce que la police arrive une dizaine de minutes plus tard. Lucia Goracci filme la scène, ce qui provoque la colère du mari, Silvestru Şoşoacă. Dans sa plainte, la journaliste italienne décrit que celui-ci essaie de lui enlever son téléphone, lui mord la main et la frappe au bras, avant d’attaquer le policier qui s’interpose.

« Je suis allé dans près d’une centaine de pays et je n’ai jamais rien vu de tel » déclare Sirdas Yildiz à Delia Marinescu.

Huit heures de garde à vue

L’équipe de télévision déplore une prise en charge inadéquate par la police roumaine, qui leur impose huit heures de garde à vue sans motif valable. Au commissariat, où Lucia Goracci pensait pouvoir déposer une plainte pour agression, « [les policiers] nous disent que nous avons été emmenés là-bas parce que Diana Șoșoacă s’est plainte que nous sommes entrés contre son gré. Lucia Goracci leur répond que ce n’est pas le cas et qu’elle est venue volontairement se plaindre d’avoir été agressée dans le cadre de son travail de journaliste. Elle ajoute qu’elle n’a pas été amenée au commissariat, comme le prétend maintenant la police » raconte Delia Marinescu. Alors que l’équipe décide de partir, la police les retient jusqu’à l’intervention du consul italien au milieu de la nuit.

Le lundi 13 décembre, Delia Marinescu est convoquée aux audiences en tant que témoin de la poursuite pénal envers Silvestru Șoșoacă pour outrage à agent. La plainte des journalistes n’a pas encore été encore prise en compte. L’ambassade d’Italie, sous les instructions du vice-premier ministre italien, a demandé aux autorités roumaines d’enquêter, ce à quoi le Ministère roumain des Affaires Étrangères répond qu’il « prendra des mesures nécessaires ». Le premier ministre roumain, Nicolae Ciuca, condamne fermement cette atteinte à la liberté de la presse.

Pendant ce temps, la sénatrice tente de rétablir son image à travers les sociaux, se présentant comme une victime « d’espions étrangers » alors que sa mission est de dire la vérité. Des rumeurs, empreinte d’une rhétorique complotiste, circulent, et les journalistes sont alors vus comme responsables, malgré les vidéos qui prouvent le contraire. À sa sortie de l’audience, Delia Marinescu est questionnée par un reporter : « Vous avez poussé Madame Șoșoacă ? », auquel elle rétorque : « Nous avons été privés de notre liberté, et la journaliste italienne et un policier ont été agressés alors que nous faisions tous notre travail. »

Marine Leduc

Journaliste indépendante en Roumanie et en France. Elle publie dans La Croix, Télérama, Equal Times, Le Monde Diplomatique, Basta!, Axelle magazine, et Regard, la revue francophone de Roumanie.

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