Roumanie : soupçon de cartel électoral entre le PSD et l’Union démocrate magyare

Lors des récentes élections européennes, le parti ethnique hongrois UDMR/RMDSz a fait campagne pour « une Europe forte dans une Transylvanie qui se développe ». Pourtant, c’est bien loin des régions traditionnellement peuplées de Hongrois que l’Union magyare a réalisé ses scores les plus surprenants.

L’Union démocrate magyare de Roumanie est parvenue à faire élire in extremis deux députés au Parlement européen lors du scrutin de dimanche dernier. Autrefois parti hégémonique des quelques deux millions de Hongrois de Roumanie, capable de réunir 8,9% des suffrages en 2009, l’UDMR/RMDSz a senti plusieurs fois le vent du boulet durant cette campagne électorale, plusieurs instituts de sondage lui pronostiquant ces dernières semaines un score inférieur au seuil éliminatoire de 5%.

« Si nous examinons de près les votes recueillis par l’UDMR/RMDSz à l’échelle des județe et les comparons aux votes exprimés lors des élections législatives de décembre 2016, il y a de quoi tomber de sa chaise », a écrit Csaba Lukács dans un article publié mardi dernier dans Magyar Hang. Selon l’hebdomadaire hongrois, l’Union magyare a atteint des scores anormalement élevés dans de nombreuses localités situées en dehors de la Transylvanie, où vit l’écrasante majorité de la minorité hongroise du pays.

Dans le județ de Constanța par exemple, 1929 personnes ont voté pour l’UDMR/RMDSz alors que n’y vivent que 450 Hongrois selon le recensement de 2011. Dans celui d’Olt, le ratio s’élève à 877 électeurs pour 66 Hongrois, dans le județ de Teleorman il est de 669 votants pour l’Union contre 18 Hongrois. D’autres records ont été enregistrés dans les județe de Botoşani, Vaslui et Ialomiţa, où l’UDMR/RMDSz a recueilli en voix vingt-cinq fois le nombre de personnes se déclarant hongroises.

Comme le rappelle Magyar Hang, « ce genre de coup de main électoral a sa propre tradition en Roumanie : la plus jeune fille de l’ancien président Traian Basescu, Elena Basescu, avait déjà réussi à se faire élire députée européenne en 2009 grâce à une manoeuvre similaire avec le parti démocrate libéral ». Dans le cas de l’UDMR/RMDSz, ses performances ont eu lieu dans les bastions du Parti social-démocrate roumain (PSD), soutenu par l’Union magyare.

Des membres du PSD en grand renfort de l’Union magyare

Selon le site d’information roumain G4media, le PSD a bien aidé l’UDMR/RMDSz à envoyer des assesseurs dans les nombreux bureaux de vote dont il est traditionnellement absent. Une information renforcée par un témoignage relayé par Magyar Hang : « J’ai couvert personnellement 38 bureaux de vote dans le județ de Constanța. C’était bizarre d’y voir partout des assesseurs de l’Union magyare, surtout dans des villages comme Vadu, Fantanele, Tariverde, Coslugea, où le parti n’y dispose d’aucune section locale et où d’ailleurs ne vit aucun Hongrois. En discutant avec eux, je me suis aperçu que tous les délégués de l’UDMR/RMDSz étaient membres du PSD ».

Dans un article publié mercredi, Magyar Hang rappelle qu’en Roumanie, les assesseurs reçoivent 165 lei pour l’organisation du bureau de vote, soit environ 35 euros. « C’est une somme conséquente dans ces régions, et si dans chaque bureau un assesseur convainc sa femme et ses enfants majeurs de voter, ça représente rapidement plusieurs dizaine de milliers de voix dans le décompte final. Il faut qu’un parti ami fournisse environ 9000 délégués pour atteindre ce résultat, et que les familles jouent le jeu et votent pour le parti à la tulipe. Pour un grand parti, ce n’est pas très grave de perdre 35000 électeurs (surtout aux élections européennes), alors que pour un petit parti, en récupérer autant en va de sa survie ». 

Le directeur de campagne de l’Union magyare, Bálint Porcsalmi, a nié tout achat de voix auprès de l’hebdomadaire. « Les résultats dans les județe au-delà des Carpates – sous entendu en dehors de Transylvanie, ndlr – ont même été en deçà de nos attentes », a-t-il notamment déclaré. Selon lui, le gonflement du nombre d’assesseurs en dehors des régions traditionnelles de la minorité hongroise ne serait que les « fruits du travail effectué là-bas depuis les trois derniers mois », quand bien même l’UDMR/RMDSz, faisant campagne sous le slogan « Une Europe forte dans une Transylvanie qui se développe » n’y a organisé aucune manifestation politique.

L’UDMR/RMDSz est un très proche allié de Viktor Orbán en Roumanie. Le premier ministre hongrois s’était d’ailleurs rendu au début du mois de mai en Transylvanie pour faire campagne en faveur de l’Union magyare. Les deux députés européens élus ce dimanche sur la liste menée par Gyula (Iuliu) Winkler devraient renforcer les rangs du Fidesz à Strasbourg.

Ludovic Lepeltier-Kutasi

Journaliste, correspondant à Budapest. Ancien directeur de publication et membre de la rédaction du Courrier d'Europe centrale (2016-2020) et ancien directeur de la collection "L'Europe excentrée" (2018-2020).

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