Le coup de théâtre de Băsescu

Après une nuit de suspense électoral, c’est le candidat de centre – droit sortant, Traian Băsescu, qui semble avoir re-gagné, à couteaux tirés (50,43% contre 49,57%), la présidence de la République roumaine ce matin, pour 5 ans.

Son challenger, le social-démocrate Mircea Geoană, avait pourtant de bonnes raisons d’y croire, hier soir, à l’issue des premières estimations. Mais porter réclamation pourrait être fatal à toute la Roumanie, la stabilité politique étant le bâton, et le prêt la carotte du FMI.

En pleine crise économique, la Roumanie, pays le plus pauvre de l’Union Européenne avec son voisin bulgare, se devait de sortir de l’impasse politique dans laquelle elle se trouve. Impasse qui a entraîné, il y a un mois, le gel de son sauvetage économique par le Fonds Monétaire International.  Si les nombreux doutes qui planent sur ce résultat rocambolesque sont avérés, cela pourrait plonger le pays dans une instabilité encore plus grande, et éloigner un peu plus la confiance du bâilleur de fonds international.

Un scénario suspect?

A la fermeture des bureaux de vote hier soir, Geoană avait une avance allant jusqu’à 3 points selon les estimations des 4 premiers instituts de sondage. Théoriquement, partant avec plus de 30% des voix au premier tour, il s’était octroyé les voix du parti libéral de Crin Antonescu, arrivé troisième avec 21% des suffrages une semaine plus tôt, ainsi que celles de l’Alliance Démocratique des Hongrois de Roumanie (UDMR), entre autres petits partis. Mais son avance s’est tout simplement inversée ce matin, lorsque 95% des bulletins avaient été dépouillés, sans compter les votes des Roumains expatriés. Ceux-ci allaient être logiquement promis à Băsescu, puisqu’il avait obtenu la quasi totalité des quelques 150 000 voix des 2 millions de Roumains vivant à l’étranger au premier tour.

Hier soir, les deux candidats criaient victoire, mais Băsescu avait l’air étrangement plus serein que son opposant, euphorique, qui appelait déja le président à la transmission démocratique du pouvoir. Ce matin, devant des résultats bien plus serrés et en sa défaveur, Geoană refusait de s’avouer vaincu, bien que l’affaire semblait bel et bien pliée. Le scrutin roumain a été validé conforme par l’OSCE, mais beaucoup de membres de son parti commencent à souligner des irrégularités et des fraudes électorales en tous genres ; l’avenir dira s’il y aura, ou non, des réclamations possibles. En attendant, Traian Băsescu, lui, signe un retour spectaculaire, pour ne pas dire miraculeux, dans la toute dernière ligne droite, puisqu’il rattrape aujourd’hui les 8 points de retard que tous les sondages lui donnaient avant-hier.

L’élection de la crise économique et politique

Depuis la fin du régime de Nicolae Ceaușescu, cette élection s’annonçait comme la plus importante de l’histoire moderne du pays, puisqu’elle est censée pouvoir relancer les pourparlers avec le FMI sur l’aide de 20 milliards d’euros dont la Roumanie a besoin pour payer ses fonctionnaires et soigner son économie. En novembre, le FMI avait mis une première tranche de cette aide (1,5 milliards d’euros) en « stand by », en attendant la formation du nouveau cabinet ce mois-ci et le début de la réduction des dépenses budgétaires. Cette décision a évidemment suscité une grande inquiétude au sein des marchés financiers à Bucarest jusqu’à aujourd’hui, où rien n’est pour autant plus clair qu’avant. La monnaie roumaine, le nouveau lei, a aussi subi une baisse de 4,7% face à l’euro depuis janvier, et son cours passe en-dessous des performances actuelles d’autres devises fragiles comme le forint hongrois ou le zloty polonais.

Sur le plan purement intérieur, le président ultra-libéral et réputé pro-américain aura néanmoins beaucoup de difficultés à former son nouveau gouvernement. Il se trouve dans la quasi obligation de créer une large coalition avec les autres formations du pays, qui, elles, sont en majorité constituées d’anciens communistes reconvertis en sociaux démocrates libéraux. Mis à part les nationalistes chrétiens du Parti de la Grande Roumanie, qui surveillent les Hongrois de l’UDMR du coin de l’œil, toutes les autres factions, et surtout les libéraux, soutiennent en dernier recours le programme économique social-démocrate sur lequel Geoană a centré sa campagne. Au contraire, et comme pour déplaire à tout le monde, sauf à la communauté internationale et à l’UE, Traian Băsescu a, lui, préféré centrer son discours sur la lutte contre la corruption, du sommet à la base de la société roumaine. Il était pourtant assez mal placé pour parler du financement des partis par exemple, puisque comme la plupart des candidats à l’élection, il a explosé les dépenses légales prévues pour une campagne électorale en Roumanie.

Une brèche s’ouvre pour l’UDMR

La tâche s’annonce donc très dure pour le président et son futur gouvernement de fortune, d’inspirer confiance au FMI en présentant un climat politique stable. Il ne restera à Băsescu que son propre parti (Parti Démocrate Libéral de Centre-Droit) et quelques opportunistes du Parti Libéral pour former une équipe. L’UDMR (5% des votes au premier tour), qui a pourtant appelé à voter Geoană au second tour, pourrait bien tirer profit d’une coalition difficile à réaliser pour Băsescu. Ce dernier n’a pas beaucoup d’autres choix que de faire également appel à eux.

Ironie du sort pour les Hongrois du pays, la fête décrétée nationale en Roumanie depuis 1989, a eu lieu dans l’entre-deux-tours, la semaine dernière. Elle célèbre l’union, suite au traité de Trianon, de la Transylvanie avec le royaume de Roumanie, le 1er décembre 1918.

François Gaillard

Cofondateur de Hulala et ancien membre de la rédaction

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