Révolution hongroise de 1956 : Viktor Orbán s’enfonce dans un révisionnisme historique

Selon Viktor Orbán, les révolutionnaires de 1956 cherchaient à « imposer un cessez-le-feu et des négociations de paix ». Un révisionnisme historique inédit et grossier destiné à ne pas contredire sa position sur la guerre en Ukraine.

« Quand on y réfléchit, en 1956 nous ne nous sommes pas battus parce que nous pensions que nous allions vaincre l’Union soviétique. Nous avons entrepris une révolution et un combat pour la liberté afin d’imposer un cessez-le-feu et un accord de paix. Nous pensions qu’il était possible de parvenir à un accord de paix, comme but ultime de la révolte armée, après lequel les Russes auraient pu s’entendre avec l’Occident pour que nous, comme l’Autriche, soyons neutres », a déclaré Viktor Orbán lors d’une interview le 14 octobre au matin.

Un « cessez-le-feu » ainsi qu’un « accord de paix », voilà donc les objectifs des révolutionnaires hongrois de 1956 selon le Premier ministre hongrois. Un révisionnisme historique déroutant de la part d’un dirigeant qui a toujours placé 1956 au cœur de sa rhétorique nationaliste et souverainiste.

Viktor Orbán tente de brouiller les pistes en affirmant que « notre Zelensky, ils l’ont pendu ».

Certes, Viktor Orbán ne s’est jamais trop gêné pour se réapproprier des pans entiers de l’histoire hongroise, se posant volontiers en héritier des « Gars de Pest » qui ont combattu contre les tanks soviétiques. Depuis plusieurs années, il n’hésitait notamment pas à faire le parallèle entre la révolte hongroise de 1956 et le combat actuel de Budapest contre la « dictature bruxelloise ». Mais malgré cette instrumentalisation, il n’avait pas (encore) réécrit l’histoire de cette révolution.

C’est désormais chose faite. « La déclaration du Premier ministre pose de nombreux problèmes. Le premier d’entre eux étant qu’elle n’a rien à voir avec la réalité » rétorque l’historien Krisztian Ungvár. Les historiens sont unanimes : aucun des révolutionnaires hongrois de 1956 n’avait en tête l’idée de cessez-le-feu ou de négociations de paix. Les seuls buts du soulèvement étaient le départ définitif de l’occupant soviétique, et l’indépendance pleine et entière d’une Hongrie démocratique.

Viktor Orbán tente de brouiller les pistes en affirmant que « notre Zelensky, ils l’ont pendu », comparant ainsi le président ukrainien Volodymyr Zelensky à Imre Nagy, le dirigeant hongrois qui revint au pouvoir lors des événements 1956. Il est vrai qu’Imre Nagy a bel et bien cherché à négocier avec les Soviétiques. Mais malgré son revirement tardif contre Moscou, Krisztian Ungvár rappelle qu’il restait « fondamentalement un stalinien, sans légitimité démocratique, que les révolutionnaires n’écoutaient pas particulièrement », tout l’inverse d’un Volodymyr Zelensky élu démocratiquement en 2019 et leader incontesté de la résistance contre l’occupant russe.

Surtout, il est clair que lorsque les blindés soviétiques entrent en Hongrie le 4 novembre 1956 pour mater le soulèvement, Moscou n’a pas la moindre intention de négocier avec qui que ce soit – Imre Nagy lui-même est rapidement exécuté après un procès factice.  

« Peu importe ce qu’en pensent les Ukrainiens »

Le mobile de ce révisionnisme historique n’a rien d’un secret. Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Viktor Orbán se vante d’être du « parti de la paix » en appelant à des « négociations de paix et un cessez-le-feu immédiat », sans jamais expliquer ce que de telles négociations signifieraient concrètement.

D’aucuns auraient pu penser que l’héritage de 1956, tout comme celui de 1848, où le peuple hongrois s’est soulevé pour son indépendance et sa liberté avant d’être réprimé dans le sang par l’armée russe, aurait poussé n’importe quel dirigeant hongrois à compatir avec le sort des Ukrainiens.

Mais ce n’est pas le cas de Viktor Orbán et du Fidesz. Tous les jours, les médias progouvernementaux déversent la propagande du Kremlin, selon laquelle l’Ukraine – dont l’existence même en tant que nation serait douteuse – est coupable de résister à l’invasion de son voisin et devrait sans plus attendre rendre les armes, avant de laisser les États-Unis et la Russie décider de son sort.

Orbán dans la lignée de Kádár

En 1956, après la répression sanglante, János Kádár s’installe à la tête de la Hongrie et gouverne seul jusqu’en 1988. Sous son règne, 1956 ne peut être rien d’autre qu’une « contre-révolution ». Après son départ, la remise en cause de ce récit officiel fait trembler les fondations mêmes du système.

En 1989, avec le changement de régime, les Hongrois se réapproprient la vérité sur cet événement fondateur, avec, comme moment-clef, les funérailles d’Imre Nagy, qui méritent désormais les honneurs de la nation. Sur scène, le jeune Viktor Orbán se fait remarquer avec son fameux « Ruszkik haza ! » (« Dehors les Russkoffs ! »). Trois décennies plus tard, le prorusse Viktor Orbán n’a aucun mal à voir ces Russes envahir l’Ukraine, pas plus qu’il n’a de mal à falsifier l’histoire de son propre pays.

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