« Le rapprochement des niveaux de vie doit être la première des priorités européennes »

Le travail détaché et le dumping social qu’il cause n’est que le symptôme d’un mal plus profond, estime le secrétaire d’État tchèque aux affaires européennes, Aleš Chmelař. Pour lui, le rapprochement des salaires et des niveaux de vie doit être la priorité européenne numéro une. Nous avons reproduit sa tribune complète ici.

Tribune publiée le 23 août 2017 dans Hospodářské noviny sous le titre « Jak rozbít mýtus o dvou Evropách » (« Comment casser le mythe des deux Europe »). Traduite du tchèque par André Kapsas.

Cette année, en décembre, le premier TGV entre Berlin et Münich s’élancera. Ce projet datant de 1991 avait un but clair : unir l’est et l’ouest de l’Allemagne non seulement politiquement, mais aussi dans les faits. Cela a duré un quart de siècle, mais cela a réussi. Sans le vouloir, ce projet unificateur sépare cependant l’Europe à un autre endroit. Le voyage entre Berlin et Vienne qui passait traditionnellement par Prague sera maintenant plus rapide et plus simple en contournant notre République et en faisant une grande boucle par Salzbourg en Autriche. C’est un symbole fort qui ne symbolise malheureusement pas seulement l’état actuel du réseau de transport. L’union politique et institutionnelle est une chose. Mais dans les faits cela peut se révéler étonnamment exigeant.

Pour aujourd’hui, Salzbourg ne sera pas le symbole de l’évitement. Cela sera au contraire le point de rencontre de ce que l’on appelle encore l’Europe de l’Est et de l’Ouest. Les premiers ministres de Tchéquie et de Slovaquie, le chancelier autrichien et le président français ne feront pas moins que discuter de la façon dont l’on peut remédier à ces sentiments de manque de confiance entre l’Europe de l’Ouest et de l’Est.

Cela prend de nombreuses formes. L’absence de véritable rapprochement des niveaux de vie a récemment mené à la crise de l’eurozone et au schisme entre le Sud et le Nord de l’Europe. Ce rapprochement trop lent vient maintenant créer l’impression que les gens des pays plus pauvres menacent ceux des pays plus riches de par leurs faibles salaires. Cela a considérablement et peut-être même décidément contribué à la sortie des Britanniques de l’UE. Et cela continue à créer des tensions dans plusieurs régions d’Europe de l’Ouest, où l’on a peur des travailleurs de notre région et où l’on tend vers les extrêmes qui promettent des solutions aussi rapides qu’irréalistes.

Les fortes différences de salaires dans l’UE causent d’énormes problèmes dans toute une série de sujets qui ne semblent avoir aucun rapport, comme par exemple la migration. Les réfugiées relocalisés vers les pays plus pauvres se redirigent ainsi en masse vers l’Allemagne et la Scandinavie, mettant le système sens dessus-dessous.

Les différences de niveau de vie sont une question européen clé qui crée de nouvelles crises et tensions de par l’Europe. Si nous voulons résoudre le Brexit, la vague de migration et le problème du dumping social séparément, nous n’y arriverons pas. Nous ne ferons que soigner les symptômes. La solution fondamentale est le rapprochement des salaires et des niveaux de vie en Europe comme priorité européenne numéro une.

Et justement cela sera le sujet principal des négociations des représentants d’Europe centrale avec le Président français Emmanuel Macron. Leur but est d’ailleurs commun : de nombreux Français sont dérangés par les bas salaires des travailleurs d’Europe centrale et orientale. Je me permets de faire remarquer ironiquement que cela dérange aussi nombre de ces travailleurs eux-mêmes. Y compris les Tchèques.

« De nombreux Français sont dérangés par les bas salaires des travailleurs d’Europe centrale et orientale. […] Cela dérange aussi nombre de ces travailleurs eux-mêmes. »

Les Tchèques voudront montrer l’envers de la médaille du débat, c’est-à-dire les salaires payés par les entreprises françaises à leurs employés tchèques. Certains se rapprochent de la moyenne française, mais la grande majorités d’entre eux ne sont qu’une fraction du salaire minimum [français].

La persistance des bas salaires, sans égard pour l’état de l’économie, crée pour des millions de gens en Europe centrale et orientale le sentiment qu’ils sont des citoyens de seconde catégorie de par leur lieu de naissance ou de résidence. C’est quelque chose d’inacceptable au sein de l’UE.

Le mythe de la double Europe est souvent renforcé par les débats théoriques sur son noyau et sa périphérie. Celui qui prétend que la Tchéquie est en périphérie parce qu’elle n’est pas membre de l’eurozone se trompe fortement. Les questions économiques jouent le rôle principal depuis longtemps. Alors que les réformes de l’eurozone ne sont pas vraiment venues au cours de la dernière année, l’Europe a plus avancé dans le domaine de la défense que dans les soixante années précédentes. À en juger par les déclarations du premier ministre slovaque Robert Fico la semaine dernière [ndlr : dont le pays est membre de la zone Euro], il est clair que l’euro en tant que tel n’est pas un gage d’appartenance au noyau. Pour la Tchéquie et la Slovaquie, ce sont plutôt les nouvelles initiatives dans la politique de défense, où Prague est un meneur, et c’est justement dans le domaine de la défense que les Tchèques font partie de ce noyau imaginé, que nous payions en euro ou pas. C’est cela qu’ils veulent prouver aujourd’hui à Salzbourg où la discussion sur une forte politique européenne de défense aura aussi lieu, en plus du rapprochement des niveaux de vie.

Robert Schuman, l’un des pères spirituels de l’UE, a affirmé dans sa déclaration que «L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble». Même des pays développés comme l’Allemagne ont besoin de presque plus de temps pour combler les différences entre Est et Ouest que n’a duré la séparation par le mur de Berlin.

Des choses concrètes, que ce soit le chemin de fer ou le rapprochement des niveaux de vie, ont tout simplement besoin de temps, et pour y arriver nous devons avoir le même objectif des deux côtés. Après tant de temps, c’est justement maintenant que la France – et pas seulement elle – démontre la volonté de se débarrasser du tabou et de discuter de la façon dont on peut briser le mythe des deux Europes. Et pas seulement dans nos têtes, mais dans la réalité.

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