Qui est Eduard Heger, le nouveau chef du gouvernement slovaque ?

Après plusieurs semaines de crise gouvernementale, la Slovaquie a un nouveau Premier ministre, en la personne d’Eduard Heger. Un homme d’affaires discret de 44 ans, qui a percé en politique dans le mouvement d’Igor Matovič, son prédécesseur. Portrait.

(Bratislava, correspondance) – Seulement 376 jours ont suffi au chef du plus grand parti parlementaire de Slovaquie pour se brouiller avec ses partenaires de coalition, les commentateurs politiques et une grande partie du peuple. Après presque un mois de crise gouvernementale, catalysée par l’importation du vaccin russe Spoutnik V, Igor Matovič a démissionné de son poste de premier ministre. Il a échangé sa fonction au sein du gouvernement avec l’actuel ministre des Finances, Eduard Heger. Qui est donc le nouveau Premier ministre slovaque ?

Activiste chrétien

Il y a encore cinq ans, presque personne n’avait entendu parler d’Eduard Heger. Cet homme d’affaires inconnu est apparu sur la liste électorale du parti OľaNO en 2016 à la 24ème place. Le mouvement d’Igor Matovič propose en effet de nouveaux visages à chaque nouvelle élection parlementaire. Grâce au système de votes préférentiels Heger s’est retrouvé à la dixième place et a donc exercé un mandat de député entre 2016 et 2020. Cela pourrait être qualifié de belle réussite pour un novice en politique. Certains commentateurs voient derrière cette bonne fortune la combinaison de son double statut d’activiste chrétien et d’économiste.

« J’ai été élevé en tant qu’athée et je suis devenu croyant à l’âge adulte », confie Heger. Il s’est en effet converti au christianisme après la mort de son père, duquel il était particulièrement proche. Il est intéressant de constater que ce père a été un fonctionnaire du parti communiste. Son rôle était d’inculquer la doctrine socialiste à la jeunesse. Eduard Heger se souvient qu’il organisait des festivals de musique et que lui, petit, faisait partie du mouvement des pionniers. Après l’université et son éveil à la religion, il a fondé une maison d’édition chrétienne et a même été pendant un temps prédicateur.

  • 3 mai 1976 : Naissance à Bratislava
  • 1999 : Diplômé de l’université d’économie de Bratislava
  • 2016 : Devient député dans le mouvement OĽaNO d’Igor Matovič
  • 21 mars 2020 : Devient Ministre des Finances
  • 1er avril 2021 : Devient Premier ministre
Commerce de vodka

Si Heger aime parler de sa foi, il ne mentionne que rarement qu’il a consacré une grande partie de sa carrière au commerce de vodka. Avant son entrée en politique, et ce pendant dix ans, il a exercé le métier de country manager pour une compagnie slovaque exportant une vodka de luxe, connue sous nom de Double Cross, vers les États-Unis. Le tarif pour une bouteille étant de plus de 50 euros, une grande partie des stocks se vendait à l’étranger. Heger tenait ce business, que d’aucuns qualifieraient de peu chrétien, avec un copain situé de l’autre côté du spectre politique. L’ami en question est Juraj Droba, qui est aujourd’hui président de la région de Bratislava et membre du parti libéral Liberté et Solidarité (SaS).

Si Heger aime parler de sa foi, il ne mentionne que rarement qu’il a consacré une grande partie de sa carrière au commerce de vodka.

« Juraj Droba est comme un frère pour moi, il est mon ami et le parrain de mon fils. Il ne se cache pas d’être libéral et moi, je suis ouvertement chrétien. Une amitié comme celle-ci ne peut poser problème à quiconque dans une démocratie », déclare Heger en ajoutant qu’ils se connaissent depuis 20 ans. Les liens de Heger avec le parti SaS sont aujourd’hui une très bonne nouvelle, étant donné que le conflit dans la coalition gouvernementale a surtout été le résultat de la relation tendue entre Igor Matovič et chef des libéraux, Richard Sulík. Une autre figure du camp libéral dans l’entourage de Heger est son chef de la communication, Ivan Štulajter.

Un proche de Matovič

La carrière politique d’Eduard Heger ne remonte qu’à cinq ans et sa réputation n’a pas été entachée à ce jour. Pendant son année en tant que ministre des Finances, il a réussi à coordonner la préparation du Plan de relance et a mis sur la table une grande réforme fiscale. Celle-ci devrait radicalement changer le système de la taxe d’habitation et de la taxe foncière considérées par OľaNO comme trop faibles pour les gens aisés.

Mais que disent les experts et ses collaborateurs du nouveau Premier ministre ? En principe, ils sont d’accord : Eduard Heger n’est pas un homme conflictuel. Il se montre poli et affable en toutes circonstances et serait difficile à mettre en colère. A entendre les retours de son entourage, c’est donc un homme tolérant qui écoute ses partenaires comme ses conseillers. En ce sens Heger semble être l’exact contraire de son prédécesseur Igor Matovič, qui régnait sur la Slovaquie avec son compte Facebook comme Donald Trump sur les États-Unis avec Twitter.

« En Amérique j’ai acquis de l’expérience. J’appréciais que là-bas, si quelqu’un a une opinion opposée ou différente de la mienne, il n’est pas mon ennemi. En Slovaquie, si nous sentons que quelqu’un a une opinion contraire à la nôtre, nous devons automatiquement lutter contre lui. Une discussion constructive exige que l’on écoute toutes les opinions pour ensuite chercher un compromis », explique Heger en faisant référence à son calme inébranlable, en tout cas jusqu’ici.

Il ne s’est par exemple jamais distancé de la manière dont Matovič dirigeait le gouvernement en se querellant avec tout le monde, ni n’a reconnu de fautes commises dans la gestion de la crise sanitaire.

Problème réglé ?

Le problème, cependant, est que Matovič est resté vice Premier ministre et ministre des Finances. En tant que tel, il a son mot à dire sur chaque projet de loi. Si côté personnalité, l’arrivée de Heger est saluée comme un changement appréciable en comparaison avec Matovič, il faut rappeler qu’il n’a jamais été critique à l’égard de son chef de parti. Il ne s’est par exemple jamais distancé de la manière dont Matovič dirigeait le gouvernement en se querellant avec tout le monde, ni n’a reconnu de fautes commises dans la gestion de la crise sanitaire.

L’ancien ministre des Finances Ivan Mikloš (de centre-droite, sous le gouvernement de Mikuláš Dzurinda et Iveta Radičová) est sceptique quant à la réussite de ce « nouveau » gouvernement. « J’ai peur que le problème dont nous avons été témoins ces dernières semaines ne soit pas résolu. Igor Matovič reste au gouvernement et sa force n’est pas moindre. J’espère cependant me tromper, car la Slovaquie a vraiment besoin d’un gouvernement stable », a-t-il déclaré.

Photo d’illustration : KAY NIETFELD/AFP

Vera Cosculluela

Journaliste politique à Bratislava en Slovaquie, pour l'hebdomadaire "Plus 7 dní".

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