Quand une journaliste autrichienne ose poser des questions « provocantes » au gouvernement hongrois…

Un sujet du JT de la télévision publique hongroise M1, à charge contre une journaliste autrichienne, crée un imbroglio diplomatique entre la Hongrie et l’Autriche. Il révèle aussi le degré de propagande véhiculée par les médias publics à la botte du pouvoir.  

Le « journalisme » pratiqué par les médias publics en Hongrie n’est pas le même que celui des journalistes autrichiens, tout au moins de celui Franziska Tschinderle. Cette dernière a, selon le bandeau d’information du journal télévisé de la chaîne publique M1 en Hongrie « provoqué avec ses questions » des eurodéputés du Fidesz, le parti de Viktor Orbán. 

Dans un sujet à charge de 3 minutes et demie, qualifié par Telex de « voyage dans le temps, dans les années 1960-70 », à une époque où le contrôle de l’information par le parti unique était total, on y apprend que la journaliste, qualifiée d’ « Autrichienne libérale », a contacté les eurodéputés avec des « questions provocantes » qui masquaient apparemment mal des « allégations ». Elles portaient sur la formation d’une alliance d’extrême-droite entre le PiS polonais, le Fidesz hongrois et la Lega italienne.

« Il ne s’est pas écoulé une semaine [depuis la rencontre entre Orban-Salvini-Morawiecki] que la presse européenne libérale de gauche se lance déjà dans une attaque sans précédent » peut-on également entendre. 

« La journaliste a provoqué avec ses questions ». Capture d’écran.

En substance, voici les questions que la journaliste a adressé par email au service de la communication gouvernementale, traduites depuis l’anglais :

  • Quand Orbán, Salvini et Morawiecki ont rassemblé leur force à Budapest et annoncé la possible création d’une nouvelle alliance, pourquoi n’y avait-il aucun représentant du Rassemblement national ou du FPÖ à ce meeting historique ?
  • Quel est l’objectif de l’alliance et qui pense à la rejoindre ?
  • La création d’un parti eurosceptique n’est pas un phénomène nouveau, c’est quelque chose qui remonte aux années 1980. Ça a échoué à plusieurs reprises, à cause notamment de vues divergentes à propos de la Russie et de la Turquie, mais aussi à la suite d’attaques antisémites. Comment éviter un nouvel échec ? 

Le « reportage » s’attarde, plus de trois minutes durant, sur des captures d’écrans de l’email contenant ces questions. À la première question, le commentateur de M1 explique que « seuls des journalistes amateurs s’interrogent au sujet de l’absence de personnes dont la présence n’a jamais été annoncée ». Il ajoute que « le but de la question est clair » : mettre au même plan les partis « depuis longtemps catégorisés comme étant d’extrême droite » avec « le nouveau mouvement en construction ». 

Il révèle également la réponse adressée par Tamás Deutsch, chef de la délégation du Fidesz au Parlement européen : ces questions n’étant pas de « vraies » questions, mais des allégations d’euroscepticisme et d’antisémitisme, ils ne répondront pas. Le reportage se termine en affichant des captures d’écrans des différents articles publiés par Mme Tschinderle. 

« C’est absurde. Je n’ai fait qu’envoyer un email. »

Faut-il s’étonner de l’absence d’éthique journalistique de ce reportage, sachant que le patron des médias publics (la MTVA), Dániel Papp, nommé en 2018, est lui-même un faussaire de l’information ? En effet, en avril 2011, ce dernier avait été pris en flagrant délit de falsification d’un reportage vidéo, dans le but de diffamer l’eurodéputé vert Daniel Cohn-Bendit.

Franziska Tschinderle n’a pas manqué de partager sa surprise. « C’est la triste réalité en Hongrie » ajoutant qu’il « s’agit de nos collègues à Budapest et le reste de la Hongrie qui doivent faire face à ça tous les jours et toutes les semaines. Ils méritent notre solidarité. Je peux vous garantir que nous n’allons pas arrêter d’écrire à propos du recul de la démocratie chez notre voisin. »  

La presse et la classe politique autrichienne ont vivement réagi à cette vidéo diffusée par la télévision publique hongroise. En réaction, la M1 a décidé de consacrer un second sujet, de près de cinq minutes cette fois, à cette affaire. S’il reprend d’abord largement les éléments de la première vidéo, il se termine en ciblant les médias indépendants et les membres du parti d’opposition Momentum, tout en convoquant l’éternel bouc-émissaire, Georges Soros. 

« Le plus triste dans cette affaire, c’est que la presse libérale de gauche ne comprend toujours pas que si la journaliste autrichienne avait posé des questions pertinentes, elle aurait obtenu des réponses pertinentes », entend-on dans le sujet de la M1.« Au lieu de ça, elle provoque à la façon d’une activiste politique et juge de manière malhonnête. » Et de conclure en clamant que « les explications et les accusations puantes de la gauche » relèvent de la « démence »

La diplomatie s’en mêle

L’affaire est remontée jusqu’aux chancelleries. Dans un tweet, le ministère des Affaires étrangères autrichien a ainsi affirmé que “poser des questions critiques est le cœur du métier de journaliste. Le traitement par M1 de Mme Tschinderle est par conséquent inacceptable.” Le ministre des Affaires étrangères autrichien, Alexander Schallenberg, a contacté par téléphone son homologue hongrois, Péter Szijjarto. 

Ce dernier n’a pas manqué de le confirmer, dans un post Facebook où il retourne complètement l’affaire. Il s’insurge de “l’excitation” provoquée en Autriche par les “critiques” de la télévision publique hongroise, et accuse la journaliste autrichienne de propager des “fake news”. 

Un contre-feu pour faire oublier l’hécatombe dans les hôpitaux ? 

Monter en épingle cette affaire, somme toute assez mineure, pourrait relever d’une stratégie de contre-feu du Fidesz, soucieux de détourner l’attention de la mortalité record causée par l’épidémie de Covid-19, et un moyen de maintenir son électorat sous tension. Cette hypothèse est accréditée par l’attention portée au limogeage récent d’un coach de football hongrois au club allemand du Herta Berlin, accusé de propos homophobes et xénophobes.

Cette dernière affaire agite les médias de droite, tels que le Magyar Nemzet qui écrit : « ce qui se passe aujourd’hui en Allemagne, plus largement dans toute l’Europe occidentale, est du pur totalitarisme. Il serait difficile de décider si l’Allemagne d’Angela Merkel est plus proche de l’Allemagne hitlérienne des années 1930 ou de la RDA d’Eric Honecker ». Et son auteur, Zoltán Felföldi, d’ajouter : « Les libéraux sont essentiellement les mêmes que les nazis et les communistes : ils ne tolèrent pas la dissidence. […] Zsolt Petry a été exécuté par les nazis libéraux. »

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