En déroulant le tapis rouge aux entreprises allemandes, le dirigeant hongrois se forge un bouclier contre les attaques politiques de Berlin, seule capitale européenne capable réellement de l’influencer.

Édito – En apparence, les choses sont simples.
Viktor Orbán est un nationaliste qui fait courir un grave danger à l’Europe en cherchant à exporter son « illibéralisme ».
Angela Merkel, elle, est du côté des raisonnables, de ceux qui défendent la démocratie libérale et son État de droit.
Cet antagonisme n’expose, en fait, qu’une partie de la réalité.
On le savait déjà, mais une enquête sérieuse menée par le média hongrois Direkt36.hu vient y apporter des éléments tangibles.
On savait que Viktor Orbán, tout souverainiste qu’il est, déroule le tapis rouge aux entreprises étrangères plus qu’aucun de ses prédécesseurs. Avec une fiscalité qui tient du paradis fiscal, les multinationales sont choyées, particulièrement les constructeurs automobiles allemands (Mercedes, Audi, BMW).
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Qu’apprend-on de nouveau, donc ? L’enquête met au jour les liens très étroits qui se sont tissés au fil des années entre Viktor Orbán et les patrons allemands et des représentants politiques, depuis Helmut Kohl, son père spirituel en politique.
Panyi Szabolcs, le journaliste qui a enquêté, s’est fait rapporter une scène révélatrice : un des grands dirigeants de l’industrie automobile allemande (son nom n’est pas révélé) se vantant dans une soirée mondaine d’avoir le « 06 » du MAE hongrois Péter Szijjártó et même de pouvoir parler directement à Viktor Orbán en cas de besoin. Ce dernier aurait même accepté, à sa demande, de jouer les lobbyistes pour son entreprise auprès du Conseil européen après le « dieselgate ».
« Avec le patronage allemand, Orbán a grandi et est devenu un homme politique important ».
C’est la force de cette enquête qui, s’appuyant sur de nombreux témoignages, décrit une atmosphère et des relations de subordination du gouvernement hongrois aux industriels allemands. Les hauts dirigeants de plusieurs constructeurs automobiles « ont le solide sentiment qu’ils ont le gouvernement hongrois dans la poche », témoigne par exemple une source. « Avec le patronage allemand, Orbán a grandi et est devenu un homme politique important, il a un grand respect pour l’Allemagne », a déclaré à Direkt36 une autre source, allemande.
La relation n’est pas à sens unique bien sûr. Si les patrons allemands (et les autres) produisent moins cher et sans être embêté par un droit du travail trop exigeant, le gouvernement hongrois mise sur eux pour créer des emplois et participer au « rattrapage » de l’économie hongroise. « Les constructeurs automobiles allemands sont le moteur numéro un de la croissance économique hongroise et, par-là même, des succès politiques du gouvernement Orbán », écrit Direkt36.
Mais le deal n’est pas qu’une question d’économie. Préserver ces intérêts en Hongrie, c’est aussi le meilleur bouclier qu’a Orbán pour se protéger d’attaques politiques en provenance de Berlin, la seule capitale européenne qui compte véritablement à ses yeux . « Les Allemands et les autres États membres font beaucoup d’argent avec nous, ils n’ont pas de raison de se plaindre et nous non plus », a déclaré le Premier ministre lors d’une conférence de la Konrad Adenauer Stiftung.
Cette relation verse parfois purement et simplement de la compromission du patronat, par exemple lorsqu’Aldi décide de faire retirer de ses rayons un journal quotidien anti-gouvernemental.
Ce soutien des entreprises au système Orbán, qui garantit ses intérêts et lui offre la promesse de la stabilité, a souvent été pointé du doigt par les opposants au Fidesz. Direkt36 relate la honte exprimée par un haut diplomate allemand, face à l’attitude de ces entreprises, lors d’une rencontre avec des journalistes hongrois. Mais l’ambassade d’Allemagne à Budapest s’est dédouanée rapidement en écrivant un communiqué selon lequel « la République d’Allemagne n’a aucune influence sur la politique commerciale des entreprises [allemandes] ».
Mais l’inverse est-il vrai ? Les entreprises allemandes n’ont-elles pas d’influence sur la République d’Allemagne ? Cela expliquerait pourquoi Angela Merkel se montre si conciliante avec ses partenaires hongrois du PPE et pourquoi, chaque fois qu’elle en a eu l’occasion, elle a retenu ses critiques à l’égard d’un Viktor Orbán qui choie autant les intérêts allemands et qui a aussi été le meilleur client des marchands d’armes allemands en 2019.