Le président français Emmanuel Macron a fait de l’harmonisation fiscale un des points-clé de son programme européen. A ce stade, il n’a pas réussi à convaincre les quatre pays du Groupe de Visegrád et il semble fort peu probable qu’il y parvienne, car ceux-ci misent avant tout sur les investissements étrangers.
La stratégie de La République en Marche (LREM) est double : publiquement, elle joue la confrontation directe avec la menace populiste incarnée par Matteo Salvini à Rome et Viktor Orbán à Budapest. Mais en coulisses, le président français, très esseulé, cherche le soutien de partenaires européens, y compris parmi les pays d’Europe centrale, sans lesquels il ne pourra rien réaliser de ses objectifs.
Parmi ces objectifs, détaillés dans le programme de LREM pour l’Europe, « éviter le dumping au sein de la zone euro ». Cela doit passer avant tout par une harmonisation de la fiscalité sur les entreprises et la création, à l’horizon 2020, d’une « fourchette de taux » d’impôt commune sur les sociétés dont le « respect ouvrirait le droit aux fonds structurels », comme l’a présenté Emmanuel Macron à la Sorbonne au mois de septembre 2017.
Le plus emblématique et le plus puissant des outils fiscaux pour attirer les entreprises étrangères, l’impôt sur les bénéfices de sociétés, est ainsi placé au cœur du débat européen. Mais comment concilier les différentes positions alors qu’il fait le grand écart, de 33 % en France, qui a le taux le plus élevé de l’Union européenne, à seulement 9 % en Hongrie, le taux le plus faible ? (Il est de 19 % en Tchéquie et en Pologne et de 21 % en Slovaquie).
« Dans le cadre d’une intensification du dialogue entre la France et les pays de Visegrád », comme l’explique ici le Quai d’Orsay, les rencontres de haut niveau se sont multipliées au cours des derniers mois. Et c’est de dumping fiscal dont il a notamment été question lors de la dernière en date, jeudi dernier à Bratislava, entre le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, et ses hôtes tchèque, polonais, slovaque et hongrois, lors d’un sommet du V4.
« Inacceptable ». Voilà comment le ministre hongrois des Affaires étrangères, Péter Szijjártó, a qualifié la proposition française d’harmonisation fiscale à l’échelle de l’Union, lors de la conférence de presse commune des cinq ministres. Il y a opposé la « compétitivité » de la région d’Europe centrale, et fait savoir que cette compétitivité passe selon lui par la concurrence interne que se livre les États membres.
Idem pour le chef de la diplomatie polonaise, Jacek Czaputowicz, selon qui « il y a une légère différence entre la France et nos pays en ce qui concerne l’avenir de l’Union européenne. Pour nous, la compétitivité est essentielle », ajoutant que les propositions de Macron pour l’Europe sont « des mesures protectionnistes, préjudiciables à l’UE en tant que telle ».
L’Europe centrale, ouverte à l’extrême, mise sur les investissements étrangers
Les pays d’Europe centrale ne semblent donc pas prêts de renoncer au levier fiscal pour attirer les investisseurs étrangers, Allemands notamment. Et cela n’a rien d’étonnant, ni d’ailleurs de nouveaux, car les investissements étrangers sont encore l’Alpha et l’Oméga de la stratégie de développement économique des « nouveaux entrants » de 2004. Et pour les attirer, la compétition ne se joue pas seulement entre Est et Ouest mais aussi entre les pays de Visegrád, comme le montre par exemple la saignée d’entreprises slovaques vers la Hongrie, un pays qui fait figure de quasi paradis fiscal à l’heure actuelle.
Les économies des pays d’Europe centrale sont ouvertes à l’extrême. Parmi les nombreux indicateurs qui l’illustrent, retenons l’indice d’ouverture aux investissements étrangers établi par l’OCDE (ici) qui classe la Tchéquie et la Hongrie parmi les plus ouverts de la zone OCDE. Plus parlant encore, la part de la valeur ajoutée non-financière créée par les entreprises étrangères : en Hongrie et en Slovaquie, les entreprises étrangères créent la moitié de la valeur ajoutée (51 % et 48 % respectivement), plus que nulle part ailleurs dans l’Union européenne. Elle est de 43 % en Tchéquie et 37 % en Pologne, contre 25 % en moyenne dans l’UE et seulement 16 % en France (Eurostat).
On le voit, Emmanuel Macron aura bien du mal à convaincre ses partenaires centre-européens de se rallier à l’idée d’une harmonisation fiscale. D’autant que si le crédit qui est accordé à la France pour peser sur les affaires européennes se mesure à l’aune de la couverture médiatique du sommet V4+France de la semaine dernière, force est de constater que celui-ci n’est pas très élevé. En Hongrie par exemple, la couverture média a été famélique, seul le Magyar Hírlap ayant proposé un rapport de cette rencontre…
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