Pourquoi certains pays d’Europe centrale n’ont-ils toujours pas l’euro ?

Alors que plusieurs pays de la région ont déjà adopté l’euro, la Hongrie, la Tchéquie et la Pologne traînent ostensiblement des pieds pour rejoindre l’Union monétaire, malgré l’instabilité chronique de leur monnaie respective.

Cette année, mieux vaut ne pas demander aux Hongrois où ils sont allés passer leurs vacances à l’étranger. Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, la devise hongroise, le forint, a connu un véritable effondrement et battu tous les records, au point de s’échanger à 416 forints pour un euro durant le mois de juin (pour un taux d’environ 350 forints avant la guerre). La situation, combinée à une inflation galopante, a sans surprise poussé des milliers de vacanciers à rester au pays.

Le zloty polonais et la couronne tchèque ne sont pas en reste. Certes, ces devises n’ont pas connu une chute similaire à celle du forint, mais elles restent volatiles et sujettes au bon vouloir du marché des changes. Le zloty polonais en particulier, à l’été 2022, a perdu 25% de sa valeur en un an face aux principales monnaies internationales (dollar, euro).

Sans surprise, la question a resurgi dans le débat public de ces trois pays : mais pourquoi ne passe-t-on pas enfin à l’euro ? D’autant que, plus les années passent, et plus l’Eurozone s’élargit à l’Europe médiane. La Slovénie et l’Estonie en 2004, la Slovaquie en 2009, la Lettonie en 2014, la Lituanie l’année d’après, tous ces pays ont déjà franchi le pas, et seront rejoints par la Croatie au 1er janvier 2023, tandis que la Bulgarie semble maintenir son objectif d’adoption à l’horizon 2024.

À cela s’ajoute le fait que l’euro est déjà largement utilisé dans la région, tant par les particuliers que par les entreprises. Le 30 juillet, le gouvernement hongrois, qui essaye tant bien que mal de limiter les dégâts de l’effondrement de sa monnaie, a même autorisé les entreprises à payer leurs impôts en euros ou en dollars.

Le passage à l’euro repoussé ad vitam aeternam

La première raison, volontiers convoquée par la classe politique locale, est que ces pays ne répondent pas aux critères de convergence tels qu’établis par le traité de Maastricht de 1992 et conditionnant l’entrée dans la zone euro. Ils imposent une maîtrise de l’inflation, de la dette publique et du déficit public, ainsi qu’un taux de change stable et la convergence des taux d’intérêt.

Alors que sur la dernière décennie, ces trois pays n’étaient jamais très loin de respecter les critères, depuis la crise économique déclenchée par l’épidémie de covid, ces objectifs paraissent irréalisables dans un futur proche. « Il y a dix ans, nous n’étions pas aussi loin de l’introduction que nous le sommes maintenant » titre même le site d’information économique hongrois Portfolio.hu.

Pour autant, ne pas remplir ces critères est loin d’être une fatalité. La Croatie ne parvient plus à juguler son inflation comme requis par les traités, mais son accession à l’euro a malgré tout été confirmée. C’est avant tout une volonté politique claire qui permet à un pays d’enclencher le long processus d’accession.  

Un manque de volonté

Or, cette volonté est clairement absente dans ces trois pays. « Quant à une éventuelle accession, on ne parle pas de l’année prochaine, mais plutôt de la prochaine décennie, ou des deux prochaines, voire des trois prochaines décennies » déclarait déjà en 2013 Viktor Orbán. La population hongroise se prononce pourtant régulièrement en majorité pour l’introduction de l’euro – selon le dernier sondage eurobaromètre, près de 70% de la population est en faveur de l’euro. Une attente que le gouvernement hongrois persiste à ignorer, rétorquant qu’en gardant le forint, la Hongrie reste maîtresse de sa politique monétaire, et surtout, défend sa « souveraineté » face aux interférences de Bruxelles.

Situation très similaire au nord des Carpates, où malgré le soutien de 60% des Polonais en faveur de l’euro, le gouvernement ultraconservateur du PiS n’a nullement l’intention d’introduire la monnaie unique. « Posséder une banque centrale souveraine, notre propre monnaie – le zloty – et un développement économique dynamique les énervent particulièrement », déclarait début août Adam Glapiński, le président de la banque centrale polonaise, dans une interview au journal Gazeta Polska, où il en profitait d’ailleurs pour accuser l’Allemagne de lorgner sur les territoires polonais, en vue de recréer un « empire européen allemand ».

Ainsi, en Hongrie comme en Pologne, l’idée d’un passage à l’euro se retrouve essentiellement auprès de l’opposition ouvertement proeuropéenne et s’adresse essentiellement à un électorat urbain et plus aisé, comme le fait le chrétien-démocrate Donald Tusk ou l’opposition unie en Hongrie.

En cela, la République tchèque se différencie de ses voisins puisque sa population était historiquement opposée à l’abandon de la couronne tchèque, évacuant ainsi largement la question du débat politique. Mais depuis 2022, et selon le dernier eurobaromètre, la donne a changé : désormais, près de 60% des Tchèques aimeraient passer à l’euro, de quoi peut-être encourager les partis proeuropéens, comme le parti Pirate, à jouer cette carte dans le débat public.

Nationalisme bancaire

Pour les économistes Katalin Méró et Dora Piroska, la décision de ces trois pays de rester en dehors de l’euro est largement due à une forme de « nationalisme bancaire », incompatible avec les exigences communautaires des unions monétaires et bancaires induites par la monnaie unique.

Si leur nationalisme bancaire ne se traduit pas nécessairement par une part plus importante de banques domestiques – les banques centre-européennes sont même majoritairement détenues par des investisseurs étrangers – cela se vérifie par une volonté des états centraux de réguler autant que possible leurs banques locales. « Le nationalisme bancaire, en tant que politique, sous couvert de défense de l’intérêt national, augmente la marge de manœuvre des gouvernements dans le secteur bancaire », expliquent Méró et Piroska, tout en rappelant qu’il s’agit de plus en plus « d’une politique bancaire hostile aux banques étrangères et aux organisations internationales ».

Rejoindre l’euro est une obligation juridique

L’absence de volonté politique n’est pas uniquement circonscrite à ce trio récalcitrant. En effet, l’entrée dans la zone euro constitue une obligation juridique pour tous les États membres de l’Union européenne. Seul le Danemark bénéficie à l’heure actuelle d’un régime exception.

Autrement dit, si le trio Pologne-Hongrie-Tchéquie traîne autant des pieds face à l’introduction de l’euro, c’est également parce que les autres États membres y trouvent leur compte – ou, à tout le moins, n’y trouvent rien à y redire. Les principaux partenaires de ces pays d’Europe centrale, l’Allemagne en tête, n’ont effectivement pas trop à se plaindre de la faiblesse des monnaies locales, qui rend le prix des importations beaucoup plus abordables.

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