Postes-clés de l’Union européenne : une victoire à la Pyrrhus pour l’Europe centrale

L’accord intervenu mardi 2 juillet sur les nominations aux postes-clés de l’Union européenne a été chaleureusement accueilli par les capitales d’Europe centrale. Si les quatre du groupe de Visegrád ont obtenu la tête de leur bête noire Frans Timmermans, c’est au prix d’une nette diminution de leur poids à Bruxelles.

Il est presque désormais loin le temps où un Polonais occupait le fauteuil de président du Conseil européen. Au début du mandat du successeur de Donald Tusk – le Belge Charles Michel – le 1er décembre prochain, il n’y aura plus aucun ressortissant d’Europe centrale à l’un des postes-clés de l’Union européenne. Si la Tchéquie, la Hongrie et la Pologne ont tout fait pour écarter leur bête noire, le social-démocrate Frans Timmermans comme président de la commission européenne, c’est au prix d’une réelle marginalisation de leur influence au sein des instances bruxelloises.

« Nos objectifs ont été atteints. Nous avons montré que nous avons besoin de candidats qui ont le potentiel d’unir l’Europe et non pas de créer des antagonismes », s’est satisfait le premier ministre polonais Mateusz Moriawecki à l’issue du Conseil européen, qui s’est achevé hier mardi sur la nomination de l’allemande Ursula von der Leyen à la tête de la commission. « On a réussi à choisir une personnalité politique qui connaît la réalité des nouveaux Etats membres, antirusse et antiprotectionniste », a renchéri de son côté un proche du dirigeant polonais.

« Nous avons choisi une mère de famille de sept enfants à la tête de la commission, cette décision montre déjà les changements futurs en Europe », s’est réjouit pour sa part le premier ministre hongrois Viktor Orbán, estimant que les personnes nommées à la tête de l’Union prendront des décisions qui seront vraisemblablement plus favorables à son pays. Du côté tchèque, Andrej Babiš a salué le choix de la ministre allemande en insistant sur l’importance « d’avoir écarté l’installation du Spitzenkandidat [Frans Timmermans] », grâce à une alliance entre le groupe de Visegrád et l’Italie de Matteo Salvini.

C’est des hauteurs de Bratislava que l’on a le moins fanfaronné, le gouvernement slovaque étant sans doute peu enclin à revendiquer la trahison de celui qui était le candidat de sa propre famille politique, le Parti socialiste européen. Après la décision du Conseil, le premier ministre Peter Pellegrini s’est fait laconique : « Je suis content d’une décision prise à l’unanimité, et je suis content pour la Slovaquie ».

Mettre en échec le « plan Osaka »

L’unanimité, c’est précisément ce à quoi ont voulu aboutir les dirigeants des pays d’Europe occidentale, après la levée de boucliers suscitée par le « plan Osaka » dans la soirée de dimanche. Négocié par les principales puissances économique de l’Union présentes au sommet du G20 dans la métropole japonaise, avec le couple franco-allemand en tête, il prévoyait de laisser la part belle des postes-clés aux « Spitzenkandidaten » issus des listes arrivées en tête des élections européennes de mai dernier. Et ce, même si les dirigeants européens, le président français Emmanuel Macron le premier, semblaient les avoir écartés lors du sommet européen du 20 juin dernier.

À défaut de voir le Bavarois Manfred Weber accéder à la tête de la commission, fort des résultats du Parti populaire européen (PPE), ce plan prévoyait d’y placer son rival de gauche Frans Timmermans, certes arrivé deuxième mais bien plus expérimenté. M. Weber aurait reçu la présidence du Parlement en guise de compensation, tandis que l’ex-premier ministre libéral belge Charles Michel aurait pris la tête du Conseil et la conservatrice bulgare Kristalina Georgieva celle de la diplomatie européenne.

Même si les capitales occidentales avaient les moyens d’imposer le plan Osaka à la majorité qualifiée, elles ont préféré tenir compte de la détermination avec laquelle les pays d’Europe centrale et l’Italie ont cherché à barrer la route au social-démocrate néerlandais. « [Frans Timmermans] était un candidat radical et dogmatique de gauche », a asséné à son sujet Mateusz Morawiecki, résumant bien la réputation que s’est construite l’ancien commissaire européen dans la région, lui qui était régulièrement chargé de rappeler à l’ordre la Hongrie et la Pologne quant à leurs manquements à l’État de droit, et qui avait bataillé avec Prague pour que la Tchéquie respecte les quotas de répartition des réfugiés.

Avant même le début des négociations, Andrej Babiš ne cachait pas sa défiance envers le Néerlandais, déclarant aux journalistes que « cette personne n’aime pas notre région, c’est inacceptable et ce serait une catastrophe [qu’elle prenne la tête la commission] ».

Un Visegrád de blocage

Pour l’Europe centrale, et même pour l’Europe de l’Est en général, le sommet européen montre une fois de plus que se braquer n’apporte pas grand chose à Bruxelles. En effet, « l’empêchement » de Frans Timmermans ne sera pas sans conséquence pour la région. L’attribution des autres postes-clé de l’Union – le Belge Charles Michel au conseil, l’Espagnol Josep Borrell à la tête de la diplomatie, la Française Christine Lagarde à la Banque centrale européenne – montre un spectaculaire déplacement du centre de gravité européen vers la « vieille Europe ». Alors que certains espéraient encore voir le Bulgare Sergeï Stanichev prendre la présidence du Parlement, les députés lui ont finalement préféré l’Italien David Sassoli, du groupe socialiste.

Cette marginalisation des capitales centre-européennes est pourtant minimisée par les principaux intéressés. « Après quinze ans dans l’UE, la géographie ne fait pas tout », a déclaré le ministre polonais des affaires étrangères Konrad Szymański. Pour le porte-parole du gouvernement hongrois Zoltán Kovács, la démonstration de la capacité de blocage du groupe de Visegrád semble l’emporter sur le reste : « Nous avons de nouveau montré la force et l’influence du groupe, car il a tout de suite réussi à vaincre Manfred Weber avant d’arriver à ses fins contre Frans Timmermans ».

Les pays de Visegrád pourraient encore avoir quelques chances de sauver la face au moment de la composition de la future commission dirigée par Ursula von der Leyen. « Je souhaite qu’un de ses vice-présidents soit originaire d’Europe centrale », a déjà réclamé en ce sens Mateusz Morawiecki, avec la possible reconduction du Slovaque Maroš Šefčovič. Mais tant qu’ils refuseront de sortir de leurs tranchées, il reste à parier que le rôle des pays d’Europe centrale au sein de l’Union européenne restera mineur. Car, pour réussir à Bruxelles, on ne peut se contenter de bloquer, il faut aussi savoir proposer.

Adrien Beauduin

Correspondant basé à Prague

Journaliste indépendant et doctorant en politique tchèque et polonaise à l'Université d'Europe centrale (Budapest/Vienne) et au Centre français de recherche en sciences sociales (Prague). Par le passé, il a étudié les sciences politiques et les affaires européennes à la School of Slavonic and East European Studies (Londres), à l'Université Charles (Prague) et au Collège d'Europe (Varsovie).

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