Robert Winnicki : « Nous sommes un parti national-catholique et eurosceptique »

Pour le député polonais Robert Winnicki, le PiS est pro-européen, le Front national est libéral et le véritable ennemi de la Pologne c’est l’Occident. Entretien avec le patron du Mouvement national (RN), qui tente de rassembler les forces d’extrême-droite pour venir tailler des croupières au PiS au pouvoir.

Robert Winnicki, 33 ans, a dirigé par le passé l’organisation nationaliste des Jeunesses pan-polonaises et a été l’un des initiateurs de la Marche de l’indépendance, l’un des plus grands rassemblements nationalistes d’Europe qui se déroule chaque année dans les rues de Varsovie.
Monsieur le député, comment définiriez-vous le Mouvement national ?

Nous sommes un parti national-catholique et eurosceptique – nous avons toujours été contre l’entrée dans l’Union européenne et continuons de vouloir en sortir. Nous sommes aussi antimondialisation et sommes favorables au protectionnisme économique.

Qu’est-ce qui vous a poussé en 2012 à passer d’un engagement associatif à la création d’un mouvement politique ?

Nous avons constaté que nos activités associatives apportaient des résultats insuffisants. Aujourd’hui, le parti a une existence juridique distincte des associations qui ont contribué à sa création – les Jeunesses pan-polonaises, mais aussi le Camp national-radical ONR –, mais nous collaborons étroitement et sommes par exemple co-organisateurs de la Marche de l’indépendance. Nous avons aussi mis en place le portail d’information Medianarodowe.com [qui se présente comme un média polonais entre des mains polonaises, par opposition à certains grands médias détenus par des entreprises étrangères, ndlr].

Comment expliquez-vous l’écart entre le grand nombre de participants aux Marches de l’indépendance et les faibles scores du Mouvement national dans les sondages et aux élections ? Dans les enquêtes d’opinion, soit vous n’apparaissez pas, soit vous êtes crédités de moins de 1% des intentions de vote.

Personnellement, cela ne me surprend pas. L’électorat qui pourrait voter pour nous ainsi qu’une partie des participants aux Marches de l’indépendance votent tout simplement pour le PiS [le parti ultraconservateur Droit et justice, au pouvoir depuis 2015, ndlr]. Nous sommes en concurrence non seulement avec un PiS fort, mais aussi avec un autre groupe eurosceptique centré autour de Janusz Korwin-Mikke et qui jouit d’une notoriété ancienne [cet excentrique champion de bridge, cinq fois candidat malheureux à la présidentielle, défend un programme anarcho-capitaliste, ndlr]. En outre, le Mouvement national est entré en lice en même temps que le mouvement Kukiz’15, dont le leader Paweł Kukiz est connu de tous puisqu’il est chanteur de rock depuis trente ans. Nous avons enfin commis une erreur en nous investissant trop peu dans les élections locales et européennes de 2014, ce qui a poussé certains de nos soutiens potentiels vers d’autres formations. Tant que le PiS restera fort, il nous sera difficile de conquérir l’électorat patriotique, national et catholique.

« Grâce à Dieu, la Pologne et l’Europe centrale ont été jusqu’ici épargnées par la révolution culturelle venue de l’Ouest ».

Vu de France, le PiS apparaît déjà très conservateur. Qu’est-ce qui vous différencie ?

Du point de vue polonais, on pourrait dire que tout le paysage politique français est à gauche. Même le Front national est de plus en plus libéral depuis quelques années, il perd de son tranchant. Grâce à Dieu, la Pologne et l’Europe centrale ont été jusqu’ici épargnées par la révolution culturelle venue de l’Ouest et qui a débuté en 1968. Les Républicains français, les conservateurs britanniques ou les chrétiens-démocrates allemands évoluent de fait dans le paradigme de la gauche libérale, comme le démontre l’existence d’une fraction gay chez les Tories au Royaume-Uni.

Pour en revenir à votre question, la première chose qui nous distingue du PiS, c’est l’euroscepticisme. Le PiS est pro-européen. Certes, il est en conflit avec Bruxelles, mais ce conflit ne constitue pas une négation de l’UE et résulte davantage d’un déficit de sympathie de Bruxelles à l’égard du PiS que l’inverse. Il faut savoir que pendant des années, Jarosław Kaczyński [le tout-puissant président du PiS, ndlr] a soutenu l’extension des compétences de l’UE. L’hostilité vis-à-vis de Bruxelles est surtout rhétorique.

Deuxièmement, nous avons une politique à l’est tout à fait différente. Le PiS considère que la plus grande menace pour la Pologne est la Russie tandis que selon nous, c’est la révolution culturelle venue d’Occident qui constitue le principal danger. Cela ne veut pas dire que nous ignorons les divergences d’intérêts entre Varsovie et Moscou – la Russie est une puissance brutale capable de défendre ses intérêts par l’emploi de la force armée –, mais nous nous efforçons de les traiter de manière réaliste. La conséquence est que le PiS ne place pas au premier rang de ses priorités les intérêts des Polonais habitant dans les ex-républiques soviétiques de Lituanie, de Biélorussie et d’Ukraine, car il préfère soutenir de toutes ses forces les mouvements indépendantistes et anti-russes de ces pays. Cela ne signifie pas que nous soutenons les mouvements pro-russes. Simplement, pour nous, le critère déterminant n’est pas l’attitude à l’égard de la Russie mais à l’égard des intérêts polonais.

Enfin, il y a le rapport à l’économie. Nous sommes favorables à la coopération économique internationale, mais estimons nécessaire de conserver des mécanismes de défense de notre marché national. Le PiS, lui, accepte le marché unique européen et défend les quatre libertés de circulation [des personnes, des marchandises, des capitaux et des services]. Pour notre part, nous considérons que la domination du capital occidental dans l’économie polonaise est excessive. Le PiS parle de repolonisation de l’économie, mais ne s’attaque pas sérieusement à ce problème.

« Le PiS parle de repolonisation de l’économie, mais ne s’attaque pas sérieusement à ce problème. »

Dans la déclaration d’indépendance 2018 adoptée en juin dernier par le Mouvement national à l’occasion du centenaire de la renaissance d’un État polonais indépendant, vous affirmez que « l’Union européenne détruit la souveraineté culturelle, économique et politique de notre pays ». De quelle manière ?

Depuis le traité de Maastricht [signé en 1992], les compétences de l’UE ne cessent de s’accroître, comme l’atteste d’ailleurs la transformation de la Communauté économique européenne en Union européenne. La direction est clairement inscrite dans les traités et elle est fédérale. Sur le plan culturel, il existe également une pression pour adopter des solutions visant soi-disant à promouvoir l’égalité, comme les mesures anti-discrimination, pro-genre et pro-avortement. Cette pression idéologique est également exercée par les ONG et est permise de manière indirecte par la libre circulation des capitaux. Comme il existe une interdiction des financements étrangers des partis étrangers, nous demandons l’interdiction des financements étrangers pour le secteur associatif parce que c’est un outil de colonisation idéologique, en Pologne comme dans le reste de notre région.

Enfin, en matière économique, la domination des multinationales n’est pas contrecarrée par l’appareil d’État comme ce peut être le cas par exemple en France, où des conditions de concurrence en apparence libre privilégient, malgré tout, les entreprises nationales.

Dans moins d’un an auront lieu les élections européennes. Pour le Mouvement national, est-ce une occasion de changer la direction de l’UE ?

Nous espérons que les partis eurosceptiques seront mieux représentés au Parlement européen, même si en Pologne, le PiS tente de limiter ce phénomène en changeant le mode de scrutin pour que seuls les deux grands partis [le PiS et la Plateforme civique (PO), ndlr] puissent envoyer des eurodéputés. Pour nous, ce sera surtout l’occasion de faire campagne pour la sortie de l’UE, comme l’UKIP de Nigel Farage. Néanmoins, nous ne formerons aucune Internationale eurosceptique et nouerons plus probablement des alliances de circonstance en fonction de l’évolution du paysage politique dans les autres pays.

Début juillet, le père Tadeusz Rydzyk, directeur de l’influente radio nationale-catholique Radio Maryja, a eu des mots très positifs pour le Rassemblement national. Cela peut-il se traduire en soutien électoral ?

De façon générale, nous apprécions le rôle de Radio Maryja dans la vie publique parce qu’elle promeut les valeurs patriotiques, nationales et catholiques traditionnelles. C’est notre principal terrain de coopération, c’est tout ce que je peux dire pour le moment. Le PiS demeure un partenaire sérieux pour le père Tadeusz Rydzyk, nous avons conscience de leur supériorité et n’avons pas de rancœur à ce sujet.

Romain Su

Journaliste

Correspondant en Pologne pour Courrier international, Le Soir de Belgique, Le Courrier d’Europe centrale et plusieurs revues professionnelles.

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