Pologne : Le PiS peut-il remporter les élections législatives cet automne ?

Si les prochaines législatives polonaises avaient lieu aujourd’hui, le parti de droite au pouvoir perdrait presque certainement sa majorité parlementaire. Mais grâce à plusieurs facteurs jouant en sa faveur, Droit et Justice (PiS) n’a besoin que d’une hausse relativement faible de sa popularité pour être en mesure de remporter un troisième mandat consécutif, ce qui serait un record dans l’histoire polonaise. Analyse.

Aleks Szczerbiak est professeur de science politique à l’Université de Sussex (Grande-Bretagne). Son article a été publié sur Polish Politics Blog et traduit par Adrien Beauduin.

Sur la défensive

Cette année, la politique polonaise sera dominée par les prochaines élections législatives prévues pour l’automne. Le parti Droit et Justice (PiS), au pouvoir depuis 2015, a été sur la défensive pendant la majeure partie des trois dernières années et demie. L’effondrement initial de son soutien était dû en grande partie à une réaction populaire contre l’arrêt extrêmement controversé rendu en octobre 2020 par la Cour constitutionnelle polonaise, qui a encore durci la loi polonaise sur l’avortement, déjà très restrictive, en invalidant une disposition qui autorisait l’interruption de grossesse dans les cas où le fœtus était gravement malformé ou souffrait d’une maladie incurable. Étant donné que cette exception permettait la grande majorité des avortements légaux pratiqués en Pologne, la décision a signifié une interdiction quasi-totale.

Bien que le PiS a déclaré que le jugement était une décision souveraine prise par un organe indépendant et qu’il était clairement conforme aux jugements antérieurs de la cour sur la question au milieu des années 1990 (lorsqu’il était dominé par des juges qui sont devenus par la suite des critiques sévères de l’administration actuelle), les opposants du gouvernement ont fait valoir que la cour était sous le contrôle du parti au pouvoir. Le jugement a déclenché une vague de manifestations dans tout le pays, impliquant en particulier les jeunes Polonais, et a renforcé l’argument de l’opposition selon lequel le ministère de la Justice était de plus en plus dominé par des extrémistes idéologiques de la « droite religieuse ». Bien qu’il s’agisse d’un parti socialement conservateur qui s’inspire de l’enseignement moral catholique, l’électorat du PiS comprend de nombreux Polonais ayant des opinions plus libérales sur les questions morales et culturelles et qui soutiennent le parti principalement en raison de ses politiques socio-économiques.

L’« effet de ralliement » de la guerre n’a pas transformé les résultats des sondages.

La décision est intervenue au moment où le PiS proposait une loi sur la protection des animaux que de nombreux agriculteurs polonais, qui constituent un élément clé de son électorat rural-agricole, considéraient comme une menace pour leurs moyens de subsistance. Cela a également coïncidé avec le sentiment que le gouvernement ne gérait pas efficacement la deuxième vague de la pandémie de coronavirus ; plus tôt dans l’année, ses ministres avaient assuré aux Polonais que la crise était entièrement sous contrôle. En conséquence, le soutien des sondages d’opinion en faveur de Droit et Justice a fortement chuté, passant d’environ 40 % en septembre à 30-35 % en novembre.

Le parti Droit et Justice a tenté de reprendre l’initiative politique l’hiver dernier par le biais de son programme « Pacte polonais » (Polski Ład), conçu pour stimuler la croissance économique et le niveau de vie par le biais d’un large éventail de politiques, notamment des réformes fiscales en faveur des moins nantis. Cependant, la complexité du programme et son déploiement désastreux en janvier 2022 ont fait que même les experts financiers ont eu du mal à le comprendre. En février 2022, l’invasion russe de l’Ukraine a donné au PiS l’occasion de tirer un trait sur le fiasco du « Pacte polonais ». Mais l’« effet de ralliement » de la guerre – l’inévitable tendance psychologique des citoyens inquiets à s’unir autour de leurs dirigeants et institutions politiques en tant qu’incarnation de l’unité nationale lorsqu’ils ont le sentiment que leur pays est confronté à une menace extérieure – n’a pas transformé les résultats des sondages. Bien que la guerre a placé la sécurité nationale en tête de l’agenda politique, elle n’est pas vraiment apparue comme un sujet de contestation entre les partis, qui se sont surtout affrontés sur la question de savoir lequel d’entre eux était le plus efficace pour contrer la Russie et soutenir l’Ukraine.

Une accumulation de crises

Toutefois, en plus des conséquences économiques de la crise de la pandémie, la guerre a exercé une pression supplémentaire considérable sur le gouvernement en raison de son impact sur des questions socio-économiques, qui sont beaucoup plus importantes sur le plan politique. L’inflation n’a cessé d’augmenter depuis le début de l’année 2022, notamment le prix des denrées alimentaires et des biens ménagers, pour atteindre un pic de 17,9 % en octobre dernier, son niveau le plus élevé depuis plus de 25 ans. Les augmentations du coût de la vie ont également érodé la valeur des énormes prestations sociales qui étaient la clé de l’attrait du PiS auprès des électeurs qui ne faisaient pas partie de son électorat de base mais qui le soutenaient en tant que formation politique offrant le soutien le plus généreux aux moins bien lotis. Les sanctions contre la Russie et la perturbation des chaînes d’approvisionnement ont également entraîné des augmentations substantielles du prix des carburants et des inquiétudes quant à la sécurité énergétique. Dans le même temps, les hausses de taux d’intérêt ont exacerbé le ralentissement économique, tandis que le resserrement budgétaire et l’augmentation du coût des emprunts publics ont limité la marge de manœuvre du PiS en matière de dépenses sociales.

Les divisions internes et les luttes intestines, notamment entre le premier ministre Mateusz Morawiecki et le ministre de la Justice Zbigniew Ziobro, ont affaibli le camp du gouvernement.

En outre, le ministère de la Justice est resté en conflit avec l’establishment politique de l’UE au sujet de son programme de réforme judiciaire et la Commission européenne a bloqué le versement de la part polonaise du fonds de redressement de l’Union européenne pour le coronavirus (35 milliards d’euros). En même temps, les divisions internes et les luttes intestines, notamment entre le premier ministre Mateusz Morawiecki, plus technocrate et pragmatique, et le ministre de la Justice Zbigniew Ziobro, ont affaibli le camp du gouvernement. M. Ziobro est le chef du parti de droite conservateur « Pologne solidaire » (SP), le partenaire de gouvernement junior de Droit et Justice, qui compte suffisamment de députés pour priver le gouvernement de sa majorité parlementaire. M. Ziobro, qui a mis en place un grand nombre des politiques les plus controversées du gouvernement, y compris les réformes judiciaires, a défini une série de positions politiques de droite conservatrice et a reproché à M. Morawiecki de faire trop de compromis et d’être idéologiquement timide, en particulier de faire trop de concessions à l’establishment politique européen.

Bien qu’aucune crise n’a à elle seule changé la donne politique, leur effet cumulé a érodé le soutien au parti au pouvoir, qui a eu du mal à regagner les 5 à 10 % de l’électorat perdus à la fin de 2020. En effet, depuis des mois, aucun sondage d’opinion ne laisse espérer à Droit et Justice de remporter suffisamment de sièges pour conserver sa majorité parlementaire absolue. Par exemple, selon le micro-blog eWybory, qui regroupe les sondages sur les intentions de vote, si le parti Droit et Justice détient toujours la plus grande part des voix, avec une moyenne de 36 %, cela ne se traduirait que par 203 sièges (sur 460) au Sejm, la chambre basse du Parlement, qui est la plus importante. Actuellement, le seul partenaire de coalition plausible de PiS est le groupe de droite radicale Confédération (Konfederacja), qui, selon « Pooling the Pôles », obtient une moyenne de 7 % et 25 sièges au Sejm, ce qui laisserait quand même le parti au pouvoir sans majorité parlementaire. En outre, l’objectif stratégique de Confédération est de remplacer le parti Droit et Justice en tant que principale force politique de la droite polonaise, et non pas de le maintenir au pouvoir.

Tout reste jouable

Malgré tout, le soutien de Droit et Justice ne s’est pas effondré et il suffirait d’une légère remontée pour que le parti retrouve la moyenne de 40 % dont il a besoin pour avoir une chance d’obtenir une nouvelle majorité absolue et un troisième mandat, un record pour l’ère post-communiste. En effet, même si le PiS est légèrement en deçà, il y a une chance raisonnable qu’il puisse aller chercher quelques électeurs transfuges d’autres groupes politiques. Dans un sens, il est frappant de constater que, malgré des problèmes aussi importants, le PiS a pu maintenir des niveaux de soutien relativement élevés et passer l’hiver sans qu’aucune de ces crises n’atteigne un stade critique. L’inflation semble avoir plus ou moins atteint son sommet (pour le moment du moins) et, bien que les coûts énergétiques restent élevés, il n’y a pas eu de pénurie de carburant en hiver comme on l’avait craint initialement. Le chômage reste faible, de sorte que de nombreux Polonais pensent pouvoir compenser au moins partiellement l’inflation par des augmentations de salaire, et même si la croissance va considérablement ralentir cette année, il est très peu probable que l’économie polonaise entre en récession.

PiS sait que le fait que le gouvernement puisse ou non débloquer la part de la Pologne dans les fonds européens de redressement du coronavirus sera le test décisif de son efficacité générale. Mais si la législation mettant en œuvre un accord conclu entre le gouvernement et la Commission en décembre dernier est approuvée par le Parlement polonais et promulguée, et si les fonds de recouvrement sont débloqués, ce sera un succès politique majeur pour Droit et Justice. Certes, même dans le meilleur des cas, il est peu probable que la première tranche des fonds de recouvrement ne soit versée avant le troisième, voire le quatrième trimestre de l’année. Néanmoins, non seulement le déblocage de ces fonds réduirait l’un des principaux arguments de l’opposition, mais il pourrait également rassurer les investisseurs potentiels et les marchés financiers, stabilisant ainsi la monnaie polonaise et réduisant davantage l’inflation et le coût des emprunts publics. Cela permettrait à PiS de disposer d’une certaine marge de manœuvre budgétaire pour augmenter les dépenses sociales, et donc de renforcer son soutien, dans la perspective des élections.

En outre, l’engagement actif du gouvernement polonais en tant que l’une des principales plaques tournantes pour l’acheminement de l’aide militaire et humanitaire vers l’Ukraine et la première destination des réfugiés fuyant le conflit, a renforcé la réputation internationale du pays. PiS est en train d’augmenter les dépenses de défense polonaises, qui sont déjà parmi les plus élevées de l’OTAN, pour les porter à 4 % du PIB, et de doubler le nombre de soldats pour le porter à 300 000, faisant de la Pologne un pivot de l’Alliance face à la Russie. En fonction de l’évolution de la guerre, la sécurité militaire pourrait devenir un enjeu électoral et le PiS pourrait bénéficier d’un « effet de ralliement » supplémentaire, qui pourrait ensuite se répercuter sur d’autres domaines politiques.

Le PiS est également aidé par la faiblesse relative de l’opposition. D’âpres divisions sur la manière de répondre à la législation modifiant les réformes judiciaires du PiS qui ont émergé des négociations du gouvernement avec la Commission, ont encore divisé une opposition déjà fragmentée entre quatre partis libéraux, centristes, de gauche et agraires. L’ancien président du Conseil européen et premier ministre polonais Donald Tusk – qui dirige la Plateforme civique (PO) libérale-centriste, le parti au pouvoir en Pologne entre 2007 et 2015 et actuellement le principal groupe d’opposition – est certainement un critique très articulé et efficace de PiS et ses critiques virulentes ont rallié le noyau dur de l’électorat anti-gouvernemental. Selon l’agrégateur de sondages, la Plateforme civique [et ses alliés réunis au sein de la Coalition civique (KO), ndlr] obtient actuellement une moyenne de 30 % de soutien. Mais M. Tusk est également l’un des hommes politiques qui inspirent le moins confiance aux électeurs et un personnage très clivant, avec des fidèles mais aussi de féroces opposants, ce qui pourrait finir par mobiliser les partisans de Droit et Justice. L’opposition n’a pas encore convaincu les électeurs qu’elle dispose d’une alternative programmatique crédible et attrayante, en particulier sur les questions socio-économiques, qui seront probablement le principal champ de bataille de l’élection. Le message anti-PiS, très négatif, sur lequel l’opposition semble avoir basé sa stratégie électorale, n’aura probablement pas, à lui seul, un attrait mobilisateur suffisant.

En effet, l’opinion publique polonaise est très polarisée et il y a peu de preuves de transferts significatifs entre le camp du gouvernement et celui de l’opposition. Il semble plutôt que la chute du soutien à Droit et Justice s’explique en grande partie par la démobilisation de certains de ses anciens partisans, notamment ceux qui ont été attirés par le parti en raison de ses politiques sociales et économiques plutôt que pour des raisons idéologiques. Nombre de ces électeurs envisagent désormais de s’abstenir plutôt que de passer dans l’opposition, ce qui facilite évidemment leur éventuelle reconquête par le PiS.

L’issue des élections reste incertaine

La base de soutien de PiS s’est érodée face aux turbulences économiques persistantes, à la guerre prolongée dans le voisinage, à la crise énergétique qui en a résulté, au différend permanent sur les fonds européens et aux luttes intestines au sein du camp gouvernemental. Les sondages d’opinion suggèrent que si des élections avaient lieu aujourd’hui, le PiS perdrait presque certainement sa majorité parlementaire et les partis d’opposition pourraient former un gouvernement, même s’il serait plutôt fragile. Mais les élections auront lieu dans dix mois, pas aujourd’hui. Les crises hivernales ne sont pas devenues incontrôlables, l’inflation ralentit, le chômage reste faible et, bien que l’économie s’affaiblisse, il est peu probable qu’elle entre en récession. L’éventuel déblocage des fonds de l’UE destinés à lutter contre le coronavirus permettrait de dégager une marge de manœuvre budgétaire pour de nouvelles dépenses sociales, la guerre en Ukraine pourrait créer un nouvel effet de ralliement autour du parti au pouvoir et l’opposition n’est toujours pas en mesure de convaincre les anciens électeurs du PiS. Tous ces facteurs pouvant jouer en faveur de Droit et Justice, l’issue des élections devrait rester incertaine jusqu’au jour du scrutin.

Aleks Szczerbiak

Professeur de science politique à l'Université de Sussex (Grande-Bretagne).

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