Quand le mur de Berlin est tombé en novembre 1989, les Baltes avaient déjà lancé leur révolution chantante. Trente ans plus tard, à quoi ressemble la Lituanie ?
Quand le mur de Berlin est tombé le 3 novembre 1989, les Baltes avaient déjà lancé leur révolution chantante. Le 3 juin 1988, 35 intellectuels signent l’appel pour un mouvement de transformation de la Lituanie, Sajudis. Le 23 août 1989, la Voie balte réunit 2 millions de Baltes dans une immense chaîne humaine entre Vilnius et Tallinn. Ils dénoncent les protocoles secrets du pacte Ribbentropp-Molotov qui avait divisé l’Europe en zone d’influence germanique et soviétique et réclament l’indépendance. A la tête de Sajudis, Vytautas Landsbergis, orateur hors-pair, galvanise les foules. Elu, il prend la tête du Conseil suprême et déclare l’indépendance de la Lituanie le 11 mars 1990. De facto, le pays devient indépendant lors du putsch à Moscou en août 1991. Trente ans plus tard, à quoi ressemble la Lituanie ?
A Vilnius, il existe un lieu qui résume à lui tout seul les trente dernières années vécues par la Lituanie. Là où se trouve aujourd’hui le musée Mo – un musée d’art contemporain privé conçu par l’architecte Daniel Libeskind, auteur du musée juif de Berlin ou du mémorial du 11 septembre à New-York, inauguré il y a un an – se dressait avant le cinéma Lietuva, lieu par excellence de la propagande soviétique, mais devenu à l’indépendance le lieu des découvertes cinématographiques occidentales.
Aujourd’hui, exit les capots de voiture où les vendeurs étalaient leurs marchandises, les points de location de cassettes VHS, les raves sauvages et les passeports à montrer à chaque passage de la frontière.
Et aujourd’hui, ce musée propose une exposition dédiée aux années 90. Et toute la Lituanie s’y presse. En l’espace de quelques semaines depuis la date d’ouverture, plus de 40 000 visiteurs sont partis se replonger dans le chaos et le bouillonnement de la première décennie d’indépendance décisive pour la construction de la république balte. La plus jeune génération, celle née avec l’adhésion de la Lituanie à l’Union européenne et à l’Otan en 2004, y découvrent un pays qu’ils n’ont jamais connu.
Aujourd’hui, exit les capots de voiture où les vendeurs étalaient leurs marchandises, les points de location de cassettes VHS, les raves sauvages dans des endroits abandonnés ou les passeports à montrer à chaque passage de la frontière. Dans les rues de Vilnius, les hipsters déambulent un café à la main, leur chien en laisse. Les food trucks servent des hamburgers saignants. A Vilnius, Kaunas ou Klaipeda, on paye son parking via une application mobile. Les low cost se posent aussi à Palanga sur le littoral.
Un retour à l’Europe
Il y a 30 ans quand la Lituanie est redevenue indépendante, il s’agissait bien de faire un retour, et non pas son entrée au sein de l’Europe. Depuis le Grand-Duché de Lituanie, cette confédération pacifique qui s’étalait jusque sur les rives de la Mer noire et la première indépendance de la Lituanie pendant la période de l’entre-deux-guerres, la Lituanie avait tissé son réseau. Dans les années 30, après la réforme agraire, le beurre lituanien était exporté partout en Europe.
L’intégration dans les structures euro-occidentales a donc été la priorité. En 2004, la Lituanie adhère à quelques jours d’intervalle à l’Otan, puis à l’Union européenne. En 15 ans, le pays a continué sur sa lancée : introduction de l’euro, présidence du Conseil de l’Union européenne. Aujourd’hui, Vilnius est une capitale entendue. Elle a notamment pris des initiatives dans le domaine de la cyberdéfense.
Depuis la guerre russo-géorgienne en 2008, puis l’annexion de la Crimée en 2014, les questions de défense sont redevenues prioritaires en Lituanie. Après avoir été longtemps sous-financé, le pays consacre désormais 2 % de son budget à l’armée, comme recommandé par l’Otan et le pays a su convaincre ses alliés de la nécessité de s’engager pour sa sécurité. Depuis 2017, une force multinationale de l’Otan est installée en Lituanie, sous commandement allemand.
Crise démographique et fracture sociale
Que ce soit pour faire face aux contrecoups de la crise économique russe en 1998, ou à la surchauffe locale couplée à la crise financière mondiale, 20 ans plus tard, la Lituanie a su se relever au prix d’une austérité drastique, de coupes budgétaires dans les retraites et d’un regain de l’émigration qui a fait économiser des milliers d’euros en allocations chômage au gouvernement lituanien. La bonne santé économique peut faire des envieux. Le taux de croissance prévu pour 2019 est de 3,7%. Il devrait baisser l’année prochaine. Le taux de chômage n’est lui que de 6,1 % selon les calculs du bureau des Statistiques.
Si la façade est belle, l’édifice se fissure. Le président récemment élu, Gitanas Nauseda a fait campagne sur la fracture sociale et son slogan pour une Lituanie prospère a fait recette. Trente ans après avoir plongé la tête la première dans le libéralisme économique, la Lituanie connaît la plus grande inégalité entre les plus pauvres et les plus riches au sein de l’UE. Son économie très ouverte subit les fluctuations de la donne économique mondiale.
En l’espace de 30 ans la Lituanie a perdu plus de 500 000 habitants. Le pays compte aujourd’hui 2,7 millions de personnes. La baisse de la natalité couplée à une forte émigration en sont les raisons et ébranlent la solidité économique de la république. Selon un rapport du FMI publié à l’automne, d’ici 2030 la population active pourrait se contracter de 28 % et la Lituanie aurait besoin de 300 000 travailleurs venus de l’extérieur. Mais le pays mise surtout sur le retour des Lituaniens de l’étranger, d’autant plus que les flux migratoires se stabilisent ces derniers mois. Si les Ukrainiens sont de plus en plus nombreux à travailler dans le domaine des transports, aucune stratégie n’existe encore pour faire venir de la main d’œuvre de pays tiers de manière systématique.
La marche du monde met la Lituanie à l’épreuve. La crise des migrants de 2015 a été l’une d’entre elles. Le pays a pour l’instant accueilli moins de 1 000 réfugiés, qui ont déjà quitté le pays pour la majorité d’entre eux, mais pour cela il a fallu tout de même l’intervention de l’ancienne présidente lituanienne Dalia Grybauskaite qui s’est imposée dans le débat.
Trente ans après le retour à l’indépendance, la Lituanie se normalise. Si la fracture sociale s’intensifie, elle pourra elle aussi voir l’émergence d’un mouvement nationaliste comme en Estonie voisine. Elle doit aussi ouvrir les yeux sur la défense de l’environnement et le réchauffement climatique. La jeunesse du pays, formée à l’étranger, connectée au monde entier, l’y force.