Dans un communiqué retentissant, les deux associations de vétérans de l’insurrection de Varsovie d’août 1944 ont exprimé leur indignation face aux propos tenus par le président Duda, à l’encontre des minorités sexuelles : « Les mots qu’a entendus la Pologne, et avec elle le monde entier, doivent se heurter à l’objection radicale de toute personne décente. » Par Thibault Deleixhe et Gwendal Piégais.
Le président polonais Andrej Duda, actuellement en campagne pour sa réélection, a récemment pris pour cible la communauté LGBT de Pologne. Avec la publication récente d’une « Charte de la famille », il prend des engagements pour « interdire la propagation de l’idéologie LGBT dans les institutions publiques ». Duda renouvelle également son opposition au mariage de personnes de même sexe et à leur accès à l’adoption.
Depuis, une campagne résolument hostile aux LGBT est à l’œuvre. Dans une série de déclarations, la communauté LGBT a été qualifiée de « néo-bolchevisme », qui serait « introduit clandestinement dans les écoles » pour « sexualiser les enfants ». Dans ces déclarations, les LGBT sont ramenés au rang d’un une idéologie « encore plus dangereuse pour l’homme que l’idéologie communiste ».
À la suite de ses déclarations, Duda s’est trouvé confronté à des opposants inattendus : l’Association des insurgés de Varsovie et la Fondation pour la mémoire des héros du soulèvement de Varsovie. Dans un communiqué sans équivoque, les deux associations rassemblant les derniers survivant de l’Insurrection de Varsovie en août 1944 ont manifesté leur claire opposition aux propos tenus par le président Duda.
« Nous n’accepterons jamais que l’on humilie les minorités sexuelles dans un pays où les homosexuels étaient assassinés par les fascistes au simple motif de leur différence. »
« Les mots qu’a entendus la Pologne, et avec elle le monde entier, doivent se heurter à l’objection radicale de toute personne décente. Lors de l’Insurrection de Varsovie, nous avons combattu pour rendre à l’homme la dignité dont l’avait privée l’occupant. Nous ne resterons pas indifférents devant la déshumanisation d’une minorité rappelant la pire des époques qu’il nous fut donnée de vivre. Nous considérons qu’il est de notre devoir de prendre la parole pour défendre les plus faibles.[…] Nous n’accepterons jamais que l’on humilie les minorités sexuelles dans un pays où les homosexuels étaient assassinés par les fascistes au simple motif de leur différence. »

En Pologne, c’est en inaugurant le Musée de l’Insurrection de Varsovie en 2004 que Lech Kaczynski a entamé son chemin vers la présidence. L’inauguration de ce musée fut l’acte fondateur d’une nouvelle historiographie et d’une obsession mémorielle qui s’efforcent de lier l’idée de patriotisme à celle d’un nécessaire sacrifice. Dans cette narration, l’insurrection de Varsovie d’août 1944, durant laquelle la résistance nationale polonaise (l’Armia Krajowa) fut écrasée par l’occupant allemand, joue un rôle central.
Depuis l’investissement mémoriel de cette date par l’État polonais, les insurgés de Varsovie sont devenus la figure tutélaire de l’héroïsme national, le grand-père ou l’arrière-grand-père d’autant plus imposant qu’il n’est souvent plus là et que c’est avec sa légende qu’il faut se dépêtrer. Les slogans des insurgés sont scandés lors des marches nationalistes et leurs insignes sont cousus sur les drapeaux qui flottent au-dessus de leurs cortèges.
Les derniers insurgés en vie auraient, au fond, pu se satisfaire de ces éloges et prétendre ne rien voir des intentions de leurs flatteurs. Et pourtant, dès 2019, la Fondation pour la mémoire des héros du soulèvement de Varsovie et l’Association des insurgés de Varsovie ont fermement condamné les actes d’agression qui ont perturbé la première Marche pour l’égalité à Bialystok en 2019 : « Il est triste que nous ayons combattu la haine, et que maintenant nous nous battions dans la Pologne libre pour qu’elle ne devienne pas haineuse » – écrivaient-ils dans un communiqué.

Ainsi, lorsque Duda a récemment déclaré que les LGBT n’étaient pas des personnes, avant d’aller s’agenouiller à Auschwitz, il ne leur a pas fallu 24h pour publier ce communiqué cinglant. Alors qu’il venait de rendre hommage aux victimes polonaises de la politique d’extermination nazie, le communiqué des deux associations renvoie explicitement Duda à des mots prononcés par l’historien polonais et survivant de la Shoah, Marian Turski, lors des célébrations du 75e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz:
« Nous appelons les politiciens à cesser de diviser la société. Aucun avantage politique n’a de valeur s’il est obtenu au prix du préjudice humain, du harcèlement et de l’humiliation. Nous appelons les Polonais à se rappeler les mots de Marian Turski – « Ne soyez pas indifférents lorsqu’une minorité est victime de discrimination. » Nous ne le serons pas. »
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