Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou s’est rendu dimanche 18 août à Kiev pour rencontrer le Président ukrainien récemment élu, Volodymyr Zelensky. Une visite sur fond de mémoire de l’Holocauste et aux forts relents électoralistes, un mois avant les élections législatives en Israël.
À un mois des élections législatives israéliennes, le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou s’est rendu en visite diplomatique en Ukraine, afin d’y rencontrer le président Volodymyr Zelensky. Une telle visite a de quoi surprendre, compte-tenu de la bonne relation que souhaite entretenir le gouvernement israélien avec le partenaire russe. Lors de l’annexion de la Crimée, Israël s’était alors fendu d’un simple communiqué, formulant le vœu pieu que la situation puisse s’améliorer par la voie diplomatique, tandis que l’annexion de la Crimée était unanimement condamnée par les chancelleries occidentales.
L’agenda électoral israélien semble avoir insufflé à Benyamin Netanyahou un intérêt soudain pour l’Ukraine. Malgré les dénégations de son équipe de campagne, le Premier ministre souhaite faire pièce à la popularité de son concurrent dans la campagne des législatives, Avigdor Liberman, auprès de l’électorat israélien originaire des pays de l’ancienne Union Soviétique. Né en 1958 à Kichiniev (actuelle Chișinău) en République Socialiste Soviétique de Moldavie, Liberman, par ailleurs figure éminente de la communauté israélienne d’origine russe, s’était prononcé en faveur de l’annexion de la Crimée par la Russie et affiche régulièrement son soutien à la politique de Vladimir Poutine.
Netanyahou entendrait damer le pion à Liberman en tendant la main à l’électorat israélien d’origine ukrainienne ou aux Russes d’Israël plus critiques de la politique actuelle du Kremlin. Ces marges de progression électorales ne sont pas négligeables puisque entre 1989 et 2006, ce sont plus de 979 000 ressortissants de l’ex-URSS qui ont émigré en Israël, dont plus d’un tiers venus d’Ukraine.
Comprendre le rapprochement entre le groupe de Visegrád et Israël
Au delà de l’aspect symbolique d’une telle visite, et de manière plus pragmatique, Netanyahou escomptait obtenir des avancées de la part de Kiev sur la question des pensions des Israéliens ayant travaillé en Ukraine avant leur émigration. En se posant comme acteur dans l’avancée de ce dossier, il renchérit face à Liberman qui, parmi ses promesses de campagne, s’est engagé à rendre possible le versement des retraites de son électorat russophone et ukrainophone qui constitue actuellement une des plus grandes communautés linguistiques d’Israël.
Israël, un partenaire privilégie de la relance économique de l’Ukraine
Cette visite n’est pas non plus sans enjeu pour le président Zelensky. Benyamin Netanyahou est en effet le premier chef d’état à effectuer depuis son élection une visite diplomatique en Ukraine. Par ailleurs, Israël est, au niveau commercial, le premier partenaire de l’Ukraine au Moyen-Orient. « Nos échanges commerciaux ont dépassé le milliard d’euros. Ce montant va croître de façon considérable en raison de la signature d’un accord de libre-échange entre l’Ukraine et Israël, qui sera, je l’espère, bientôt ratifié par Israël » a indiqué le président Zelensky. Cet accord de libre échange implique la libre circulation de biens et de services et doit aboutir à un régime de visas plus souple entre les deux pays.
Le Président Zelensky espère que la collaboration entre l’Ukraine et Israël ira plus loin encore, notamment dans le domaine militaire car, « en tant qu’État [l’Ukraine] a beaucoup à apprendre d’Israël », notamment en matière de sécurité et de défense. La visite du Premier ministre israélien a donc été l’occasion de signer un ensemble d’accord bilatéraux : un premier accord sur un régime sans visa entre les deux États, un accord portant sur le développement de l’enseignement de l’hébreu en Ukraine et sur celui de l’ukrainien en Israël ainsi que deux memorandums de coopération économique, agricole et alimentaire.
Histoire partagée
L’exploitation politique et diplomatique d’une telle visite, par Volodymyr Zelensky, ne s’arrête pas cependant aux seuls bénéfices économiques attendus par la conclusion de ces accords. Les deux dirigeants ont pu, à loisir, souligner les liens culturels et historiques qui unissent les deux pays. Benyamin Netanyahou, lorsqu’il est revenu sur l’histoire millénaire de la communauté juive d’Ukraine, a souligné que les peuples juifs et ukrainiens avaient « connu des périodes glorieuses dans [leur] relations, mais […] également vécu des périodes de tragédie inimaginable » faisant référence au sort tragique des juifs d’Ukraine. Ces déclarations trouvent, du reste, un échos frappant dans l’histoire personnelle des deux hommes. Volodymyr Zelensky lui-même est d’origine juive, tout comme le premier ministre ukrainien Volodymyr Groysman. Par ailleurs, la délégation israélienne compte en son sein le ministre de la Protection de l’environnement Zeev Elkin, né dans la ville ukrainienne de Kharkiv.

La visite de la délégation israélienne a ainsi pris une dimension mémorielle très forte lorsque, ce lundi, Netanyahou a déposé une gerbe de fleurs sur la tombe du Soldat inconnu dans le parc de la Gloire éternelle, à Kiev ; un monument dédié à la mémoire des soldats soviétique ayant combattu contre le Troisième Reich pendant la Seconde Guerre mondiale. À la suite de cela, le premier ministre israélien a déposé un panier d’épis de blé au monument consacré aux victimes de l’Holodomor, une famine qui aurait été intentionnellement provoqué par le pouvoir soviétique entre 1932 et 1933 et qui a conduit à la mort de millions de personnes en Ukraine et dans le Kouban.
Diplomatie mémorielle
Durant la conférence de presse, le président Zelensky a demandé à Benyamin Netanyahou d’œuvrer pour qu’Israël reconnaisse officiellement l’Holodomor comme un génocide, c’est-à-dire comme une tentative, orchestrée par le pouvoir stalinien, de détruire intentionnellement le peuple ukrainien. Or, comme le rappelle l’historien François-Xavier Nérard, spécialiste de la période stalinienne, « tous les historiens ne sont pas d’accord sur la qualification de ‘génocide.’ Les Ukrainiens étaient-ils spécifiquement visé en tant que groupe ethnique ? C’est tout l’enjeu de ce débat qui n’est pas clos. »
En effet, rappelle-t-il, la grande famine qui sévit en Ukraine en 1932-1933 est le résultat d’un projet politique : « celui d’imposer par la force la collectivisation des campagnes, pas d’éliminer les Ukrainiens. C’est ce projet politique de transformation du monde rural qui est à l’origine de la tragédie. D’autres zones de l’URSS ont été touchées par la famine. De façon plus générale, l’ensemble des campagnes soviétiques ont été dévastées par la collectivisation. Pour autant, la méfiance, l’hostilité de Staline vis-à-vis de ce qu’il perçoit comme le nationalisme ukrainien l’amène à des décisions qui impactent prioritairement l’Ukraine et ses habitants ruraux. »

Dans ce pas de deux diplomatique, où le Premier ministre israélien et le président ukrainien ont tenté chacun, à leur manière, de tirer le plus grand profit de cette visite, Zelensky a ainsi déclaré qu’en « honorant la mémoire des victimes de la Shoah, au cours de laquelle plus de deux millions de Juifs ukrainiens ont péri, l’Ukraine appelle Israël à également reconnaître l’Holodomor comme un acte génocidaire contre le peuple ukrainien ». Obtenir une telle reconnaissance serait un exploit diplomatique. « Cette demande auprès de Benyamin Netanyahou ne manque pas d’audace, poursuit François-Xavier Nérard, dans la mesure où la radicale spécificité du génocide des Juifs d’Europe est au coeur des discours depuis les années 1960. L’emploi du terme de génocide, défini par Raphael Lemkin pour décrire le judéocide européen, est donc un enjeu majeur. » Joignant le geste à la parole, dans cette association de l’Holodomor et de l’holocauste, le périple mémoriel s’est poursuivi dans la journée avec la mémorial à Babi Yar, où plus de 30 000 Juifs ont été assassinés par les Einsatzgruppen et leurs collaborateurs locaux durant ce qui fut le plus grand massacre de la Shoah par balles au cours de la Seconde guerre mondiale.