Mort dans le dénuement, le « héros rom » Béla Puczi enfin commémoré

« N’ayez pas peur Hongrois, les Tziganes sont là ! » Cette célèbre phrase est indissociable du « mars noir » qui désigna les affrontements entre Roumains et Hongrois qui ont eu lieu en 1990 dans la ville transylvaine de Târgu Mureş. Elle fait directement écho aux actions de Béla Puczi et de ses compagnons roms venus prêter main forte à la minorité hongroise. La mémoire de ce « héros rom » a été honorée ce dimanche à Budapest, huit ans après sa mort.

Tribune publiée le 10 décembre 2017 dans Mérce sous le titre « Megverték a rendőrök, mert kiállt a magyarokért, hajléktalanként halt meg, most végre emléktáblát kapott a magyar cigány hős ». Traduite du hongrois par Ludovic Lepeltier-Kutasi.

Les violences étaient montées d’un cran en mars 1990 à Târgu Mureş. Les manifestants défilaient les uns après les autres et plusieurs petits échauffourées éclataient entre les habitants hongrois et roumains. Le conflit avait atteint son apogée le 20 mars, lorsque des Roumains ramenés en ville, qu’on avait chauffés à blanc (en leur racontant que les Hongrois tuaient les enfants roumains) et fait boire, avaient franchi le cordon de manifestation pour aller agresser les Hongrois. La police d’État roumaine n’était pas intervenue. L’armée en faction dans la ville était également restée passive, en dépit des demande des Hongrois. Selon certaines versions, les militaires auraient même bouclé la ville en ne laissant passer que les Roumains arrivant de plus en plus nombreux.

Les événements se sont accélérés dans la soirée du 20 mars vers 20h, lorsque les Tziganes originaires des villages voisins sont arrivés en ville en criant « N’ayez pas peur Hongrois, les Tziganes sont là ! » Béla Puczi était parmi eux. Autour de 23h, ce sont les Sicules du Niraj et de Sovata qui sont arrivés en ville armés de bâtons et de fourches afin de chasser les Roumains de la place principale en dépit du cordon militaire. Les combats se sont ensuite dissipés, laissant un bilan de cinq morts et environ 300 blessés.

Béla Puczi et ses compagnons furet embarqués par la police le 28 mars pour une garde à vue de sept jours, durant laquelle ils ont été battus et torturés. C’est au cours de cet interrogatoire que Puczi a prononcé « Je suis un Tzigane hongrois, même si tu b… ta mère ! », refusant de choisir entre le fait d’être tzigane ou hongrois.

Le 28 mai 1991, Puczi fut condamné à un an et six mois de prison ainsi que 600 000 lej pour dégradation de biens appartenant à l’État roumain. Après des protestations internationales, cette peine fut commue en privation de liberté. C’est à ce moment-là que Puczi décida de laisser sa famille et de venir en Hongrie. Il pensait bénéficier sur place d’une certaine reconnaissance et avait prévu de rapatrier sa famille par la suite. Ce n’est pas ce qui advint : il ne revit son fils qu’à l’âge adulte.

Sa demande d’asile fut rejetée en janvier 1992 par les autorités hongroises, arguant du fait que Puczi ne pouvait pas justifier son bon droit. Puis il alla en France où il ne reçut pas non plus de statut de réfugié. Il vécu ensuite caché, faisant des petits boulots, puis fut expulsé vers la Hongrie, où les autorités lui intimèrent de quitter le territoire sous trente jours. Là, il mena sa barque encore une fois comme un apatride et prit un emploi en Hongrie. Finalement, il put accéder au statut de réfugié sur la base d’un certificat de la police. Suite à cela, il travailla à partir de la fin des années 1990 au Centre des médias roms. C’est dans le dénuement et la pauvreté qu’il mourra en 2009.

 

MTI Márton Mónus

Une plaque commémorative fut dévoilée ce dimanche sur le côté de la gare de Nyugati par le Centre des médias roms et le groupe « Nous sommes d’ici » (« Idetartozunk csoport »). Pour la petite histoire, la MÁV (société hongroise des chemins de fer) ne souhaitait pas autoriser la pose de la plaque et y a consenti uniquement sous la pression médiatique et de l’intervention de Zoltán Balog, ministre des ressources humaines.

Lors de l’inauguration de la plaque, le président du groupe « Nous sommes d’ici » Jenő Setét a prononcé un discours dans lequel il a considéré que le fait de dévoiler des plaques commémoratives pour les héros roms ne devait pas relever de leur responsabilité, mais ne fait que composer l’absence de mobilisation de la société sur ce sujet.

Béla Puczi n’est en effet pas le seul héros rom de l’histoire hongroise. Comme l’a rappelé Setét, il y a eu également de nombreux héros roms lors de la guerre d’indépendance de Rákoczi, de la révolution de 1848 ou encore de l’insurrection de 1956.

Au-delà de la présence de plusieurs organisations roms, l’événément a été marqué par la participation du mouvement Momentum et du Parti socialiste hongrois (MSzP) qui ont déposé une couronne de fleurs devant le visage de Puczi. Viktor Szigetvári représentant quant à lui le parti Ensemble (Együtt).

András Jámbor

Journaliste

Fondateur et rédacteur-en-chef de Mérce, site d'information indépendant, engagé à gauche et dans le mouvement social en Hongrie.

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