La Pologne et la Hongrie ont finalement levé leur veto à l’adoption du budget 2021-2027 et du Fonds de de relance de l’UE. Viktor Orbán n’a pas bloqué en vain : il a gagné du temps, peut-être assez pour les élections de 2022. Réactions.
L’accord qui se dessinait depuis la veille du sommet du Conseil européen de Bruxelles s’est matérialisé jeudi soir dans la soirée. Après un mois de bras de fer, Budapest et Varsovie ont finalement accepté de lever leur veto à l’adoption du budget pluriannuel portant sur la période 2021-2027 et du plan de relance dit « EU NEXT GEN » de 750 milliards d’euros destiné à lutter contre la crise provoquée par l’épidémie.
Les gouvernements hongrois (Fidesz) et polonais (PiS) espéraient, par ce blocage, obtenir la levée du mécanisme adopté par le parlement européen qui permettra de couper les fonds à un pays membre qui se rend coupable d’atteinte à « l’État de droit ».
Viktor Orbán et Mateusz Morawiecki ont échoué à casser le mécanisme. Pas une virgule n’a été changé au texte voté par le parlement européen. En revanche, la présidence allemande du Conseil européen leur a concédé, en échange de la levée du veto, l’ajout d’une annexe. Cette « déclaration interprétative » circonscrit le champ d’action du mécanisme, laissant de côté les questions d’asile et de genre par exemple, qui n’étaient de toute façon pas inclus dans le mécanisme initial. C’était une façon pour la présidence allemande de permettre à Orbán et Morawiecki, qui en avaient fait des arguments fallacieux pour justifier leur veto, de rentrer chez eux sans humiliation.
Mais la plus grande concession qui a été faite au dirigeant hongrois, c’est de faire entrer en jeu la Cour de justice européenne (CJUE). Avant d’entrer en vigueur, le mécanisme va devoir être étudié de près par celle-ci, afin d’en vérifier la légalité, contestée par le couple polono-hongrois. Mateusz Morawiecki a annoncé dès jeudi soir que son gouvernement la saisirait pour contester la légalité du mécanisme. Cela présente un avantage évident pour Viktor Orbán : il gagne du temps, sans doute assez pour que d’éventuelles sanctions ne tombent pas avant 2022, année des élections législatives hongroises. Toutefois, le mécanisme sera rétroactif, ce qui signifie que la Commission européenne pourra se saisir d’affaires concernant des fonds versés à compter du 1er janvier 2021.
Orbán aura les mains libres pour 2022
Les groupes de citoyens hongrois et polonais qui ont collecté 300 000 signatures, dans une pétition adressée à des députés et des décideurs européens, pour soutenir la conditionnalité des fonds de l’UE au respect de l’Etat de droit, se disent aujourd’hui « trahis ».
Dans une déclaration commune, les porte-parole de l’organisation de citoyens hongrois aHang (La Voix, créée en 2018) et du mouvement de citoyens polonais Akcja Demokracja (Action pour la démocratie, créée en 2015) ont déclaré : « L’accord d’aujourd’hui est une décision politique de faire adopter le budget et, malheureusement, le mécanisme de l’État de droit a été sacrifié. Il est presque édenté maintenant ».
Enikö Toth, militante à aHang, fustige : « Cette capitulation pourrait créer un retard indéfini dans l’entrée en vigueur du mécanisme de l’état de droit et permettre aux autocrates de Pologne et de Hongrie de nuire au système démocratique et de mener des guerres contre les minorités. La décision d’aujourd’hui permet également à Orbán de financer sa prochaine élection avec l’argent des contribuables européens et de rester impuni pour ses abus. »
Ildikó Lendvai, éminente figure de gauche qui a été présidente du Partis socialiste (MSZP) a synthétisé la situation comme ceci : « Orbán a perdu la guerre, mais il a gagné du temps pour sa reddition ». Elle estime également que cette croisade a un coût très élevé pour la Hongrie : « Nous avons réussi à pousser le pays dans un état d’isolement tel qu’il n’a pas connu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ».
« Le fonctionnement du système Orbán, la liquidation de la démocratie et la construction d’une mafia ont été financé par l’intermédiaire de l’Union européenne » – Mária Vásárhelyi
La sociologue Mária Vásárhelyi, intellectuelle et commentatrice très en vue de l’actualité hongroise, a des mots très durs contre l’Union européenne : « Comme toujours au cours des dix dernières années, l’UE a laissé tomber les démocrates hongrois. Angela Merkel a fait un compromis sans principes avec le dictateur hongrois, sur notre dos. Elle a jeté une bouée de sauvetage à Orbán pour l’immédiat mais aussi pour les élections de 2022 ».
Dans un article retentissant publié en octobre 2016 dans l’hebdomadaire « Heti Világgazdaság » elle écrivait : « Nous, citoyens hongrois, sommes les principaux responsables de l’échec de la Hongrie démocratique. Mais l’Union européenne porte aussi une lourde responsabilité. Le système Orbán n’aurait jamais pu se renforcer et l’état-mafia n’aurait pas pu mettre la main sur l’économie et la société si l’UE ne lui en avait pas donné les moyens financiers. C’est difficile à admettre, mais le fait est que le fonctionnement du système Orbán, la liquidation de la démocratie et la construction d’une mafia ont été financé par l’intermédiaire de l’Union européenne et par les contribuables des pays occidentaux. C’est avec leur argent que les oligarques d’Orbán ont acheté la majeure partie du marché des médias, les banques, les sociétés de services publics, les entreprises nationales, et ont obtenu le monopole sur le marché des matières premières ».
« De toute façon ce mécanisme n’empêchera pas la démolition de la démocratie hongroise » – Benedek Jávor
L’ancien eurodéputé écologiste Benedek Jávor, désormais représentant de la ville de Budapest auprès de l’Union européenne voit aussi dans le compromis une victoire mais au goût bien amer : « C’est clairement la victoire de l’UE et la défaite d’Orbán », a-t-il réagi dès mercredi à l’annonce de l’accord préliminaire. « Mais une grave concession a été faite. […] Le gouvernement hongrois peut financer son régime sur les ressources de l’Union jusqu’aux élections de 2022 et s’acheter un mandat de plus jusqu’en 2026. La question est de savoir si l’opposition hongroise survivra jusque-là. En bref, l’UE laisserait tomber la Hongrie en échange de l’efficacité à long terme [du mécanisme]. De toute façon ce mécanisme n’empêchera pas la démolition de la démocratie hongroise. C’est que c’est à nous, Hongrois, de régler nos problèmes »…et de déloger un Fidesz toujours solidement incrusté au pouvoir.