Le parti tchèque Liberté et démocratie directe (SPD) de Tomio Okamura lançait jeudi en grandes pompes sa campagne des européennes en accueillant à Prague deux vedettes de l’extrême-droite européenne, Marine le Pen et le Néerlandais Geert Wilders. Mais le rassemblement organisé sur la place Venceslas n’a pas attiré les foules et a été émaillé de tensions avec des contre-manifestants. Revue de la presse tchèque.
![]() |
Les élections européennes 2019 vues par Le Courrier des Balkans et Le Courrier d’Europe centrale |
Prague, correspondance – Un relatif échec, c’est le constat de Petr Kambersky, dans le quotidien Lidové noviny. L’éditorialiste note pourtant que tout aurait dû concourir au succès de l’événement dans un pays où, surfant sur la forte opposition à l’accueil des réfugiés, le SPD a réalisé une percée électorale lors des législatives de 2017 (avec 10,6 % des voix) et où un quart de la population souhaiterait une sortie de l’Union européenne, ce qui placerait la Tchéquie « en deuxième position, juste derrière le Royaume-Uni ».
D’autant plus que le temps était radieux ce jeudi et que le meeting était précédé d’un concert gratuit du groupe de rock Ortel, une formation populaire bien que néofasciste… Mais rien n’y a fait, seules quelques centaines de personnes étaient réunies au pied de la statue équestre de saint Venceslas, en haut de la place éponyme aussi emblématique que difficile à remplir, pour accueillir « la première ligue de l’extrême-droite européenne« , selon l’expression du journal Mladá fronta Dnes. Il faut toutefois dire que Prague, ville riche et où le chômage est quasiment inexistant, n’est pas un bastion du SPD.
Pour Tomio Okamura, le verre est également à moitié vide du côté médiatique puisqu’aucun des grands journaux tchèques n’a fait sa une sur son rassemblement. Si Dnes publie bien en première page une photo des trois représentants de l’extrême-droite européenne, tout sourire, c’est pour insister dans son titre, « Chaude soirée à Prague sous la statue équestre« , sur les incidents survenus en marge de la manifestation. Le quotidien Právo met également l’accent sur les vives altercations entre sympathisants nationalistes et la centaine d’opposants présents, dont certains arboraient une banderole plutôt amicale : « Nous voulons vivre dans l’Union européenne, et ce même avec vous !« . La police a été sollicitée pour séparer les adversaires les plus belliqueux et a procédé à dix interpellations.
Bruxelles, immigration et islam dans le viseur
Côté contenu, les dirigeants politiques qui se sont relayés sur le podium ont déroulé leur programme classique, hostile à Bruxelles et à l’immigration, que Tomio Okamura, Marine le Pen et Geert Wilders avaient déjà eu l’occasion de développer plus tôt dans la journée lors d’une conférence de presse commune. « Les Européens luttent pour leur survie, littéralement. Avec la noblesse bruxelloise européenne, il n’y a pas de place pour la nation et la démocratie« , a ainsi tempêté le leader du SPD. Les islamophobes en ont également eu pour leur argent avec Geert Wilders, le président fondateur du Parti pour la liberté, qui a évoqué « un culte du Moyen Âge » à propos de la religion musulmane. Il a aussi fait l’éloge de son hôte, Tomio Okamura, « un héros, qui n’a pas peur de dire la vérité sur l’islam et l’UE« .
Marine Le Pen a dressé un tableau apocalyptique de la France, assez fidèle à l’image que s’en font certains Tchèques.
De son côté, Marine le Pen, la finaliste malheureuse de la dernière présidentielle en France, qui a déjà manifesté son soutien au politicien tchèque à plusieurs reprises par le passé, a présenté les élections européennes organisées à la fin du mois de mai comme « un match entre mondialistes et les fédéralistes, hostiles aux frontières, et les patriotes« . La présidente du Rassemblement nationale a par ailleurs accordé un entretien à la chaîne TV Barrandov, où elle a salué ce qu’elle identifie comme une spécificité tchèque. « Dans l’Union européenne, il y a très peu de pays à être critiques de l’islamisation et de l’immigration. La Tchéquie peut être fière de cela« , a-t-elle noté. A l’inverse, elle a dressé un tableau apocalyptique de la France, assez fidèle à l’image que s’en font certains Tchèques. D’après ses informations, il y aurait dans son pays des « zones de non-droit, où ce sont des règles religieuses, islamistes, qui s’appliquent« .
Les nationalistes en ordre de bataille pour entrer au Parlement européen
Malgré la bonne entente affichée entre les dirigeants nationalistes invités à Prague, leur stratégie vis-à-vis de Bruxelles n’est pas toujours claire. Tomio Okamaru et Geert Wilders ont réaffirmé leur souhait de voir leur pays quitter l’Union européenne, au contraire de Marine le Pen, qui a changé son fusil d’épaule et table désormais sur la montée en puissance de l’extrême-droite, déjà au pouvoir en Autriche ou en Italie, au sein même des Vingt-Huit. Absent à Prague, le leader de la Ligue du Nord, le ministre de l’Intérieur italien Matteo Salvini, a adressé ses vœux de succès à ses alliés via une courte vidéo.
Quoiqu’il en soit, et même avec ce rassemblement en demi-teinte, l’extrême-droite européenne apparaît en ordre de bataille pour réaliser un score plus important que lors des européennes de 2014 et parvenir à son objectif de disposer d’un groupe au Parlement européen. La journaliste Kateřina Šafaříková, auteure d’un article pour l’hebdomadaire Respekt qui dépeint de façon très colorée le meeting pragois, note ainsi : « L’atmosphère dans la foule était imbibée de fumée de cigarette et de bière en cannette. Pour autant, le public, composé majoritairement d’hommes de plus de cinquante ans, était d’une humeur bien plus combative qu’il y a quatre ans, quand Marine le Pen, aux côtés de Wilders et de Matteo Salvi, était venue à Prague pour la première fois, saluée par quelques sympathisants« .