Marche du siècle en Pologne : « Ne nous enlevez pas notre avenir »

L’Europe centrale aussi s’est mobilisée vendredi dernier lors de la « Marche du siècle » pour le climat. A Varsovie, plusieurs milliers de jeunes Polonais ont manifesté pour lutter contre le changement climatique. Reportage.

Varsovie, correspondance – Ils étaient certes loin d’être aussi nombreux que leurs collègues allemands, belges, ou français, mais en réussissant à rassembler dans les rues de Varsovie plusieurs milliers de collégiens et lycéens, les jeunes Polonais ont permis à leur pays de ne pas complètement manquer à l’appel de la Grève mondiale pour le climat. Ailleurs dans le pays, des écoles d’une trentaine de villes avaient aussi observé, vendredi 15 mars, un taux anormal d’absentéisme pour cause, selon l’appellation en vigueur en Pologne, de « grève climatique de la jeunesse ».

Ce n’était pas la première fois que des adolescents polonais manquaient les cours pour dénoncer l’inaction des dirigeants internationaux face aux changements climatiques, toutefois aucune manifestation n’avait jusque là attiré autant de participants. Même en décembre dernier, lorsque la jeune militante suédoise Greta Thunberg s’était rendue à Katowice, en Silésie, pour prendre la parole à la COP 24, seuls quelques dizaines d’élèves s’étaient mobilisés, et la marche pour le climat organisée pendant la conférence avait surtout réuni des adultes.

Ce vendredi, à Varsovie, il n’y a pratiquement pas de « grand » dans la foule, en dehors de quelques parents venus soutenir leurs enfants. Un peu avant dix heures, à l’entrée du jardin de Saxe, les manifestants arrivent par petits groupes, le plus souvent d’une même classe ou d’une même école. Ils ont fait le chemin tout seuls, en métro ou en tram, sans être déposés en car ou par la voiture de papa et maman – chose rare dans un pays où les parents ont tendance à surprotéger leurs enfants et à considérer que les transports en commun sont destinés à ceux qui ne peuvent pas s’offrir une auto.

À dix heures, heure d’ouverture de la manifestation déclarée en mairie, on compte encore moins d’un millier de personnes. Néanmoins, à ce carrefour très passant, il est difficile de se retrouver, et beaucoup d’élèves sont au téléphone pour tenter d’indiquer à leurs amis où ils sont, parfois avec des explications maladroites. La météo est fraîche, légèrement pluvieuse, et les blousons, bonnets et parapluies se confondraient presque s’ils n’étaient pas aussi bariolés. On voit bien ça et là quelques élégants coiffés nets et en manteau, des « fantaisistes » avec piercing et cheveux colorés, mais les plus nombreux restent ceux dont l’apparence simple n’attire pas l’attention.

Agata Kubis / OKO.Press

La créativité de ces jeunes se lit en revanche sur leurs pancartes. Contrairement à leurs aînés, prompts à distribuer des badges et porter des banderoles spécialement imprimées pour l’occasion, les manifestants d’aujourd’hui ne disposent pas de gadget. Leurs pancartes, écrites ou dessinées à la main sur des bouts de carton et des boîtes à pizza, arborent des messages en polonais ou en anglais tantôt naïfs – le fameux ours polaire amaigri par la faim –, tantôt touchants. « Je ne suis pas trop petite pour changer le monde », soutient une jeune fille à peine plus grande que le manche de sa pancarte. D’autres sont plus classiques – « Nous n’avons pas de planète B », « Make the planet great again » –, et certains enfin interpellent par leur maturité et leur sens des priorités : « Ne nous enlevez pas notre avenir », « Najpierw natura, potem matura ». La nature d’abord, le bac ensuite, comme en écho à nos dilemmes entre fin du mois et fin du monde.

Un quart d’heure plus tard, les organisateurs, juchés sur un camion qui transporte la sono, doivent demander à la foule de se répartir davantage le long de la chaussée car il y a beaucoup plus de monde que prévu. Les participants s’exécutent sagement, bien que peu d’entre eux connaissent ceux qui sont au micro. Ils ont appris l’existence de l’évènement par l’intermédiaire de Facebook ou Noizz, un site internet populaire chez les jeunes Polonais, mais ne sont pas venus à l’invitation d’une organisation particulière ou même de personnes clairement identifiées. Les quelques militants de Greenpeace et du Comité de défense de la démocratie (KOD) qui observent du trottoir la manifestation sont visiblement ravis, mais ils ne sont que de simples spectateurs. « On est bons pour la retraite ! », s’enthousiasme un activiste du KOD.

En effet, en comparaison avec les marches du KOD dont les sympathisants ont en général plus de 50 ans, il y a de l’ambiance. Par moments, le rassemblement prendra même des allures de boum en plein air (pardon auprès des lecteurs qui trouveront le terme ringard), et les jeunes ne seront pas du tout gênés de danser dans la rue sur des tubes de Queen, Britney Spears et Katy Perry. Les plus de trente ans seront aussi surpris d’entendre déterrés We Are The World, The Final Countdown et We Are Family, et si certains de ces titres auraient peut-être gagné à tomber dans l’oubli, ils établissent dans le même temps des passerelles avec des citoyens d’autres pays et d’autres générations.

Malgré ce climat festif, c’est pourtant bien pour l’autre climat – celui de notre planète – que ces ados font aujourd’hui l’école buissonnière (pardon une nouvelle fois pour l’expression datée). Leurs revendications ne sont pas aussi concrètes que ne l’auraient voulu les critiques de la grève, selon qui les enfants feraient mieux d’être en cours, mais leurs auteurs ne prétendent pas, à la différence de certains soi-disant « responsables » politiques, avoir une meilleure connaissance des changements climatiques que par exemple le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). C’est pourquoi les manifestants demandent d’abord à ce que le rapport du GIEC sur la nécessité de contenir le réchauffement à 1,5°C devienne la base de travail sur laquelle élaborer les politiques climatiques.

La centrale de Bełchatów en Pologne, cette calamité pour le climat

Sans s’adresser à un parti ou un gouvernement particulier, ils ont par ailleurs exhorté les « décideurs » à introduire plus de questions environnementales et climatiques dans les programmes scolaires, à rendre les écoles plus « vertes », à renforcer l’information disponible en matière de choix de consommation (notamment par l’étiquetage), à accorder plus d’attention aux changements climatiques dans les médias et les politiques publiques, et enfin, à assurer au plus vite la transition énergétique en conformité avec le principe de justice sociale. La marche s’est terminée vers midi devant le ministère de l’Énergie, dont l’actuel locataire est l’otage du lobby charbonnier polonais. Non content de promettre le maintien du charbon comme élément central du bouquet énergétique national au moins jusqu’en 2040, il s’acharne à repousser l’interdiction de vente aux particuliers du charbon de mauvaise qualité, en dépit de plus de 40 000 décès prématurés par an directement liés au smog et la pollution de l’air.

Les jeunes Varsoviens manifestants se sont-ils sentis ce vendredi 15 mars faire partie d’un mouvement global ? La question leur paraît idiote. « Bien sûr, le climat n’a pas de frontière, et c’est pourquoi la grève des jeunes est aussi mondiale », répondent Adam et sa sœur Kasia, âgés respectivement de 19 et 15 ans. C’est sans doute la première génération de Polonais à comprendre que leur propre avenir ne se joue pas seulement dans leur pays, et que l’avenir du monde dépend aussi un peu d’eux.

D’autres rassemblements dans les grandes villes d’Europe centrale

A Prague, le nombre de manifestants a surpris les organisateurs : ils étaient entre 2000 et 5000 à se rassembler au cœur de la capitale tchèque. C’est d’ailleurs une photo de la foule pragoise qu’a diffusée Greta Thunberg pour illustrer le succès de la mobilisation planétaire. À Brno, ils étaient près de 700. Des rassemblements ont aussi eu lieu à Ostrava, Liberec, Plzeň, Česke Budějovice, Karlovy Vary, Rakovník et Pelhřimov. Le ministre de l’environnement Richard Brabec a salué les jeunes et, en réaction, le parlement a annoncé qu’il discutera de la lutte contre les changements climatiques le 27 mars prochain. Quant aux écoliers, ils ont annoncé qu’ils donnaient deux semaines au gouvernement pour réagir avant d’entamer de nouvelles actions.

La « Marche du siècle » a eu un succès un peu plus limité en Hongrie et en Slovaquie. A Budapest, entre 400 et 500 personnes se sont retrouvées sur Batthyány tér, sur la rive du Danube en face du Parlement, le jour de la fête nationale. A Pécs, dans le sud du pays, l’Union des jeunes Verts (ZöFi) avait anticipé le jour férié en organisant la veille un pique-nique dans le centre-ville. En Slovaquie, les manifestations ont eu lieu dans l’ombre de la campagne du premier tour de l’élection présidentielle, qui a eu lieu ce samedi. Environ 1000 personnes ont été recensées à Bratislava et quelques centaines à Košice, Liptovský Mikuláš et Žilina.

Crédits photographiques : Agata Kubis / OKO.Press

Romain Su

Journaliste

Correspondant en Pologne pour Courrier international, Le Soir de Belgique, Le Courrier d’Europe centrale et plusieurs revues professionnelles.

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