Après de longs mois de négociations avec les producteurs, l’Ukraine a commencé le 24 février sa campagne de vaccination, critiquée pour ses retards et visée par des accusations de corruption. 500.000 doses ont déjà été livrées, pour un pays de 42 millions d’habitants.
Le premier Ukrainien à recevoir sa première dose, mercredi 24 février, est un médecin réanimateur de Tcherkassy, une ville à 200 kilomètres au sud de Kiev, selon un message du gouverneur de la région sur Facebook. Dans un premier temps, le personnel médical en première ligne, mais également les soldats sont prioritaires pour recevoir les injections contre le virus.
Ces piqûres se faisaient attendre depuis des mois par les soignants qui, dans leur lutte contre le Covid-19, se reposent sur un système de santé sous-financé depuis la chute de l’Union soviétique. Pour les autorités ukrainiennes, accusées de mauvaise gestion de l’épidémie par l’opposition, ces retards de livraison s’expliquent par le manque de solidarité des pays occidentaux. L’Ukraine avait ainsi sécurisé seize millions de doses gratuites dans le cadre de l’initiative onusienne Covax, qui devaient permettre à la campagne de commencer début février avec celles développées Pfizer/BioNTech. Les autorités attendent cette semaine la première livraison de 117.000 doses de ce lot.
Contrairement à ses voisins de l’espace post-soviétique, les autorités ukrainiennes ne veulent pas commander le vaccin Spoutnik V, efficace à 91,6% et peu onéreux, que Moscou utilise à souhait comme une arme de soft-power, selon les observateurs. En guerre depuis 2014 avec des séparatistes soutenus par la Russie dans l’Est du pays, Kiev a même fini par l’interdire sur son territoire pour contrer le discours d’hommes politiques pro-russes en faveur du sérum de « l’agresseur » russe. Son plus fervent défenseur en Ukraine, le député et proche de Vladimir Poutine, Viktor Medvedtchouk, menait une campagne de promotion du Spoutnik V à travers ses chaînes de télévision depuis quelques mois, avant qu’elles ne soient fermées par Kiev. Il y a un mois, les autorités des républiques autoproclamées de Donetsk et Louhansk ont annoncé le début de la campagne de vaccination avec le vaccin russe dans les territoires qu’ils contrôlent.
Contrairement à ses voisins de l’espace post-soviétique, les autorités ukrainiennes ne veulent pas commander le vaccin Spoutnik V, efficace à 91,6% et peu onéreux, que Moscou utilise à souhait comme une arme de soft-power.
Sans vaccin venu de l’Est, ni de l’Ouest, les autorités sanitaires ont dû trouver des sources alternatives pour immuniser leur population. Le ministre de la Santé, Maksym Stepanov, s’est ainsi rendu en Inde pour superviser lui-même le 23 février l’importation des 500.000 premières doses d’AstraZeneca, produites par le laboratoire Serum Institute of India, le plus gros fabricant de vaccins au monde, et commercialisées sous le nom de Covishield. Au total, quatre millions de doses développées par le groupe suédo-britannique AstraZeneca et 15 millions de l’américain Novavax, toutes produites en Inde, devraient être fournies aux Ukrainiens. D’ici fin mars, 1,5 millions de doses sont attendues, selon le ministère de la Santé.
Fin décembre, Kiev avait également commandé 1,9 millions de doses du vaccin chinois Sinovac, dont l’efficacité a été remise en cause par plusieurs études. A la suite de la publication de l’une d’entre elles réalisée au Brésil et qui atteste d’une immunisation de 50,38%, le ministre de la Santé ukrainien avait déclaré que Kiev serait remboursé si l’efficacité du vaccin s’avérait inférieure à 70%. En janvier, le groupe pharmaceutique privé chargé de l’achat des vaccins, Lekhim, avait déjà annoncé que 5 millions de doses avaient été sécurisées pour la première moitié de l’année et qu’un plan pour installer en 2022 une usine de production de vaccin en Ukraine était à l’étude. Mais pour le moment, pas une dose n’a été livrée et ce vaccin reste introuvable.
En Tchéquie, l’épidémie galope, des hôpitaux arrivent à saturation
Ce contrat passé avec les Chinois fait l’objet d’une enquête ouverte début février par le Bureau national anti-corruption (NABU), qui suspecte que les prix auraient été artificiellement gonflés. Le vaccin a en effet été acheté à 17,85 dollars la dose, par l’intermédiaire de Lekhim, une société privée, alors même que les autorités sanitaires disposent d’un organisme chargé de l’achat de matériel médical. En janvier, une député pro-occidentale du parti “Holos”, Oleksandra Oustinova, avait ainsi accusé le ministre de la Santé d’avoir bloqué l’achat d’un vaccin produit par l’institut indien pour seulement trois dollars.
La critique des autorités sanitaires dépasse les modalités d’organisation de la vaccination et s’étend à la gestion de l’épidémie en général, dans un système de santé à bout de souffle. En pleine campagne pour les élections locales en septembre dernier, le parlement avait par exemple décidé de mobiliser le fonds d’urgence du Covid-19 pour l’entretien des routes.
L’Ukraine a déjà enregistré plus d’1,3 millions de cas et 25.000 morts et voit depuis une semaine une résurgence de l’épidémie, notamment dans Carpates, près des stations de ski. Au 1er mars, plus de 3.000 personnes ont déjà été vaccinées, a annoncé le même-jour dans une conférence de presse, un représentant du ministère de la Santé.
Alors que la campagne de vaccination débute, d’autres défis attendent les autorités sanitaires, la population ukrainienne étant l’une des plus défiantes en Europe envers les vaccins. De 2017 à 2019, une épidémie de rougeole avait ainsi éclaté dans le pays. Selon un sondage de l’Institut Rating de début janvier, 52% des Ukrainiens ne se disent “pas prêts” à être vaccinés, même si le vaccin était gratuit.