Malgré l’isolement précoce imposée par la guerre aux habitants du Donbass, le Coronavirus fait également irruption dans l’Est de l’Ukraine. Après six années de guerre, le Donbass pourrait être violemment heurté par l’épidémie, au regard des conditions matérielles dans lesquelles vivent les habitants de la région et la faible capacité de soin locale. Par Pauline Maufrais.
En Ukraine, la crise du COVID-19 a, comme dans de nombreux pays, conduit à la fermeture des frontières et la mise en place d’une quarantaine stricte. Si au départ les autorités ne relevaient que peu de cas, ces derniers sont en augmentation croissante, avec plus de morts que de guéris pour le moment, et la peur d’une expansion du virus, alors que les infrastructures hospitalières du pays ne sont pas en capacité d’accuser le choc. Les craintes s’exacerbent dans le Donbass, qui pâtit de six ans de guerre et d’une population vieillissante dans la zone de conflit, avec une lente prise de conscience sur la nécessité d’agir, également dans les territoires des républiques autoproclamées de Donetsk et de Louhansk.
Un Donbass fragilisé par six ans de guerre et une population vieillissante face à la pandémie
Le Donbass souffre de plusieurs facteurs rendant la situation alarmante pour le corps médical local et la société civile travaillant à ce sujet. L’ONG ukrainienne travaillant sur la situation humanitaire dans le Donbass, Vostok SOS a réalisé un contrôle de la situation dans les infrastructures hospitalières en mars 2020 que la région de Louhansk. Elle a immédiatement alerté sur le manque de structures hospitalières modernes, et de personnel hospitalier, avec dans certaines villes seulement 60% des travailleurs médicaux nécessaires au bon fonctionnement des établissements de santé et encore moins dans les campagnes.
Les régions de Donetsk et de Louhansk ne sont donc pas prêtes à accueillir des vagues de patients atteints du COVID-19 à cause du manque de matériel, de médicaments et d’appareils d’assistance respiratoire, et ce malgré les discours plutôt rassurant des autorités régionales. Maria[1], une activiste locale dans la région du Donbass raconte : “le plus grand défi pour les travailleurs de la santé reste de leur fournir des équipements de protection individuelle… La semaine dernière, j’ai parlé avec un médecin qui travaille dans un hôpital pour maladies infectieuses et il m’a dit qu’il n’avait qu’un seul masque de protection jetable, qu’il met et remet le lendemain alors même qu’il devrait être changé toutes les 2 ou 3 heures. Le personnel médical demande des équipements de protection individuelle aux organisations locales”.

Le nombre de cas déclarés dans le Donbass reste très faible – une vingtaine – mais seulement une centaine de tests ont été pratiqués depuis le début de l’épidémie dans la région sous contrôle ukrainien de Donetsk. Au niveau national, l’Ukraine enregistre un peu plus de 4 000 cas à la mi-avril. Le faible nombre de tests présents dans les laboratoires à l’Est explique aussi le peu de cas recensés assez bas dans la région, et cette situation n’est pas propre au Donbass. Elle s’applique à l’ensemble du territoire ukrainien. Ainsi, si l’Est de l’Ukraine se dote progressivement de matériel pour réaliser les tests, avec environ 5 000 annoncés le 24 mars par des représentants régionaux de Louhansk, cela reste un échantillon bas au regard de la population globale. Le premier laboratoire à avoir reçu des tests est basé à Marioupol, mais Igor Mitchik qui travaille dans le centre des droits civils de Drukarnia basé à Slaviansk, nuance en indiquant qu’à peine mille tests ont été reçus par ce laboratoire. À cela, il ajoute qu’“à Slaviansk, un laboratoire devrait commencer à pratiquer des tests à partir du 6 avril…”, faisant espérer une réalisation plus massive de tests au sein de la population.
Pour améliorer la situation, un plan de réponse humanitaire face à la pandémie du COVID-19 a été lancé en Ukraine par le secrétariat de l’ONU le 26 mars dernier, d’une hauteur de 165 millions de dollars. De cette somme, 34 millions de dollars sont spécifiquement destinés à l’Est du pays. L’aide est urgente car “aux abords la ligne de front il manque de tout, mais à l’échelle ukrainienne aussi. Les autorités font état de 3 500 respirateurs, selon le dernier chiffre transmis, sur tout le territoire. Mais cela compterait aussi ceux qui sont en train d’être achetés !” indique Igor Mitchik. “Pour le moment la quarantaine va jusqu’à fin avril. Mais en un mois l’Ukraine ne pourra pas s’équiper pour faire face à la situation”, se désole-t-il.
« Les autorités font état de 3500 respirateurs, selon le dernier chiffre transmis, sur tout le territoire. Mais cela compterait aussi ceux qui sont en train d’être achetés ! »
La région reste fragile avec 1,5 millions de personnes vivant à proximité de la ligne de front et plus de 3,5 millions nécessitant une aide humanitaire, selon l’ONU. Cette dernière a d’ailleurs rappelé qu’en plus de vivre dans une situation de conflit depuis six ans, 36% de la population est composée de seniors, dont 41% à proximité même de la ligne de contact. L’UNHCR a rapporté que sur 119 villages observés situés le long de la ligne de contact, 70 n’avaient plus de transports publics dus à la quarantaine, 57 n’avaient pas de pharmacie et 24 pas de magasins d’alimentation. En cas de foyer d’infection déclaré du au COVID-19 dans la région, ces zones seraient dès lors particulièrement vulnérable, pâtissant par ailleurs d’un système de transport et de routes en mauvais état. Autre exemple permettant d’illustrer la difficulté démographique de la région : la ville de Konstantynivka, est certes dotée d’un hôpital, mais parmi ses 100 000 habitants, 70 000 sont des seniors.
Igor Mitchik a passé deux jours à l’hôpital de Konstantynivka en mars, ayant été en contact avec des gens présentant les symptômes du COVID-19, et de cette expérience il raconte que “les médecins étaient eux même inquiets, car ils ne savaient pas quoi faire. Ils appliquaient d’anciennes procédures et personne n’était familier avec cette nouvelle situation. Il y avait un manque évident de communication, et de protections”. Si les autorités locales ont indiqué la mise en place d’un plan de communication plus efficace pour que l’information sur le COVID-19 soit bien diffusée dans le pays, “on fait face à une situation délicate, car on ne veut pas créer de la panique dans la population, car ils connaissent bien la réalité de leurs hôpitaux et du système de santé” explique Igor Mitchik.
La ville de Konstantynivka est dotée d’un hôpital, mais parmi ses 100 000 habitants, 70 000 sont des seniors et font partie de la population à risque.
Sur la quarantaine, la situation diffère encore entre les villes et les zones rurales. “À Slaviansk nous avons organisé la distribution de masques de protection dans la rue il y a quinze jours avec notre centre. Les gens étaient plutôt contents d’en recevoir…. Ces derniers jours en me promenant j’ai remarqué que de plus en plus de gens en portaient. Mais cela reste Slaviansk, donc une ville. En campagne la situation est complètement différente.” répète Igor Mitchik. En Ukraine, le pic de l’épidémie est prévu à partir du 14 avril.
La lente prise de conscience dans les territoires séparatistes
Dans les Républiques autoproclamées de Donetsk et de Louhansk, s’est rapidement posée la question de la conséquence du virus pour les populations locales, notamment dans la société civile et les organisations humanitaires internationales. Au mois de janvier et de février, les autorités de facto de la République autoproclamée de Donetsk rapportaient des cas de grippe porcine H1N1, ayant entraîné le décès de cinq personnes. Néanmoins, elle ne faisait pas encore état de cas de COVID-19 contrairement au reste du territoire ukrainien.
“Dans les territoires séparatistes, tout le monde avait peur qu’ils ignorent tout simplement la situation. En fait, quand la Russie a commencé à prendre des mesures ils se sont alignés et ont changé rapidement leur tactique.” raconte Igor Mitchik. “Aujourd’hui il y a une fermeture des frontières avec l’Ukraine” [les autorités de facto de ces territoires ont fermé les points de passage sur la ligne de contact avec le reste du territoire ukrainien dès le 21 mars]. Ainsi, les deux territoires sont donc isolés et du côté du gouvernement ukrainien, le passage reste officiellement possible, avec la mise en place de panneaux informatifs sur comment se protéger du coronavirus et sur la prise de température, mais de fait les flux se sont interrompus.
Cette décision de fermeture totale de la ligne de contact par les autorités de facto a eu pour conséquence d’inquiéter de nombreuses familles qui se trouvent disséminées de chaque côté de la ligne, de même que de poser la question des démarches administratives ou du reçu de pensions de retraites versées par le gouvernement ukrainien. En effet, en 2018 selon le fond de pension ukrainien, 562 000 retraités vivant dans les territoires séparatistes recevaient des pensions de Kiev et allaient ainsi les chercher en traversant la ligne de contact. En effet, la région est le théâtre de nombreux mouvements de population vers les territoires contrôlés par le gouvernement de Kiev, avec environ 1,2 millions de passage mensuels via les cinq points d’entrés et de sorties disséminés sur la ligne de contact, quatre automobiles vers la République autoproclamée de Donetsk, et un pédestre vers la République autoproclamée de Louhansk.

La fermeture du territoire des Républiques autoproclamées a dans un premier temps surpris étant donné que dans les deux républiques la situation demeurait détendue jusqu’à la fin du mois de mars, contrastant avec les mesures rapides de quarantaine prises par Kiev. Jusqu’à la fin du mois de mars, les lieux publics tels que les magasins, centres commerciaux, restaurants ou cafés n’étaient pas fermés, de même que les écoles, même si elles étaient alors en vacances. Des vidéos montraient une population plutôt sereine déambulant dans les rues. Les pharmacies commençaient néanmoins à indiquer des pénuries de masques et de gel désinfectant. Les annonces de fermetures ont été faites à la fin du mois de mars, avec également un report annoncé des festivités du premier mai en République autoproclamée de Louhansk, et quelques cas de personnes touchées par le COVID-19 dans les deux entités séparatistes.
« En cas de non-respect de cette quarantaine il y a un risque d’aller en prison. »
La seconde grande annonce est venue du voisin russe qui a annoncé la fermeture de sa frontière avec les territoires de Donetsk et de Louhansk à partir du 31 mars, sauf pour les personnes en possession d’un passeport de la Fédération de Russie. De fait, les habitants possédant un passeport ukrainien, ou alors un passeport émis par les autorités non-reconnues de Donetsk et de Lougansk ne peuvent plus quitter ces territoires. Les autorités autoproclamées ont également durci leurs positions avec “une quarantaine imposées à toutes personnes venant de Russie pendant quinze jours. En cas de non-respect de cette quarantaine il y a un risque d’aller en prison” précise Igor Mitchik. Par ailleurs, le nombre de points de passage entre les deux territoires a lui-même réduit avec une fermeture partielle des postes frontières, due à l’épidémie.
Une communication régulière sur le nombre de victimes de la maladie a débuté. Ainsi, le premier cas de personne atteinte du COVID-19 en République séparatiste de Louhansk a été déclaré le 28 mars dernier, et une centaine de personnes font l’objet d’observation. Les premiers cas de décès ont été annoncés dans les deux républiques autoproclamées.
Le tableau général de la situation en Ukraine reste sombre, résume Igor Mitchik “En Ukraine le pic de la pandémie est prévu entre mi-avril et mi-mai et il y a un manque de tout … je dois d’ailleurs être le dernier allemand à être resté travailler dans la région depuis le début du COVID-19 !” [rires]. Avec son ONG Drukarnia qui est financée par le Ministère des Affaires étrangères allemand et vise à l’origine promouvoir la société civile dans la région de Slaviansk, ils se reconvertissent déjà pour pouvoir proposer une aide humanitaire dans ces prochaines semaines dans le Donbass.
[1] Le prénom a été modifié