L’arrivée annoncée à Budapest d’une antenne de l’université Fudan, une institution chinoise basée à Shanghai, continue de faire réagir. Une enquête révèle que la construction de ce super-campus sera financée par un prêt chinois, tout en étant confiée à une entreprise chinoise.
Les médias hongrois d’investigation Direkt36 et 444.hu ne relâchent pas l’attention quant aux liens du gouvernement avec Pékin. Leur dernière enquête commune révèle les dessous de l’installation de l’université Fudan à Budapest en 2024, confirmée en janvier dernier. On apprend notamment que la construction sera financée par un prêt avoisinant les 500 milliards de forints de l’État chinois (soit à peu près 1,4 milliard d’euros).
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Dans l’immédiat, l’État hongrois va débourser 100 milliards de forints de sa poche pour commencer les travaux. Par la suite, la banque centrale chinoise fera crédit de près de 450 milliards, soit en yuan, soit en euros (les détails exacts restent encore à déterminer). Il s’agira d’un prêt s’étalant sur 10 ou 15 ans, que l’État hongrois sera en charge de rembourser intégralement.
Matériaux, main-d’œuvre et crédit chinois, payés par le contribuable hongrois
En plus de s’endetter auprès de Pékin, l’enquête révèle que c’est une entreprise chinoise, le géant CSCEC, qui sera en charge de la construction du campus. Non seulement il fera largement appel à de la main-d’œuvre chinoise, mais il fera également venir les matières premières directement depuis la Chine. Autrement dit, bien que la Hongrie finance la construction du campus, ce chantier ne bénéficiera même pas (ou très peu) à des entreprises locales.
Ces conditions ne sont toutefois pas très surprenantes. « Depuis le début des années 2010, la Chine fait face à un problème de surproduction : leur capacité de production de ciment, d’acier et autres matières premières a largement dépassé leurs besoins. … L’initiative des nouvelles routes de la soie (Belt and Road initiative) a été imaginée pour rentabiliser ces capacités et la main d’œuvre chinoise à l’étranger » explique l’économiste Krisztián Orbán. Ce projet de construction s’inspire d’ailleurs largement du projet de rénovation de la LGV Belgrade-Budapest, à la différence que ce projet ferroviaire sera mené de pair par une entreprise chinoise et une entreprise hongroise, en l’occurrence celle du milliardaire proche du pouvoir Lőrinc Mészáros.
Ces dernières années, la Chine fait régulièrement parler d’elle en Afrique, où elle accorde de très nombreux prêts dans des conditions souvent opaques. Comme l’évoquait dans nos colonnes la chercheuse Ivana Karásková, spécialiste de la politique étrangère chinoise, Pékin aborde les pays d’Europe centrale avec la même approche que les pays en développement, dits du « Sud ». Ce marché avec le gouvernement hongrois illustre bien la stratégie de la Chine dans la région, qui n’a pas l’intention de traiter d’égal à égal avec ces pays, malgré leur statut d’État membre de l’UE.
Le droit européen jugé « non pertinent »
Un autre élément révèle tous les avantages accordés aux Chinois : le souci du gouvernement hongrois d’écarter la possibilité de toute concurrence. Dans l’un des documents officiels du ministère de l’Innovation que les journalistes de Direkt36 ont pu consulter, on peut notamment lire que « le gouvernement a accepté le projet à la condition (…) qu’il soit réalisé sous la forme d’un projet commun hungaro-chinois ; la construction ne pourra se faire que sous la forme d’un projet chinois ; (…) ; d’un point de vue légal, il est nécessaire d’atteindre le point au-delà duquel il sera impossible d’interrompre le processus d’investissement ».
Le gouvernement prévoit de fixer les règles et les conditions dans le cadre d’une coopération strictement hungaro-chinoise. Concernant l’application du droit européen et les obligations qui en découleraient en termes d’appel d’offre et d’ouverture à la concurrence, le document officiel se contente de dire que ces règles ne sont pas « pertinentes » dans ce cas précis.
Enfin, pour administrer le campus, Budapest et Pékin prévoient de créer une fondation hungaro-chinoise, nommée Fudan Hungary Egyetem, suivant le modèle développé ces dernières années par le gouvernement Fidesz. Celui-ci fait passer la gestion des universités aux mains de fondations « d’intérêt public ». Les premiers fonds alloués à la fondation Fudan Hungary Egyetem devront être assurés par l’État hongrois, qui a déjà acheté des biens immobiliers avoisinant les 800 millions de forints.