Le gouvernement ultraconservateur a entrepris une réforme de la Cour suprême qui met à mal la séparation des pouvoirs, en dépit d’une large mobilisation populaire.
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Article de Justine Salvestroni publié le 24 juillet 2017 sur le site internet du journal Ouest-France. |
Réforme controversée
Dans la nuit de vendredi à samedi, malgré les manifestations devant le Parlement, à Varsovie, le sénat a voté une loi qui met fin au mandat des juges de la Cour Suprême et de les remplacer sur nomination de l’exécutif.
Deux autres lois ont été votées en juillet : pour permettre au ministre de la Justice de nommer les présidents des tribunaux de droit commun et pour révoquer les membres du Conseil de la Magistrature et les faire nommer par le Parlement. De fait, le pouvoir exécutif prend le contrôle du pouvoir judiciaire, dont l’indépendance garantit la démocratie.
Veto présidentiel
Pour bloquer ces réformes, une seule solution : que le président de la République, Andrzej Duda, issu du PiS, le parti ultraconservateur de Jaroslav Kaczyński, refuse de promulguer la loi. Il dispose de 21 jours pour mettre son veto. « Mais c’est le soldat loyal du parti, estime Bartosz Wieliński, journaliste à Gazeta Wyborcza, un quotidien d’opposition. Il obéit aux ordres du chef du PiS, Jarosław Kaczyński, et signera la loi. »
« Coup d’État »
Les partis d’opposition ont tenté, en vain, de bloquer le vote. Le chef de Plateforme civique (parti libéral) a dénoncé « un coup d’État« . « La seule chance dont dispose l’opposition pour reprendre le pouvoir, c’est de se rassembler, du centre-droit jusqu’à la gauche, estime Bartosz Wieliński. Si le PiS continue ses réformes et prend la main sur la commission électorale, alors ils pourront falsifier les élections. Mais je ne peux pas imaginer qu’un jour il n’y ait plus d’élections libres en Pologne. Le pays serait alors une deuxième Biélorussie. »
« Caste » des juges
Le PiS estime quant à lui que les juges forment une « caste » qui serait un vestige du système communiste. « Lorsqu’il est arrivé au pouvoir, le gouvernement a commencé par mettre la main sur les médias publics, explique Bartosz Wieliński. Depuis deux ans, on voit donc à la télévision des juges corrompus ou incompétents, pour discréditer le système judiciaire. C’était le premier pas vers la subordination des cours de justice indépendantes. »
Manifestations
Des dizaines de milliers de Polonais, notamment des jeunes, ce qui est inhabituel, ont manifesté dans toute la Pologne, « jusque devant la résidence d’été de la présidence, où s’est réfugié Andrzej Duda, remarque Bartosz Wieliński. Pourtant, c’est sur une petite île ! Le PiS a choisi de faire ces réformes pendant les vacances, espérant une faible mobilisation. Les Polonais pourraient profiter de leurs congés, mais ils vont manifester, c’est très significatif. »
« Déplorable »
Donald Tusk, président du Conseil européen et ancien Premier ministre polonais, a déclaré que « le niveau de coopération est déplorable, hélas en raison des positions et attitudes des ministres du gouvernement polonais qui ne veulent pas collaborer avec la Commission européenne« .
Le président Duda a refusé de rencontrer Donald Tusk, ennemi de longue date de Jarosław Kaczyński. Même l’administration américaine, pourtant en bons termes avec la Pologne depuis la visite de Trump à Varsovie début juillet, a fait part de sa « préoccupation« .
Quelles sanctions ?
La Commission européenne demande à la Pologne de « mettre en suspens » la réforme du système judiciaire, au risque de déclencher l’article 7 du traité de l’Union européenne, ce qui permettrait de prendre des sanctions contre la Pologne. Mais il faut l’unanimité des États membres, et le Premier ministre hongrois, Viktor Orbán, a promis de défendre la Pologne « contre l’inquisition de l’Europe« .
La dérive ultra-conservatrice en quelques dates-clés2001. Création du parti Droit et Justice, le PiS. Cette formation conservatrice, a longtemps été personnifiée par les jumeaux Lech et Jarosław Kaczyński. Le premier, président de la République de 2005 à 2010, est décédé dans un accident d’avion en 2010. 6 août 2015. Absente du pouvoir entre 2007 et 2015, le PiS revient au pouvoir avec Andrzej Duda, au terme du scrutin le plus serré de l’histoire du pays. Trois mois après, le PiS triomphe aux élections législatives et remporte la majorité absolue à la Diète (l’équivalent de l’Assemblée nationale française) 19 novembre 2015. Début de la crise autour du tribunal constitutionnel avec la double élection de cinq juges par les députés de la Diète. 30 et 31 décembre 2015. Loi sur le contrôle des médias. Les dirigeants du conseil de surveillance des médias publics et des directions sont directement nommés. Des journalistes, trop critiques, ont été licenciés. 21 juillet 2016. Politique historique révisionniste, basée sur « sur le fait que ce soit nous qui racontons notre interprétation de l’Histoire […] La politique historique devrait être offensive et forcer le monde à penser et respecter les Polonais« , selon le ministre de la Culture et du Patrimoine, Jarosław Sellin. 31 juillet 2016. Taxe sur les groupes étrangers de supermarchés exerçant en Pologne. Les enseignes comme Auchan, Carrefour… ont qualifié cette taxe de « discriminatoire » et « xénophobe ». |