Les Quatre de Visegrád crient victoire après le sommet européen sur l’immigration

En Hongrie, en République tchèque, en Pologne et en Slovaquie, on se félicite de l’issue du sommet européen qui s’est tenu cette semaine et semble avoir enterré les quotas européens de relocalisation des demandeurs d’asile.

Présenté comme le grand artisan de la radicalisation des droites européennes sur la question migratoire, Viktor Orbán a posté vendredi une courte vidéo sur facebook dans laquelle il revendique une « grande victoire » pour Groupe de Visegrád. Le danger venait selon lui de relocalisations obligatoires depuis les nouveaux « centres d’accueil sur le sol européen ». Finalement, l’ouverture de ces centres se fera sur une base uniquement volontaire, tout comme la redistribution des demandeurs d’asile depuis ces centres vers les différents pays de l’Union. Ceci permettra à la Hongrie « de rester hongroise », selon les mots d’Orbán.

Les Vingt-Huit ont réussi à décrocher un accord vendredi matin, mais il reste très vague et comme l’a mentionné le Président du Conseil européen, Donald Tusk, il est « beaucoup trop tôt pour parler d’un succès ». Cet accord prévoit le renforcement des frontières extérieures de l’Union européenne en donnant des moyens supplémentaires à l’agence Frontex ; la création de hot spots en dehors de l’UE pour recueillir les demandes d’asile ; des « centres contrôlés » établis dans des États membres sur une base volontaire. (Voir ici les détails des conclusions adoptées par le Conseil européen le 28 juin).

Du côté de la République tchèque, le Premier ministre Andrej Babiš estime de concert que « Le groupe de Visegrád a pu imposer ce qu’il souhaitait. Il n’y aura pas de quotas migratoires, la relocalisation des migrants se fera sur la base du volontariat, et l’Union européenne va essayer d’installer des ‘hot spots’ hors du continent européen. » (Radio Prague).

En Slovaquie, le Premier ministre Peter Pellegrini (Smer-SD) s’est lui aussi réjouit de ce qu’ « aucun migrant n’arrivera en Slovaquie sans son consentement ». Il a aussi déclaré apprécier « que la discussion soit passée des quotas obligatoires à la protection rigoureuse des frontières extérieures de l’UE ». Ceci dit, Peter Pellegrini a aussi ajouté que la Slovaquie serait susceptible d’accueillir chez elle jusqu’à 1 200 demandeurs d’asile qui se trouvent dans les pays voisins, notamment en Autriche.

En Pologne, Morawiecki triomphe

Le Premier ministre polonais considère les résolutions prises au sommet européen à Bruxelles jeudi comme un triomphe pour son gouvernement. « La position de la Pologne est maintenant devenue celle de l’UE », s’enthousiasme-t-il. Mateusz Morawiecki souligne le fait qu’« après deux années de lutte, il a enfin réussi à stopper la pression exercée par plusieurs états en faveur d’une répartition obligatoire des migrants dans les pays de l’UE », cite l’Agence Polonaise de Presse (PAP).

Le chef du gouvernement polonais considère être celui qui a « assuré l’unité de la région ». Le succès qu’il désigne comme « gigantesque » a, d’après lui, renforcé la position de tout le groupe de Visegrád. Le chef du gouvernement du Droit et Justice se dit « édifié » que l’Europe ait décidé de suivre « le modèle qu’il a proposé », basé sur le principe du volontariat en ce qui concerne la crise migratoire. « Si quelqu’un veut bien accueillir des migrants, qu’il le fasse à son gré, mais la Pologne et les pays de Visegrád ont exposé d’autres arguments qui ont également été pris en compte », souligne-t-il.

La satisfaction du Premier ministre ne s’arrête pas là : Morawiecki remarque également que l’Union européenne tend vers l’idée, mise en avant par le Droit et Justice « d’aider les migrants dans leur pays d’origine », c’est-à-dire de mener des actions humanitaires et d’aider les gouvernements africains à tarir les migrations à la source.

La presse polonaise ne partage pas totalement son enthousiasme. L’édition polonaise de Newsweek se demande à quoi les plateformes de débarquement pour les migrants, prévus par des dirigeants européens en Afrique du Nord ou dans d’autres pays de la Méditerranée vont-elles pouvoir ressembler. A une sorte de camp de rétention avec une fonction d’agence d’emploi où les migrants vont attendre une décision sur leur demande d’asile ? Ou bien à ces camps des migrants que l’on connaît déjà, où des réfugiés passent de longues années ? En plus, il est discutable que les pays de la région veuillent bien accueillir des migrants, sans compter qu’ils ne sont pas, eux non plus, des lieux sûrs. Newsweek demande plutôt des « modèles de développement », une sorte de « plan Marshall » pour l’Afrique.

Rzeczpospolita soulève d’autres interrogations. Le renoncement au modèle de répartition obligatoire ne veut pas dire qu’aucune pression ne sera plus exercée sur la Pologne, craint le journal. Certes le gouvernement du Droit et Justice n’aura plus besoin de craindre des sanctions, mais la pression ne s’évanouira pas pour autant.

Rzeczpospolita s’inquiète des conséquences géopolitiques pour la Pologne, qui se range ainsi aux côtés des pays qui ont une tendance à soutenir la politique de la Russie, c’est à dire la Hongrie et l’Autriche. Le Droit et Justice, craint le journal, pourrait perdre tout soutien de l’Union européenne dans l’affaire du pipeline Nordstream 2 dont l’installation par la Russie menace des intérêts économiques de la Pologne, ou encore dans sa position vis-à-vis de la Russie depuis l’annexion de la Crimée. Rzeczpospolita met les dirigeants polonais en garde : chaque sommet a pour but de contenter tous les négociateurs, ce qui a été le cas à Bruxelles. Mais une fois la théorie élaborée, la pratique dépendra des négociations particulières entre les membres de l’UE.

Photo : European Union

Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).

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