Les Juifs ont-ils peur dans la Hongrie de Viktor Orbán ? (2/3)

Une amnésie qu’avait très brutalement dénoncé l’écrivain Ákos Kertész dans le Népszava américain et qui lui vaut aujourd’hui d’être un renégat [lire la première partie]. Comme la Hongrie « n’a pas demandé pardon, elle ne recevra pas l’absolution », avait-il écrit.

La Hongrie frappée d’amnésie partielle

Après les quatre décennies de « blackout » mémoriel imposées par le régime communiste post-seconde guerre mondiale, la Hongrie revient peu à peu à elle-même, mais très lentement. L’Holocauste a été « la tragédie de la nation hongroise toute entière« , a récemment déclaré le ministre des Affaires étrangères de la Hongrie, János Martonyi, à la cérémonie d’ouverture de l’année qui marque le centenaire de la naissance du « Juste parmi les nations » Raoul Wallenberg[1]Cet homme d’affaires suédois a sauvé de la déportation plusieurs dizaines de milliers de Juifs hongrois. Arrêté en 1945 par l’Armée rouge, on ne sait toujours pas à ce jour ce qu’il est advenu de lui..

« L’Etat hongrois a été incapable de défendre ses citoyens et, alors qu’il était sous occupation [par l’Allemagne nazie], il a assisté leur mort ». Les mots sont forts et contrastent avec le peu de contrition dont fait preuve la grande majorité de la population pour le rôle de la Hongrie dans l’Holocauste, dont elle ne se sent en rien responsable.

Car si le suédois Wallenberg mérite le statut de héros pour avoir sauvé de la déportation des milliers de Juifs de Hongrie, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il est encore à ce jour un héros très méconnu. Wallenberg, est-ce le meilleur atout du gouvernement pour balayer toute accusation d’antisémitisme ? « Je n’ai pas besoin de prouver que la Hongrie n’est pas un pays antisémite. C’est une insulte. Nous avons un parti d‘extrême-droite qui utilise une rhétorique antisémite. […] Mais ce n’est pas la Hongrie, ce n’est pas l’opinion publique hongroise, et encore moins celle du gouvernement hongrois« , s’est insurgé le ministre des Affaires étrangères dans  The Jerusalem Post, à l’ouverture de l’exposition.

« Partout dans le monde, l’holocauste doit faire partie de l’enseignement public », a aussi déclaré M. Martonyi. Mais la Hongrie est loin de donner l’exemple dans ce domaine. La faiblesse de l‘enseignement de l’Holocauste, c’est même le principal problème pointé par Péter Feldmayer, le président de la fédération des communautés juives de Hongrie. Il est tout à fait stupéfiant de pouvoir rencontrer des jeunes lycéens et même des étudiants qui ne savent rien ou presque de la tragédie qui s’est joué d’octobre 44 à mars 45, pendant ces quelques mois où l’Allemagne – fatiguée des atermoiements et de la mollesse du régent Horthy sur la « question juive » – n’envahisse le pays et ne réalise la déportation de plusieurs centaines de milliers de personnes, avec l’aide de ses suppôts hongrois, les Croix Fléchées. Une véritable politique de la chair brûlée alors que l’Armée rouge était aux portes de la ville.

Cela s’explique. Selon la politique très libérale qui a prévalu ces dernières années, chaque établissement scolaire a le choix parmi un grand nombre de manuels scolaires d’Histoire. Si certains octroient une place à l’Holocauste, d’autres se contentent d’effleurer le sujet, en quelques paragraphes. Le premier gouvernement Orbán (1998-2002) avait pourtant établi le « Jour du Souvenir de l’Holocauste hongrois » qui consiste chaque 16 avril en des programmes éducatifs spéciaux dans les écoles. Il existe aussi des séminaires pour former les enseignants ainsi qu’une méthode très performante d’enseignement de l’Holocauste mise au point en Hongrie, mais ils ne sont qu’une minorité à en profiter et les enseignants préfèrent éviter les sujets sensibles de l’histoire hongroise, tout simplement car ils ne savent pas quelle est la « ligne officielle ».

« Nous n’avons aucun consensus sur rien »

« Nous n’avons aucun consensus sur rien depuis Trianonni sur Horthy lui-même, ni sur notre rôle dans la seconde guerre mondiale, ni sur la révolution de 1956″, déplore János, un jeune de Budapest qui n’a découvert sa judéité qu’à l’âge de 18 ans. Il rappelle l’antagonisme très profond entre une Hongrie de la terre et une Hongrie des villes : deux mouvements littéraires qui se sont affrontés dans l’entre-deux guerres pour ressurgir au début des années 1990 dans le débat politique et dont les porte-voix étaient souvent antisémites. « Il se trouve même des gens pour affirmer que le poète hongrois et juif Miklós Radnóti n’a pas été assassiné par les Nazis mais que, bien au contraire, ce sont les bombes soviétiques qui ont empêché les soldats allemands de le conduire à l’hôpital pour y être soigné ! Comment débattre, comment discuter ?« , s’interroge-t-il.

Au lendemain du discours de Daniel Cohn-Bendit au Parlement européen, lui aussi pestait contre les exagérations du député européen, sans rejeter ses accusations en bloc et s’interrogeait : « les Juifs ont peur du chemin emprunté par la Hongrie, de ce qu’elle pourrait devenir, c’est peut-être ce qu’il a voulu dire…« . Il a appris à l’âge de 18 ans que la famille de sa grand-mère polonaise avait été décimée pendant la seconde guerre mondiale pour son origine juive, ce qui faisait de lui aussi un Juif. « Cela a enthousiasmé le groupe de personnes que je fréquentais à l’époque, Juifs aussi, et j’ai été choqué d’être présenté suite à cela aux parents comme « l’ami juif », car je ne me considère pas comme juif, puisque je ne suis pas religieux et que personne de ma famille ne l’est ». 

En cela, János est très représentatif de l’immense majorité des 100.000 Juifs, totalement assimilés, qui portent des noms hongrois, ne parlent pas hébreu et ne sont pas religieux. « Il est devenu « fashion » d’être juif aujourd’hui en quelque sorteIl existe une petite communauté de jeunes qui réussit très bien, dans les études et au travail et qui essaient d’être de bons juifs – même si cela ne va pas au-delà de la tradition de Yom Kippour – et surtout qui essaient de le montrer », ironise-t-il. Mais allons plutôt rencontrer son ami Dávid, propose János, c’est un jeune psychologue qui – selon ses propres mots ponctués de guillemets – est beaucoup plus juif que lui.

Notes

Notes
1 Cet homme d’affaires suédois a sauvé de la déportation plusieurs dizaines de milliers de Juifs hongrois. Arrêté en 1945 par l’Armée rouge, on ne sait toujours pas à ce jour ce qu’il est advenu de lui.
Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).

8 Comments
  1. Autant le premier opus était intéressant, autant la on retombe dans la compétition victimaire. Ces événements ont eu lieu il y a près de 70 ans. Ras le bol d’être obligé de larmoyer a ces histoires qui appartiennent au passé et auquel, en France et en Hongrie, les jeunes que nous sommes avons absolument aucune responsabilité ni dette.

  2. @François: il ne s’agit pas de larmoyer sur une histoire du passé ni de responsabilité de la part d’une jeunesse qui pour sûr n’a aucun lien direct sur les évènements historiques mais pour que la jeunesse d’un pays se construise sereinement, il est fondamental que la population dudit pays et donc l’Etat assume son histoire avec ce qu’elle a de glorieuse et ce qu’elle a de moche.

    L’histoire assumée permet de comprendre le monde dans lequel on vit au quotidien et par conséquent de s’y adapter. Omettre systématiquement une partie de cette histoire ou en réfuter un bloc entier crée un vide qui rend notre compréhension moins complète et notre adaptation nécessairement plus difficile (ce qui ne signifie en rien impossible).

    Et comme il est mentionné dans cet article, en Hongrie, finalement, tout revient à Trianon qui, juste ou injuste, n’a toujours pas été complètement assimilé ce qui à mon avis joue un rôle central dans les problèmes de la Hongrie actuelle.

  3. « il est fondamental que la population dudit pays et donc l’Etat assume son histoire  »

    Désolé mais pas d’accord. Que voulez vous donc? Que l’Etat s’excuse? Qu’on verse une petite larme au cours d’une minute de silence dans une assemblée ou absolument personne n’a assisté aux evenements de l’epoque?

    Laissez donc l’Histoire aux historiens et l’Etat dans son role regalien. Inutile de melanger les genres.

  4. Assumer ne signifie pas s’excuser… Il s’agit seulement d’accepter la réalité des faits comme ayant été et l’enseigner comme tel (d’où la notion d’Etat car comme souvent, c’est lui qui fixe les lignes directrices des programmes scolaires).
    Je laisse les excuses à ceux qui jugent qu’ils doivent faire acte de contrition pour les fautes de leurs aînés.

  5. « d’où la notion d’Etat car comme souvent, c’est lui qui fixe les lignes directrices des programmes scolaires »

    Je ne suis pas d’accord et je m’en explique. C’est le gouvernement et non l’Etat qui decident des periodes a couvrir dans le programme scolaire. Et fort heureusement les manuels d’histoire sont encore ecrits par des historiens, et non pas par des hommes politiques comme dans les dictatures. C’est pour cela que je pense que l’Etat n’a pas a faire amende honorable, ni a decider d’une version officielle de l’histoire.

    Enfin, en Hongrie, car en France les lois memorielles font que de facto, il y a une histoire officielle.

    Desole d’etre pointilleux, mais dans ces histoires de Shoah, le diable est vraiment dans les details.

  6. Dites donc vous deux,
    En 1994, Gyula Horn (MSZP) alors premier ministre, n’a-t-il pas présenté ses excuses au nom du peuple hongrois pour les crimes commis contre les Juifs en 1944-45 ?

  7. Pour les jeunes, il est toujours bon de connaître ce qui s’est passé dans les lieux où ils vivent. Même si ce n’est que pour mieux l’évacuer en s’ouvrant au monde de demain, qui est celui de la paix, de l’entente entre les hommes et de la construction d’une grande communauté de citoyens (donc une démocratie), du nord au sud et de l’est à l’ouest européen.

  8. Roland, « le monde de demain qui sera celui la paix »… Que le ciel vous entende !!!

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