Les États-Unis cherchent à reprendre la main en Europe centrale

En tournée en Hongrie, en Slovaquie et en Pologne cette semaine, le chef de la diplomatie des États-Unis, Mike Pompeo, tente de contrecarrer les desseins de Pékin et Moscou sur la région. La Hongrie, elle, est carrément pressée de mettre un terme à ses « errements » diplomatiques.

La dernière fois qu’un secrétaire d’État américain s’était rendu à Budapest remonte à 2011, lorsque Hillary Clinton avait rencontré Vikor Orbán qui remplissait son premier mandat à la tête du gouvernement hongrois. Si Michael R. Pompeo, Secrétaire d’État de Donald Trump, a fait le déplacement lundi 11 février, c’est que la situation est sérieuse. Les États-Unis sont inquiets de l’influence grandissante de la Russie et de la Chine dans la région d’Europe centrale et orientale. Avec son projet de nouvelle Route de la Soie, la Chine affirme une nouvelle ambition géopolitique qui ferait de la région une tête de pont vers le reste de l’Europe. Quant à la Russie, la proximité entre Viktor Orbán et Vladimir Poutine alimente les suspicions quant à la loyauté de la Hongrie vis-à-vis de l’OTAN et des institutions euro-atlantiques.

« Trop souvent, les États-Unis ont été absents d’Europe centrale« , a déclaré Pompeo lors de sa visite lundi, rapporte Foreign Policy. « C’est inacceptable. Nos rivaux ont rempli ce vide« . Comme le souligne la revue américaine, le président russe Vladimir Poutine s’est rendu en Hongrie à deux reprises l’an dernier, alors que la dernière visite d’un président américain à Budapest remonte à 2006. George W. Bush avait alors été reçu par le Premier ministre socialiste Ferenc Gyurcsány.

Pour les États-Unis, de plus en plus irrités par la position diplomatique hongroise, selon des notes diplomatiques révélées par le site Direkt36, il est temps pour la Hongrie de faire un choix entre l’Est et l’Ouest. Autrement dit, de mettre fin aux errements géopolitiques dictés par sa doctrine de « l’ouverture vers l’Est » prônée par Viktor Orbán, qui doit faire de la Hongrie un pivot. (Lire ici Le temps ne serait-il pas venu d’une ouverture à l’Ouest ?)

L’on sait très peu de choses du contenu des entretiens de Mike Pompeo avec le Premier ministre Orbán, son ministre des Affaires étrangères Péter Szijjártó et son ministre de la Défense Tibor Benkő. Une photo le montre en compagnie de Viktor Orbán, profitant de la superbe vue qu’offre le nouveau bureau du Premier ministre, mais les deux hommes n’ont pas tenue de conférence de presse.

« La Russie et la Chine ne sont pas des amis de la liberté des petites nations »

Toutefois, il y a eu une pseudo-conférence de presse (les journalistes n’ont eu droit qu’à deux questions) conjointe avec Péter Szijjártó, lors de laquelle Mike Pompeo a réitéré ses mises en garde : « Nous ne pouvons pas permettre à Poutine de dresser un mur entre des amis de l’OTAN » ; « J’ai attiré l’attention de mon partenaire hongrois sur le fait que la Russie et la Chine ne sont pas des amis de la liberté des petites nations [et sur ] les dangers de permettre à la Chine d’établir une tête de pont en Hongrie« .

Mais son homologue hongrois s’est montré inflexible : « nous ne permettrons à personne, ni à l’Union européenne ni à qui que ce soit, de s’immiscer dans notre politique étrangère« , a-t-il vertement prévenu, avant la prise de parole de Pompeo. En clair, la Hongrie n’a pas l’intention d’abandonner sa position diplomatique sur le fil du rasoir, notamment vis-à-vis de l’Ukraine. Brouillée avec Kiev en raison de sa loi linguistique, Budapest fait obstruction au rapprochement de l’Ukraine avec plusieurs instances internationales. « Le destin des 150 000 Hongrois vivant en Transcarpatie est important pour la Hongrie et, pour cette raison, il nous est impossible de considérer la situation en Ukraine comme un problème géopolitique« , a souligné M. Szijjártó. (Lire notre entretien Les Hongrois d’Ukraine, petit pion sur le grand échiquier).

L’étoile ternie des États-Unis en Europe centrale et orientale

Le chef de la diplomatie hongroise a catégoriquement rejeté les accusations sous-jacentes de non-loyauté. « La coopération de la Hongrie avec la Chine ou la Russie n’influence pas le fait que le pays est un allié fiable pour l’OTAN« , a-t-il assuré. Selon lui, les critiques sont « hypocrites » : « La part de la Hongrie dans les échanges commerciaux entre l’UE et la Chine est de 1,2 % et il est hypocrite de reprocher à la Hongrie de maintenir des relations étroites avec la Russie, alors que des accords commerciaux sont en train d’être conclus entre l’Europe occidentale et la Russie« , a-t-il déclaré. Il a aussi rappelé que, par comparaison, les États-Unis sont le deuxième investisseur en Hongrie.

L’Américain n’est pas reparti sans rien de Budapest toutefois. Les Hongrois devraient très prochainement signer l’accord militaire pour lequel ils ont trainé des pieds durant de mois, pour la plus grande irritation de Washington. Cet accord de coopération en matière de défense (DCA), permettra aux États-Unis de faire usage du territoire hongrois – dans des limites qui restent à préciser –, l’agrandissement de la base aérienne de Kecskemét, au centre du pays, avec l’aide des États-Unis, ainsi que l’achat d’un système de missile anti-aérien américain.

Après une visite éclair ce mardi à Bratislava en Slovaquie où il sera reçu le président Andrej Kiska, le Premier ministre Pellegrini et le ministre des Affaires étrangères, Miroslav Lajčák, Michael R. Pompeo prendra la direction de Varsovie. Chez l’allié polonais, il participera à la conférence controversée sur le Moyen-Orient qu’il a lui-même initiée.

Varsovie, hôte de la conférence controversée de Washington sur le Moyen-Orient

Corentin Léotard

Rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale

Journaliste, correspondant basé à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France, Mediapart).

×
You have free article(s) remaining. Subscribe for unlimited access.