Les dribbles de Viktor Orbán entre football, business et politique

Alors que le football hongrois jouit de financements démesurés et de stades flambants neufs depuis le retour de Viktor Orbán au pouvoir, la sélection hongroise peine à performer et aura du mal à se hisser parmi l’élite durant l’Euro 2020, dont quatre matches se disputeront à Budapest.

Même si l’équipe hongroise a peu de chance de se retrouver sur la pelouse du stade de Wembley le 11 juillet pour disputer la finale de l’Euro 2020, le Premier ministre Viktor Orbán ne devrait pas être mécontent du parcours de la Hongrie tant du point de vue sportif que politique, lui qui voit dans ce sport un moyen d’affirmer ses valeurs politiques et son pouvoir personnel. 

Grand fan du ballon rond au point d’avoir intégré une équipe amateur avant de se lancer en politique, voilà des années qu’il rêvait d’organiser une des grandes compétitions de football en Hongrie dont l’équipe nationale pointe seulement à la 37ème place du classement FIFA. Une manière de mêler sport et politique qui permettrait d’afficher aux yeux du monde sa politique « illibérale », et une bonne occasion d’offrir une nouvelle raison de fierté à ses concitoyens. « La nation hongroise est une nation footballistiquement intelligente, le football nous va bien », affirmait-il déjà en 2010 dans le quotidien Magyar Nemzet.

Les fantômes du « Onze d’or » et de Ferenc Puskás

S’appuyant sur un passé glorieux grâce à Ferenc Puskás, figure légendaire et capitaine du mythique « Onze d’or » hongrois qui fut finaliste de la coupe du monde en 1954, l’homme qui dirige d’une main de fer la Hongrie depuis onze ans a vu son vœu exaucé en 2012 lorsque Michel Platini, alors président de l’UEFA, a décidé d’organiser l’Euro 2020 dans onze villes européennes, dont Budapest.  

Dès lors, Viktor Orbán s’est lancé sans compter pour doter la Hongrie d’infrastructures sportives de haut niveau. Grâce à la manne financière versée par l’UEFA et les subventions de l’Union européenne (dont il tacle les moindres décisions…), il a fait construire et rénover pas moins de 32 stades à travers tout le territoire, le tout pour plus d’un milliard d’euros. Une démesure totale pour une population d’à peine 10 millions d’habitants qui a, de surcroît, entraîné corruption et conflits d’intérêts déjà très en cours dans le pays. « Quiconque veut se rapprocher d’Orbán essaie de le faire à travers le football », estime Attila Juhász, analyste chez Political Capital, dans une déclaration rapportée par le New York Times

« En Hongrie, le football relève de l’économie nationale, voire, pourrait-on dire, du projet de construction de la nation ».

« Le plus grand problème du football hongrois, c’est qu’il n’est pas question de football », écrit l’ancien journaliste d’Index Bence Jávor dans une tribune publiée en 2017. « En Hongrie, le football relève de l’économie nationale, voire, pourrait-on dire, du projet de construction de la nation », explique-t-il. « Pour rendre à notre peuple sa fierté perdue, pour qu’il puisse de nouveau marcher la tête haute, ses talentueux fils vont reconquérir le respect du monde entier sur la pelouse. »

La Puskás Aréna inaugurée en novembre 2019 à Budapest. Kiemelt Kormányzati Beruházások Központja Nonprofit Zrt. / CC BY-SA 4.0
La folie des grandeurs

La construction la plus emblématique reste le stade Ferenc Puskás de Budapest, construit à quelques encablures de la gare de l’Est (Keleti). Un vaste vaisseau ressemblant au stade de France qui peut contenir jusqu’à 65 000 personnes. Il accueillera quatre rencontres de l’Euro 2020 dont un Hongrie-France très attendu. Son coût : 142 milliards de forints (440 millions d’euros) dont une grande partie a atterri directement dans les poches du milliardaire Lőrinc Mészáros, ami d’enfance de Viktor Orbán. En quelques années, cet ancien chauffagiste est devenu le premier entrepreneur de BTP en Hongrie et l’homme le plus riche du pays. 

Une ascension qui a démarré au début des années 2010 avec le retour au pouvoir de Viktor Orbán. Dès son installation dans le fauteuil de Premier ministre, il décide de faire construire une « Pancho Arena » (Pancho étant le surnom de Puskas au Real Madrid)  à Felcsút… son village natal situé à une centaine de kilomètres de Budapest. Le stade est construit à une minute à pied de son domicile.  Hasard ? C’est l’entreprise de Lőrinc Mészáros qui a remporté un contrat de 3,8 milliards de Forints (près de 110 millions d’euros). Il faut dire qu’Orbán a vu grand. Bien que le village ne recense que 1 500 habitants, le stade a été conçu pour accueillir 3 814 spectateurs ! 

L’argent coule à flots. Selon les médias hongrois, la Puskas Akadémia qui a sa propre équipe, a reçu 190 millions d’euros via un fonds public de financement du sport. On y compte également, un centre formation de la future élite footballistique avec une sélection, chaque année, de 110 jeunes pensionnaires logés dans un château aménagé en internat. Sans oublier onze terrains d’entraînement chauffés pour la plupart, une école secondaire, une clinique ultramoderne, un espace de conférences et, bien sûr, un musée entièrement consacré à Puskas. Pour y accéder, un petit train fait la navette avec la petite gare la plus proche. Ce petit train qui circule le plus souvent à vide, aurait coûté la bagatelle de 18 millions d’euros, financée par l’Union européenne… 

En plus du soutien financier direct apporté en fanfare au football, ce sport bénéficie – comme beaucoup d’autres en Hongrie – d’une nouvelle fiscalité mise en place par le gouvernement d’Orbán. Grâce au système du « tao-támogatás », les entreprises peuvent choisir de reverser une partie de leur impôt sur les sociétés à des organismes sportifs, pas nécessairement professionnels. En d’autres termes, ces massifs transferts d’argent, estimés à au moins 1,2 milliard d’euros par le New York Times, bénéficient également au monde amateur. Transparency International Hungary, un observateur anticorruption, estime qu’entre 2011 et 2017, environ 13,5% de toutes les recettes fiscales des sociétés ont été redirigées vers le sport. Sur les six fédérations sportives, cinq sont dirigées par des responsables actuels et anciens du Fidesz, le parti de Viktor Orbán.

Un bilan peu glorieux

Alors, ces rentrées d’argent massives ont-elles permis de relancer le football hongrois, et en particulier son équipe nationale ? Depuis 2010 et la folie des grandeurs du Fidesz, difficile de trouver des résultats probants. La sélection nationale n’a plus participé à une coupe du monde depuis 1986, où elle n’était pas sortie des poules. Sa dernière qualification à un quart de finale en coupe du monde remonte à 1966.

Le bilan à l’Euro est encore moins glorieux : depuis cette demi-finale de 1972, la Hongrie n’en avait participé à aucun, jusqu’à celui de 2016 en France, le seul rayon de soleil de cette équipe nationale ces dernières années. La sélection magyare avait alors fait le choix d’un jeu ouvert et plaisant, qui lui permis de finir première de sa poule. Fidèle à leur plan de jeu, les Magyars n’ont pas fait le poids face à la Belgique, qui les a balayé 4-0. Malgré la lourdeur du score, cet Euro pouvait laisser augurer du mieux pour le foot hongrois. 

Las, la sélection a de nouveau manqué la coupe du monde 2018 organisée en Russie. Quant à l’Euro 2020, la présence de la Hongrie relève presque du miracle. C’est dans un match de repêchage contre l’Islande, celui de la dernière chance, que la Hongrie a décroché son ticket pour l’Euro grâce à un but marqué à la 88e par… Loïc Nego, un joueur français naturalisé hongrois. Celui qui avait joué en équipe de France U20 aux côtés d’Antoine Griezmann a sauvé sa patrie d’adoption d’un énième naufrage.

L’honneur est donc sauf. La Hongrie pourra se produire dans les stades flambants neufs construits par le Fidesz. Reporté d’un an en raison de la pandémie de Covid-19, l’Euro 2020 sera au-dessus des lois sanitaires en Hongrie. Durant les quatre matches qui se disputeront à Budapest, les supporters munis de leurs billets pourront se rendre dans les bars, restaurants et bains sans le pass sanitaire pourtant obligatoire pour les résidents. En plus, la Puskás Arena pourra être remplie à plus de 80 % sans l’exigence d’un test négatif. Entre foot, business et politique, Orbán reste le roi du dribble !

Le média en ligne Index a dressé une liste des constructions ou projet de rénovations les plus marquantes de ces dix dernières années.
  • Dès 2010, le gouvernement Orbán a décidé d’un soutien exceptionnel à la construction de stades à Debrecen et Felcsút. Le Programme national de développement des stades a été lancé en 2014 avec un budget total d’environ 265 millions d’euros.
  • Le 21 avril 2014, la Pancho Aréna est inaugurée. Coût total : 12 millions d’euros. Initialement prévu pour 2012, le stade Nagyerdei de Debrecen a été inauguré en 2014, pour un coût total de 45 millions d’euros.
  • A l’époque, le stade le plus coûteux a été la Groupama Aréna. Le club de football de Ferencváros en a pris possession en août 2014. Coût : environ 63 millions d’euros.
  • Rénovation du stade de Tiszaligeti à Szolnok (8 millions d’euros), nouveau stade construit à Gyirmót (3 millions d’euros), à Mezőkövesd (4 millions d’euros).
  • Nouveau stade construit à Budapest en octobre 2016. Le stade MTK peut accueillir 5500 personnes et a coûté 20 millions d’euros. Lors de l’inauguration, Viktor Orbán a été hué.
  • En octobre 2017, le nouveau stade Haladás a été inauguré, pour un coût total de 50 millions d’euros.
  • En 2018, le club de football de Székesfehérvár (Videoton) a inauguré son nouveau stade construit pour 45 millions d’euros. Nouveau stade également pour Diósgyőr, pour 25 millions d’euros.
  • 2019 : inauguration du nouveau stade du club de Vasas (coût : 28 millions d’euros). Le club de Budapest Honvéd a commencé les travaux de son nouveau stade, d’une capacité de 8000 personnes, pour coût total de 35 millions d’euros.
  • Novembre 2019 : inauguration du stade Ferenc Puskás, construit par l’entreprise de Lőrinc Mészáros. Coût total estimé : 440 millions d’euros.
Daniel Psenny

Journaliste, ex-« Le Monde ».

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