Katalin Novák est intervenue samedi dernier devant le « World Congress of Families » à Vérone, en Italie. Comme le révèle une enquête d’openDemocracy, ce réseau compte un chapelet d’organisations chrétiennes fondamentalistes liées à l’administration Trump, à Steve Bannon et à des oligarques russes, lesquelles ont injecté au moins 51 millions de dollars entre 2008 et 2017 dans des organisations européennes d’extrême droite.
Article publié le 29 mars 2019 dans Mérce sous le titre « Amerikai fundamentalisták támogathatják a Fideszt és a szélsőjobboldalt az EP-választásokon ». Traduit du hongrois et adapté par Ludovic Lepeltier-Kutasi. |
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Les élections européennes 2019 vues par Le Courrier des Balkans et Le Courrier d’Europe centrale |
C’est une affaire connue : Katalin Novák, la secrétaire d’État hongroise aux affaires sociales et familiales, est plusieurs fois intervenue lors des forums européens du réseau homophobe « World Congress of Families » (WCF), considéré comme un « groupe de haine » par le Southern Poverty Law Center [une association américaine qui surveille les activités de l’extrême droite – Ndlr.]. C’est même lors d’une de ces conférences à Budapest en 2017 que Viktor Orbán avait encouragé le développement de l’axe illibéral « Rome-Varsovie ».
Les éléments publiés jeudi dernier par openDemocracy montrent également que les cercles ultra-conservateurs et néo-évangéliques qui soutiennent Donald Trump financent à coups de milliards de dollars les gouvernements hongrois, polonais et italien, ainsi que plusieurs mouvements fascistes et d’extrême-droite d’Europe de l’Ouest, afin de les aider à atteindre le meilleur score possible aux prochaines élections européennes.
Le réseau World Congress of Families est le moteur de cette force de lobbying, qui est restée discrète jusqu’ici. Il chapeaute beaucoup d’argent, d’événements, de forums et de discussions. Les ONG états-uniennes étant tenues de divulguer le montant annuel de leurs dépenses à l’étranger, le média d’investigation openDemocracy a pu estimer à 51 millions de dollars le montant des « fonds de campagne invisibles » alloués depuis 2008 aux extrêmes droites en Europe.
Ce montant est sans doute en-deçà de la réalité, car les organisations religieuses – déjà exemptées d’impôts – ne sont pas soumises comme les ONG à ce devoir de transparence. Par conséquent, beaucoup « d’argent sale » a pu transiter par ce biais en Europe.
La majorité de ces fonds a participé à financer des campagnes en faveur des « valeurs familiales » visant à limiter l’éducation sexuelle, à restreindre sévèrement les droits des personnes gaies, lesbiennes et bisexuelles, ou encore à interdire l’avortement le plus largement possible en Europe. L’objectif général étant que ces positions soient reprises par le maximum de mouvements ou de gouvernements européens d’extrême droite.
Les ambitions contrariées de Steve Bannon en Europe centrale
Un des autres objectifs est de permettre aux institutions confessionnelles chrétiennes de gagner un maximum d’influence au sein de ces États.
L’un des plus généreux donateurs ultraconservateurs n’est autre que Jay Sekulow, l’avocat personnel du président Donald Trump, et l’un des mécènes du nouvel « institut » de Steve Bannon basé à Rome. Plusieurs de ces bailleurs de fonds entretiennent des relations étroites avec les fondations de Charles et David Koch, les célèbres milliardaires états-uniens partisans d’un capitalisme fondamentaliste. Les frères Koch avaient également financé le courant républicain du Tea Party, favorable au démantèlement des États et à la suppression des impôts pour les riches.
OpenDemocracy a trouvé pas moins d’une douzaine d’organisations fondamentalistes chrétiennes états-uniennes qui, au cours des onze dernières années, ont financé une armada d’avocats, de militants politiques, de chefs de gouvernement, de ministres et même de figures religieuses, afin d’étendre leur influence en Europe.

L’un des plus importants contributeurs, la Billy Graham Foundation, nommée en l’honneur du prédicateur baptiste anticommuniste, est présidé par le fils du fondateur, Franklin Graham, bien plus à droite que son père. Selon openDemocracy, Franklin Graham est lié à la fois au président Trump et au Kremlin. Pour cet évangéliste, le mariage homosexuel serait « un plan de Satan » contre l’humanité, et se dit prêt à investir tout son argent pour le mettre en échec.
Graham a déjà dépeint Trump en « protecteur de la foi chrétienne » et en sauveur face à « l’islam satanique et pervers ». Récemment, il a également rencontré des membres du gouvernement de Vladimir Poutine, pourtant blackslistés aux États-Unis, en expliquant quelques temps après que ce voyage à Moscou avait reçu l’aval spécial du vice-président Mike Pence. Franklin Graham n’avait en revanche pas jugé bon de révéler le contenu des échanges avec les Russes.
Des conférences « pour la protection de la famille » et contre les droits des homosexuels et l’avortement
Dans la seconde partie de l’enquête, les journalistes d’openDemocracy ont également découvert qu’une grande partie de cet argent était allouée par les fondamentalistes religieux états-uniens via le réseau World Congress of Families. Son dernier forum en date s’est tenu ce week-end à Vérone, en Italie, à quelques mois des élections européennes, en présence de la secrétaire d’État, Katalin Novák. […]
Alors que l’extrême droite aime répéter à qui veut l’entendre que ses initiatives « viennent du peuple », la WCF a compté dans son réseau plus ou moins secret quelques sept cardinaux du Vatican, de nombreux aristocrates européens, des milliardaires et des dirigeants politiques.
Les sources citées par openDemocracy évoquent ces conférences comme « des lieux où l’extrême droite peut rencontrer des fondamentalistes religieux et imaginer des campagnes ciblant les droits fondamentaux des femmes, des enfants et des minorités sexuelles ».
Le lecteur hongrois aura vite remarqué que les thèmes principaux promus par la WCF dans ses activités de lobbying est la « famille chrétienne traditionnelle » et l’enfantement comme tâche sociale « traditionnelle » dévolue aux femmes. Le gouvernement hongrois a d’ailleurs à plusieurs reprises rendu la pareille, que ce soit à travers « l’année des familles » décrétée en 2018 par Katalin Novák, par ailleurs très active lors de ces conférences, ou à travers « le plan d’action pour la protection de la famille » lancé en février dernier par Viktor Orbán.
Problème, cette « politique favorable à la famille », à première vue innocente, cache en réalité les objectifs des donateurs milliardaires qui financent la WCF, au premier rang desquels figurent l’abolition [ou l’interdiction – Ndlr.] du partenariat entre homosexuels, ou encore la restriction voire l’interdiction de l’avortement.

Selon le décompte réalisé par openDemocracy, Katalin Novák ne serait pas la seule membre du gouvernement hongrois adepte de ces conférences. Depuis 2017, douze ministres ou secrétaires d’État ont ainsi participé aux raouts de la WCF, dont László Palkovics – ministre de l’Innovation -, Zoltán Maruzsa – secrétaire d’État à l’Education nationale -, Zoltán Balog – ancien ministre des Ressources humaines -, ou encore les anciens secrétaires d’État Miklós Soltész et Attila Fülöp.
Des membres éminents du parti d’extrême droite italien de Matteo Salvini, des rejetons de la noblesse espagnole et portugaise ayant soutenu les dictatures militaires de Franco et Salazar, ainsi que le secrétaire aux Affaires étrangères du Vatican, ont aussi été vus à plusieurs reprises lors de ces rassemblements.
L’organisation s’est aussi donnée pour mission de contrer l’éducation sexuelle dans sa version laïque et européenne. Une mission portée ces derniers temps en Hongrie par la députée Dóra Dúró de « Notre patrie », un parti censé être d’opposition, mais qui a les faveurs des médias gouvernementaux. Elle a proposé la suppression des heures d’éducation sexuelle, au motif qu’elles pourraient « apprendre aux enfants à être homosexuels ».
Les auteurs de l’enquête d’openDemocracy ont interpellé le Parlement européen sur la conférence WCF et ses participants. Plusieurs eurodéputés ont jugé « choquantes » les révélations de l’article quant à une ingérence de l’extrême droite états-unienne dans la politique européenne. Quarante d’entre eux ont même demandé au Commissaire européen à la transparence – le socialiste néerlandais Frans Timmermans – d’examiner immédiatement la situation financière et l’influence de ces organisations sur les élections de mai prochain.
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