Un rassemblement a eu lieu vendredi dernier en fin d’après-midi devant l’Académie hongroise des sciences, sur le bord du Danube à Budapest. L’objet de l’initiative : protester contre le projet de centralisation des crédits alloués à la recherche publique, qui a été dévoilé en milieu de semaine dernière par le gouvernement.
Vendredi après-midi, chercheurs, étudiants, universitaires et politiciens se sont réunis devant la prestigieuse Académie hongroise des sciences (MTA) à Budapest, pour protester contre un projet de centralisation des crédits alloués à la recherche publique. Dévoilé en milieu de semaine dernière, le plan du gouvernement hongrois viserait à mettre sous tutelle ministérielle l’important réseau d’instituts de recherche actuellement gérés par la MTA.
Symbole bien connu des très nombreuses manifestations anti-gouvernementales depuis 2010, les drapeaux étoilés européens s’agitent au bord du Danube. Dans la foule compacte des chercheurs et salariés de l’Académie, l’on s’inquiète de la reprise en main politique de la recherche en Hongrie, ainsi que de la caporalisation d’une institution ayant échappé jusqu’à présent aux différents remodelages des organismes d’État qui ont bouleversé depuis huit ans les secteurs éducatif et judiciaire notamment. Ce projet survient dans un contexte d’hostilité du pouvoir envers les sciences sociales, comme l’ont montré les attaques répétées contre l’Université d’Europe centrale (CEU) depuis un an ou encore contre les recherches sur les migrations ou sur le genre.
« Ici, la situation politique devient de plus en plus compliquée », déplore Zoltán Gábor Szűcs, qui était présent lors du rassemblement. Pour ce politologue et chercheur à l’Académie hongroise des sciences, la glissade autoritaire qui s’opère depuis 2010 dans son pays lui complique bien son travail, et l’oblige à composer avec de nouveaux obstacles.
« Nous devons garder une certaine objectivité, mais dans la situation actuelle, c’est plutôt difficile », déplore-t-il. Cette centralisation, croit Zoltán, constituerait une réel affront à l’endroit de la recherche indépendante et un nouveau coup porté contre la démocratie. Selon lui, le projet gouvernemental « est une attaque à l’endroit des libertés académiques et scientifiques ».
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Mais même avec un tel climat politique, pas question de partir. « J’ai la profonde obligation de rester ici en Hongrie et de m’opposer aux politiques oppressives du gouvernement de Viktor Orbán », soutient également le chercheur. Les membres de l’institution doivent continuer à mettre en avant le respect des principes de droits fondamentaux et constitutionnels qui préserveront l’Académie, selon lui. « Aussi longtemps que je le pourrai, je travaillerai ici. »
Or, avec sa supermajorité réélue en avril, difficile de dire ce qui pourra arrêter le travail de sape du régime Orbán à l’endroit des organisations indépendantes en Hongrie. Une législation venant criminaliser l’aide aux migrants et portant le nom du philanthrope américain George Soros — accusé de comploter contre la Hongrie — a été adoptée au Parlement mardi dernier. « Le gouvernement a maintenant toutes les cartes en main pour poursuivre sa dérive autoritaire » craint-il. « Mais il faut résister. »
« Ici, le pays est conduit par la haine »
Plus loin, quelques jeunes se tiennent près de la scène, où les discours résonnent dans les haut-parleurs installés tout près. Ils arborent fièrement une veste mauve, couleur du parti politique Momentum ayant organisé le rassemblement en soutien à l’Académie.
Gábor Barnabás, membre de l’aile jeunesse du parti, s’inquiète lui aussi que le gouvernement hongrois ne sabote le travail des chercheurs qui, insiste-t-il, « constitue le moteur de l’évolution humaine. » Et cette menace fait craindre au lycéen une vague de départ de membres. « Et s’ils partent, la Hongrie ne pourra jamais changer. Ce serait dommageable pour notre pays », déplore-t-il.
Son camarade, Soma Szabó, pancarte à la main, affiche lui aussi l’épinglette du parti centriste pour lequel il milite. Dans quelques années, il aspire à étudier à l’Université d’Europe Centrale — la même institution américaine qui risque de devoir fermer ses portes et quitter le sol hongrois, depuis qu’une législation sur l’éducation supérieure a été votée en avril 2017. « Je veux rester ici, en Hongrie, et y étudier. Je veux faire partie de ceux qui contestent et expriment leurs idées face au régime en place. Et je n’ai pas peur de mes opinions », s’anime le jeune étudiant.
Mais à l’instar de la situation dans laquelle est empêtrée l’Académie hongroise des sciences, Soma redoute que « le climat politique actuel instauré par Orbán ne transforme notre système d’éducation. »
Gáspár Zalán, présent lui aussi lors de la manifestation, abonde dans le même sens. Selon lui, les récentes politiques du gouvernement ne représentent « qu’un premier pas » vers l’étatisation du savoir en Hongrie. « Et c’est la haine qui conduit ce pays », se désole le jeune québéco-hongrois. Compte-t-il quitter la Hongrie et éventuellement poursuivre ses études au Canada, dont il possède également la nationalité ? « Il y a une semaine, j’aurais pensé que j’étudierai à l’université ici en Hongrie, parce que j’ai envie de rester ici. La Hongrie, c’est ma maison. »
Sauf que maintenant, dit-il, avec ce nouvel affront à l’endroit de l’Académie, « ils vont peut-être commencer à fermer les universités. Et j’ai une crainte quant à mon avenir d’étudiant ici, c’est certain. »
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