Un ‘like’ sur Facebook et la couleur d’un blouson. Voilà ce qui a suffi à la police hongroise pour détenir une activiste de gauche pendant deux semaines. De façon que les médias pro-gouvernementaux d’extrême-droite se déchaînent contre l’activiste, l’« ultra-gauche » et la « terreur Antifa ».

« Personne ne devrait être détenu avec si peu de preuves », a déclaré Dr. Erzsébet Kadlót, l’avocate de l’activiste soupçonnée d’avoir participé à des actes de violence contre des néo-nazis rassemblés à Budapest au début du mois de février à l’occasion du ‘Jour de l’honneur’ célébré annuellement par des néo-nazis hongrois et européens.
Selon les éléments disponibles révélés par la défense, l’activiste Krisztina D. a été arrêtée par la police anti-terroriste à son domicile tout simplement parce qu’elle aurait un blouson de la même couleur qu’une des suspects apparaissant dans les images de vidéo-surveillance et qu’elle aurait ‘liké’ l’événement Facebook de la contre-manifestation antifasciste. Son appartenance au mouvement politique de gauche Szikra (‘Étincelle’) a peut-être aussi motivé son arrestation.
Des preuves extrêmement ténues
Avant l’audience sur la mise en détention, la défense n’a eu accès qu’à des images en noir et blanc des caméras de surveillance, ce qui ne permet même pas de se prononcer sur une possible ressemblance vestimentaire. De plus, maître Kadlót rappelle que sa cliente a un alibi.
Alors qu’un militant antifasciste allemand est en détention en Hongrie et que la justice allemande recherche sept autres militants allemands qui auraient été impliqués dans les événements de Budapest, il n’est pas clair comment Krisztina D. pourrait être liée à ces groupes, puisqu’aucune connexion n’a été établi et qu’elle ne parle aucune langue étrangère.
Krisztina D. a été libérée après près de deux semaines de détention, après que son avocate a fait appel de la mise en détention. Elle reste cependant incriminée et elle se dit sous le choc de ce qui lui est arrivé. En plus de devoir se remettre de sa détention, son identité a été étalée dans les médias, qui la présentent comme une violente extrémiste.
L’avocate affirme n’avoir vu une demande de détention préventive accordée sur la base d’un dossier aussi peu étoffé que trois fois en près de quarante ans de métier. « Du point de vue du droit pénal, c’est un non-sens complet », a-t-elle ajouté dans un entretien au vlog de gauche Partizán, tout en évitant de se prononcer sur un possible motif politique de la part de la police et de la justice.
Campagne de dénigrement
Outre les mesures disproportionnées prises envers Krisztina D., le fait que les autorités aient rapidement fait fuiter des informations sur l’identité de la suspecte aux médias pro-gouvernementaux et d’extrême-droite, et que ceux-ci se lancent dans une campagne de dénigrement et dans une chasse aux sorcières contre « l’ultra-gauche », laisse entrevoir un motif politique.
En plus d’attaquer l’activiste Krisztina D., des caricatures et des articles à caractère antisémite ont visé le mouvement Szikra et son seul député, András Jámbor, d’origine juive. Le mouvement ne faisait pas partie des organisateurs de la contre-manifestation et se distancie de toute violence, mais la presse pro-Orbán n’en a cure.
Le plus grand quotidien d’information Magyar Nemzet, l’un des sites d’information les plus visités Origo ou encore la télévision privée Hír TV ont tous trois pris part à la campagne de diffamation. Ces trois médias font partie de la Fondation de la presse et des médias d’Europe centrale (Közép-Európai Sajtó és Média Alapítvány, KESMA) qui rassemble plus de 400 médias contrôlés par des oligarques proche de Viktor Orbán et coordonne la communication du régime. Selon un rapport commandé par le Parlement européen en 2019, le régime Orbán contrôle près de 78 % du marché des médias.
Grand rassemblement néo-nazi
Le ‘Jour de l’honneur’ est célébré annuellement par des néo-nazis le 11 février à Budapest depuis 1997, en mémoire des forces de la SS allemande et de leurs collaborateurs hongrois qui ont effectué une sortie de Buda encerclée par les forces soviétiques en 1945. Le groupe hongrois a l’origine de la commémoration était affilié au réseau néo-nazi Blood & Honour (Sang et honneur) et l’un des fondateurs de l’événement, István Győrkös, a été condamné à la prison à vie pour le meurtre d’un policier en 2016.
En plus de la manifestation qui attire quelques centaines de néo-nazis hongrois et de divers pays européens, un plus grand nombre de militants d’extrême-droite et de sympathisants effectuent une marche dans les collines de Buda, souvent déguisés en uniformes allemands et hongrois de la Seconde Guerre mondiale, dont des uniformes de la SS. En 2020, le média d’investigation hongrois Átlátszó révélait que le gouvernement hongrois avait octroyé des fonds à plusieurs organisations se trouvant derrière la ‘randonnée’.
Des actes de violence contre manifestants ou contre-manifestants ont déjà eu lieu lors des éditions précédentes, mais ceux de 2023 ont été d’une plus grande brutalité. Selon la police et les médias, ce sont surtout des militants venus de l’étranger qui auraient été impliqués du côté des antifascistes. Quant à l’extrême-droite hongroise, elle a été impliquée dans plusieurs actes de violence graves, mais aucun de ses militants n’a été placé en détention.