Législatives en Autriche : tour d’horizon des candidats et des enjeux

Les électeurs autrichiens sont appelés à voter dimanche pour renouveler la composition de leur parlement. Donné ultra-favori par tous les sondages, l’ex-chancelier conservateur Sebastian Kurz devrait être en situation de former un nouveau gouvernement. Mais avec quels alliés ?

Le renouvellement du « Conseil national » (Nationalrat), le parlement autrichien, aurait dû avoir lieu en 2022, cinq ans après les élections législatives d’octobre 2017. « L’Ibiza-Affäre » et sa violente déflagration sur la vie politique autrichienne en ont décidé autrement. Au printemps dernier, la révélation d’une vidéo dans laquelle le numéro 2 du gouvernement Heinz-Christian Strache évoquait ouvertement la face sombre de la stratégie d’influence de son parti FPÖ, a provoqué l’éclatement de l’alliance entre la formation d’extrême droite et les conservateurs de l’ÖVP, et contraint le chancelier Sebastian Kurz à la tenue d’élections anticipées.

Le scrutin à un tour a lieu ce dimanche. Voici un tour d’horizon des différents candidats au poste de chancelier ainsi qu’un résumé des rapports de force en présence.

Sebastian Kurz, l’homme qui marche sur l’eau

Né le 27 août 1986 à Vienne, Sebastian Kurz est devenu il y a deux ans le plus jeune chancelier d’Autriche. Ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement de grande coalition dirigé par le social-démocrate Christian Kern, il provoque des élections anticipées en mai 2017 et mène la campagne victorieuse de sa formation, le Parti populaire autrichien (ÖVP) en octobre de la même année. Relookée sous le concept de « Nouveau parti populaire », la droite autrichienne enregistre au passage son meilleur score depuis 2006 – 31,5%. Ce malgré le score très élevé -26% – du Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ), son concurrent d’extrême droite.

Sebastian Kurz en novembre 2018 au congrès du Parti populaire européen (PPE) à Helsinki – Crédits : PPE/Wikimedia Commons

La « coalition turquoise-bleue » réunissant l’ÖVP et le FPÖ mène alors une politique hostile à « l’islam politique radicalisé » qui vise principalement des imams turcs, dénoncée par Ankara et soutenue par l’opposition sociale-démocrate. Sans surprise, l’alliance de la droite et de l’extrême droite durcit la politique d’asile de l’Autriche, un tournant amorcé au printemps 2016 par la gauche au pouvoir, sous la pression d’une opinion publique marquée par la crise des réfugiés de l’été 2015. Sur le plan économique et social, le mandat de M. Kurz est marqué par le vote en juillet 2018 d’une loi sur l’allongement et la flexibilisation du temps de travail très favorable aux milieux économiques et qui entraîne dans la foulée un important mouvement social.

Décrit comme un fin stratège passé maître dans l’art de sa communication personnelle, Sebastian Kurz manœuvre pendant deux ans pour siphonner avec méthode son allié gouvernemental. Sur le plan international par exemple, alors que de nombreux signaux indiquent un rapprochement politique entre l’Autriche et la Hongrie, les troupes du chancelier autrichien font défaut au premier ministre Viktor Orbán lors du vote en faveur du rapport Sargentini en septembre 2018. Dans la foulée, Vienne annonce même accueillir le campus principal de l’Université d’Europe centrale, malmenée par Budapest en raison de l’inimitié entre le chef de gouvernement hongrois et l’homme d’affaires George Soros.

En mai dernier, M. Kurz parvient à tourner à son avantage la fin brutale de sa lune de miel politique avec son vice-chancelier et numéro un du FPÖ Heinz-Christian Strache pris dans la tourmente de « l’Ibiza Affäre ». L’éclatement de la « coalition turquoise-bleue » lui permet de prendre ses distances avec le parti d’extrême droite, contraignant son nouveau chef de file Norbert Hofer à lisser davantage son image.

Comme en 2017, Sebastian Kurz a mené une campagne de proximité, sillonnant le pays avec un bus siglé de son slogan « Auf. Takt. Tour » (jeu de mots autour de « tour de chauffe ») et multipliant les contacts directs avec ses électeurs. Le « roi du selfie », comme l’a surnommé le quotidien conservateur Die Presse, a réussi à contourner les embûches des derniers mois avec une facilité déconcertante. Les soupçons sur une double comptabilité de l’ÖVP ? « Des allégations reposant sur une attaque informatique à grande échelle ! » La reconduction d’une alliance avec l’extrême droite ? « Pourquoi pas, mais je suis ouvert à tous les scénarios »…

Crédité de près de 35% des voix dans les derniers sondages pré-électoraux, l’ÖVP de Sebastian Kurz distance très nettement l’ensemble des autres formations, condamnant le SPÖ à un duel avec le FPÖ pour la deuxième marche du podium.

Pamela Rendi-Wagner, « l’humaniste »

Qui de mieux qu’une médecin pour incarner le tournant « humaniste » du vieux Parti social-démocrate d’Autriche (SPÖ) ? Née en 1971 à Vienne, Joy Pamela Wagner a passé son enfance à Favoriten, le quartier populaire et cosmopolite de la capitale autrichienne, élevée seule par sa mère, enseignante en école maternelle.

Pamela Rendi-Wagner le 1er mai 2019, lors de la fête du travail – Crédits : SPÖ/Wikimedia Commons

Diplômée de l’Université de Vienne et de la London School of Hygiene et Tropical medicine, elle entame une carrière de chercheuse en infectiologie et se distingue dans les années 2000 par la mise en place d’un réseau de surveillance épidémiologique complète des maladies infectieuses. En 2011, elle entre en politique par la petite porte en intégrant la commission des Affaires de la santé publique et médicale du ministère fédéral de la Santé.

« Oui, j’aime les gens »

Le président de la république Alexander Van der Bellen l’appelle au gouvernement le 8 mars 2017 suite au décès de sa ministre de tutelle, la sociale-démocrate Sabine Oberhauser. Adhérente de très fraîche date du SPÖ, Pamela Rendi-Wagner en gravit très rapidement les échelons, au point d’être désignée par Christian Kern comme sa successeure à la présidence du parti. Le 24 novembre 2018, Mme Rendi-Wagner devient ainsi la première femme à diriger les Roten et, du même coup, la première femme en position de devenir chancelière fédérale d’Autriche.

« Oui j’aime les gens. Je crois que je pourrais m’en tenir à ces propos », déclare-t-elle en guise de profession de foi, lors du lancement de sa campagne le 14 juillet dernier. Son slogan, comportant l’expression « Faire du bien à l’Autriche », fige parfaitement son positionnement à gauche : à distance des politiques redistributives trop ambitieuses et dans la parfaite lignée d’une sociale-démocratie de la sollicitude, du « care », très axée sur l’amélioration des conditions de vie et la défense des services publics de proximité.

A la peine dans les sondages, la liste du SPÖ n’est pas parvenue à combler la distance avec son rival historique, l’ÖVP. Si tout va bien demain, la formation de gauche devrait éviter l’humiliation d’une troisième place derrière l’extrême droite. Avec 22% des intentions de vote, les Roten rêvent de former une coalition avec les centristes de Neos (donnés à 8%) et les Verts (près de 12%). Cela ne suffira sans doute pas pour réunir un gouvernement majoritaire.

Norbert Hofer, le visage affable de l’extrême droite

Il s’en est fallu de très peu pour que Norbert Hofer devienne en mai 2016 le premier président de la République autrichien d’extrême droite : quelques 30 000 voix – soit la population d’un arrondissement viennois. Après avoir réussi à faire annuler un second tour très serré et qui avait tourné en faveur de son rival écologiste Alexander Van der Bellen, le candidat du FPÖ a finalement été battu encore plus sèchement le 4 décembre suivant, avec cette fois 348 000 voix de retard.

Né en 1971 à Vorau (Styrie) d’un père directeur d’une essencerie et d’une mère au foyer, Norbert Hofer passe toute son enfance à Pinkafeld, une petite bourgade du Burgenland située à quelques encablures de la frontière hongroise. Converti au protestantisme en raison des positions « de gauche » de l’église catholique, il adhère au FPÖ en 1994, parti dont il gravit ensuite patiemment les échelons jusqu’à en rédiger le programme en 2011. A l’instar de son idole hongroise Viktor Orbán, M. Hofer est un admirateur de Margaret Thatcher et de Charles de Gaulle, à l’aise avec les mesures néolibérales de la première et la vision de « l’Europe des nations » du second.

Personnalité affable, jouissant d’une grande popularité auprès de l’électorat provincial, Norbet Hofer est presque parvenu à faire oublier « l’Ibiza Affäre » et surtout son ancien comparse Heinz-Christian Strache. Conscient de la nécessité d’adoucir l’image du FPÖ auprès de l’opinion publique et de donner des gages à son anciens partenaire de coalition, M. Hofer a construit une partie de sa campagne sur la défense du bilan de la coalition « turquoise-bleue ». Dans une vidéo décalée mise en ligne sur YouTube, le candidat d’extrême droite est allé jusqu’à mettre en scène la thérapie de couple qu’il mène avec son ancien allié.

 

Il sera néanmoins difficile pour M. Hofer de rééditer l’exploit de 2017, lorsque son parti avait recueilli un peu plus de 25% des suffrages. Selon les derniers sondages, le FPÖ devrait se hisser à la troisième place du podium, avec un score attendu autour de 20%.

Les Verts devraient remporter la bataille des « petits partis »

Déchirés par des conflits internes en 2017, les Verts – die Grünen – avaient quasiment disparu du paysage politique autrichien, à rebours des autres pays occidentaux où les partis écologistes engrangent de nombreux succès électoraux. Ils s’étaient faits en partie vampirisés par un des leurs : Peter Pilz, qui avait fait dissidence en raison de désaccords avec la direction du parti et qui prônait une stratégie populiste de gauche pour les élections législatives.

Ragaillardis par le crash de cet encombrant rival – accusé de harcèlement sexuel en novembre 2017 – et bénéficiant à plein des récentes mobilisations pour le climat, les Verts devraient cette fois faire un score à deux chiffres, selon les derniers sondages qui les placent autour de 12%. « La tentative de Werner Kogler – leur chef de file, ndlr – d’exonérer son parti du soupçon d’arrogance morale et de l’adapter au match a été un succès », estime le journaliste Thomas Prior, dans Die Presse. Recyclée sous le nom « Jetzt », l’ancienne « Liste Pilz » est donnée bonne dernière avec 1,8% des voix, un score insuffisant pour entrer au parlement.

La remontada des Verts ces derniers mois s’est faite principalement aux détriments du petit parti libéral Neos, longtemps à la quatrième place dans les classements de popularité. Située au centre, sur le flanc gauche de l’ÖVP, sa tête de liste Beate Meinl-Reisinger n’a pas réussi à attirer à elle les voix des conservateurs modérés. Neos devrait finir un peu en-dessous des 10% de suffrages exprimés.

Un scrutin complexe

Le Conseil national est composée de 183 sièges dont les députés – et leurs remplaçants – sont élus pour cinq ans selon un mode de scrutin proportionnel. Sur la base des résultats de chaque parti au niveau national, les députés sont sélectionnés selon un système complexe de listes à plusieurs niveaux : fédéral, celui des neuf Länder (équivalent des régions) et enfin celui des 39 circonscriptions électorales.

Le seuil minimum de voix exigé d’un parti pour obtenir une représentation au parlement est fixé à 4 % ou un siège d’une circonscription régionale. La clé de répartition proportionnelle se fait à la méthode de Hare au niveau régional puis d’Hondt au niveau fédéral. Comme le rappelle la notice qu’y consacre Wikipedia : « Bien que les listes soit bloquées, interdisant l’ajout de noms n’y figurant pas, les électeurs ont la possibilité d’exprimer une préférence pour un maximum de trois candidats, permettant à ces derniers d’être placés en tête de liste pour peu qu’ils totalisent un minimum de 14 %, 10 % ou 7 % des voix respectivement aux niveaux régional, des Länder, et fédéral. » Le vote, non obligatoire, est possible à partir de l’âge de 16 ans.

Ludovic Lepeltier-Kutasi

Journaliste, correspondant à Budapest. Ancien directeur de publication et membre de la rédaction du Courrier d'Europe centrale (2016-2020) et ancien directeur de la collection "L'Europe excentrée" (2018-2020).

×
You have free article(s) remaining. Subscribe for unlimited access.