L’écrivain Imre Kertész évincé des programmes scolaires en Hongrie

A la rentrée scolaire 2020-2021, les élèves hongrois devront étudier obligatoirement l’œuvre de l’écrivain pro-nazi József Nyirő, tandis que celle du prix Nobel de littérature, Imre Kertész, ne sera même plus recommandée. L’association des professeurs de hongrois est vent debout contre le nouveau socle commun de connaissances qui fait la part belle à l’entre-deux guerres.

Le « combat culturel » par lequel le gouvernement cherche à réhabiliter la droite de l’entre-deux guerres se poursuit et s’intensifie dans les écoles. Le ministère des Ressources humaines a publié le 31 janvier le nouveau socle commun de connaissances des programmes scolaires qui entreront en vigueur à la rentrée de septembre. L’association des professeurs de hongrois et son président László Arató ont vivement réagi, publiant une lettre ouverte demandant son retrait.

Premièrement, parce qu’il prévoit une réduction du nombre d’heures de cours de langue et de littérature hongroise au collège et au lycée, tout en augmentant de 30 % la charge de connaissances à acquérir. Mais c’est surtout en raison de son contenu idéologique que les professeurs de hongrois ont réagi. En effet, les nouveaux programmes réservent une place de choix aux écrivains nationalistes et conservateurs de l’entre-deux guerre.

József Nyirő propulsé au rang d’écrivain « obligatoire »

Les programmes modifiés en 2012 avaient déjà suscité l’émoi en faisant apparaître les auteurs transylvaniens Albert Wass et József Nyirő dans les auteurs « recommandés ». Cette fois, le gouvernement de Viktor Orbán franchi une nouvelle étape en rendant « obligatoires » ces deux auteurs qui ont marqué la période du Horthysme. Ils seront donc désormais étudiés au même rang que des auteurs tels que Magda Szabó, Agatha Christie, George Orwell et Bohumil Hrabal.

József Nyirő avait été membre du parti pro-nazi des Croix-Fléchées et de la Ligue des écrivains européens (Europäische Schriftstellervereinigung) fondée par Joseph Goebbels. En 2012, l’écrivain américain et lauréat du prix Nobel de la paix d’origine hongroise Elie Wiesel avait répudié la plus haute distinction de la République de Hongrie, en signe de protestation contre sa rréhabilitation et celle de « figures qui ont collaboré fortement avec le régime fasciste pendant la guerre ».

Le nom de Ferenc Herczeg fait aussi son apparition dans la liste des écrivains obligatoires. Né en 1863 dans un territoire de l’Empire austro-hongrois qui serait arraché au Royaume de Hongrie par le traité de Trianon en 1920, aujourd’hui en Serbie, il était l’écrivain le plus mis en avant sous le régime irrédentiste de Miklós Horthy. L’Académie des sciences en a fait son candidat au prix Nobel de littérature trois ans de suite dans les années qui ont suivi le Traité de Trianon (1925-1927). Mieux, Ferenc Herczeg comptera parmi la liste rallongée des dix auteurs dont il faut connaître le curriculum, aux côtés de Petőfi, Arány, Ady, Babits, Kosztolányi ou encore Attila József. C’est un honneur que n’ont ni Zsigmond Móricz ni Miklós Rádnóti, par exemple.

A l’opposé, Imre Kertész qui, lui, a décroché le Nobel de Littérature en 2002 pour son livre « Être sans destin », tiré de  son expérience concentrationnaire à Auschwitz, a disparu des auteurs « recommandés » par le ministère de l’Education nationale.

László Arató déplore que le prochain socle commun de connaissances sera beaucoup plus dirigiste que l’actuel : 80 % des cours lui seront consacrés, ce qui laisse une marge de manœuvre minime aux enseignants. Il est donc possible d’affirmer que les jeunes hongrois sortiront de l’école en connaissant Albert Wass et József Nyirő, mais sans savoir qui est Imre Kertész.

Derrière cette évolution, un fervent admirateur du régent Miklós Horthy

Derrière cette évolution idéologique notable, se trouve, selon des médias hongrois, Mihály Takaró, un historien spécialiste de la littérature de l’entre-deux guerres qui cherche à promouvoir la littérature « nationale conservatrice » et essentiellement transylvanienne. L’année dernière, ce fervent admirateur du régent Miklós Horthy et farouche détracteur des écrivains juifs György Spiró et Imre Kertész, avait été décoré lors de la fête nationale du 15 mars par le ministre des Ressources humaines, Miklós Kásler. Au grand dam de la principale organisation représentative des juifs de Hongrie.

Dans sa lettre ouverte, l’association des professeurs de hongrois estime que ce nouveau programme « ignore la culture contemporaine » et « fait de nouveau de l’enseignement littéraire la servante de l’idéologie et de la politique et rejette l’enseignement du hongrois quarante ans en arrière ».

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